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Vers la fin du XVIIIe siècle, Blaison est le siège éponyme d'une petite société savante dite des « Thesmophories » (du nom de fêtes agraires dans l'antiquité) qui se voue à l'agriculture et à l'étude de questions économiques et sociales. Les Thesmophores répètent à l’envi un engagement qui est bien conforme à l’esprit du siècle des Lumières. Leur société a selon les mots de ses membres un caractère « patriotique » et elle a pour vocation d’être « utile ». Ils espèrent entraîner « le public » dans leur entreprise. La société publie en 1776 et 1777 des programmes composés de « Questions » soumises à qui voudra répondre. L’esprit de la société est bien manifesté dans ses programmes : | Vers la fin du XVIIIe siècle, Blaison est le siège éponyme d'une petite société savante dite des « Thesmophories » (du nom de fêtes agraires dans l'antiquité) qui se voue à l'agriculture et à l'étude de questions économiques et sociales. Les Thesmophores répètent à l’envi un engagement qui est bien conforme à l’esprit du siècle des Lumières. Leur société a, selon les mots de ses membres, un caractère « patriotique » et elle a pour vocation d’être « utile ». Ils espèrent entraîner « le public » dans leur entreprise. La société publie en 1776 et 1777 des programmes composés de « Questions » soumises à qui voudra répondre. L’esprit de la société est bien manifesté dans ses programmes : | ||
« attachés à la Patrie par des emplois différents, qui occupent leur temps fructueusement, ils se font plaisir de lui dérober un jour, tout les mois, pour se livrer à l’amitié, et à la culture des talents vraiment utiles. Tel est l’objet de la société de Blaison, qui, en faisant des Questions, a cru les devoir faire d’une utilité générale, pour ne point se cantonner à son seul district [...] L’économie rurale est toujours le premier objet de la société des Tesmophories, qui se permet aussi quelquefois de jetter des regards sur tout ce qui peut coopérer au bien public...» | « attachés à la Patrie par des emplois différents, qui occupent leur temps fructueusement, ils se font plaisir de lui dérober un jour, tout les mois, pour se livrer à l’amitié, et à la culture des talents vraiment utiles. Tel est l’objet de la société de Blaison, qui, en faisant des Questions, a cru les devoir faire d’une utilité générale, pour ne point se cantonner à son seul district [...] L’économie rurale est toujours le premier objet de la société des Tesmophories, qui se permet aussi quelquefois de jetter des regards sur tout ce qui peut coopérer au bien public...» | ||
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Le caractère singulier de ces archives a suscité le travail d'une équipe d'historiens et l'édition d'un livre comprenant l'édition des mémoires des Thesmophores et une partie de leur correspondance, d'où le livre : ''Une société agronomique au XVIIIe siècle : les Thesmophores de Blaison en Anjou, sous la direction d'Antoine Follain'', Dijon, EUD (Editions Universitaires de Dijon), 2010, VI-281 p. Préface de Daniel Roche, professeur au Collège de France. Ont participé à cet ouvrage : Serge Bianchi, Jean-Michel Dérex, Carole Fleith-Schweiger, Antoine Follain, Jean-Louis Guitteny, Fabien Knittel, Teona Mekechvili, Benoît Musset, Brigitte Maillard, Clément Trénit, François Vallat, ainsi qu’une vingtaine d'autres universitaires consultés comme experts et des étudiants en histoire associés durant deux ans à ce projet. | Le caractère singulier de ces archives a suscité le travail d'une équipe d'historiens et l'édition d'un livre comprenant l'édition des mémoires des Thesmophores et une partie de leur correspondance, d'où le livre : ''Une société agronomique au XVIIIe siècle : les Thesmophores de Blaison en Anjou, sous la direction d'Antoine Follain'', Dijon, EUD (Editions Universitaires de Dijon), 2010, VI-281 p. Préface de Daniel Roche, professeur au Collège de France. Ont participé à cet ouvrage : Serge Bianchi, Jean-Michel Dérex, Carole Fleith-Schweiger, Antoine Follain, Jean-Louis Guitteny, Fabien Knittel, Teona Mekechvili, Benoît Musset, Brigitte Maillard, Clément Trénit, François Vallat, ainsi qu’une vingtaine d'autres universitaires consultés comme experts et des étudiants en histoire associés durant deux ans à ce projet. | ||
Certains mémoires sont très correctement écrits. D'autres non, et si le mémoire de Commeau-Delaroche, l’un des Thesmophores, avait été soumis au jugement de quelque académie, sans doute aurait-il fait l’objet d’une appréciation le qualifiant de « style de charretier » ; « Plein de bonnes choses mais style de charretier » étant une annotation relevée dans un rapport porté sur un mémoire remis à l'Académie de La Rochelle en 1784 | Certains mémoires sont très correctement écrits. D'autres non, et si le mémoire de Commeau-Delaroche, l’un des Thesmophores, avait été soumis au jugement de quelque académie, sans doute aurait-il fait l’objet d’une appréciation le qualifiant de « style de charretier » ; « Plein de bonnes choses mais style de charretier » étant une annotation relevée dans un rapport porté sur un mémoire remis à l'Académie de La Rochelle en 1784<ref>ROCHE, Daniel, ''Le siècle des lumières en province. Académies et académiciens provinciaux 1680-1789'', Paris et La Haye, Mouton, 1978, p. 341</ref>. On comprend pourquoi une telle appréciation aurait bien convenu à certains travaux des Thesmophores, lorsqu'on lit par exemple : « Jay crois qu’il faut faire atension dans quelle payce l'on est pour cella car dans les endrois ardrilieu, et dans les qualiotage la vigne resiste plus lon tans, que dans les teres grave. Voicy les raisons que j'en donne. » | ||
C'est que | |||
Les écrits de la société éclairent plusieurs aspects de l'histoire des campagnes de l'Ouest, notamment en ce qui concerne la place de la petite exploitation cf. les deux articles de MAILLARD, Brigitte (professeur honoraire de l'université de Tours), « Les "bêcheurs" ligériens au XVIIIe siècle », et GUITTENY, Jean-Louis (historien angevin indépendant), « L’espace des Thesmophores. Étude des baux conservés dans les archives du notariat Malécot à Blaison ». | C'est que la banalisation de l’écrit au XVIIIe siècle s’est accompagnée d’un important fléchissement du niveau rédactionnel. Mais l'important est que les Thesmophores pensaient souvent très correctement. Ils avaient appris comment on devait étudier l'agronomie et, par exemple, comment les nouveaux « économistes » avaient recommandé de calculer les résultats des exploitations agricoles. Les orientations de la société ne sont pas forcément celles des grands agronomes et économistes, notamment lorsque les Thesmophores défendent la « petite culture ». Mais ils participent à leur manière au grand mouvement d'idées du Siècle des Lumières. L’aventure singulière des Thesmophores a un intérêt pour l’histoire culturelle et sociale de la France. On le voit bien dans l'article FOLLAIN, Antoine, et TRENIT, Clément (étudiant angevin), « Un cercle dans l’air du temps… », et dans l'article FLEITH-SCHWEIGER, Carole (étudiante à l’Université de Haute-Alsace), FOLLAIN, Antoine, et TRENIT, Cément, « Les activités des Thesmophores. Travaux et correspondance de la société agronomique de Blaison en Anjou (1776-1777) », et dans KNITTEL, Fabien, « Agronomie et sociétés savantes agricoles (XVIIIe-XIXe siècles). Une mise en perspective de la société des Thesmophories » (tous édités dans le livre signalé plus haut). | ||
On voit aussi, par exemple, où des propriétaires angevins se situaient par rapport à l'évolution de la viticulture. L'Anjou était en effet en retard par rapport aux progrès de la vinification, qui a touché d'autres régions en premier. Les propriétaires angevins étaient soucieux avant tout de bien faire cultiver leurs vignes par des paysans qui, à cette époque, n'étaient pas encore de bons vignerons. Ils étaient plus souvent des travailleurs soucieux de l'exploitation de leurs propres terres, fournissant un travail obligé sur les vignes de leur propriétaire | |||
Les écrits de la société éclairent plusieurs aspects de l'histoire des campagnes de l'Ouest, notamment en ce qui concerne la place de la petite exploitation <ref>cf. les deux articles de MAILLARD, Brigitte (professeur honoraire de l'université de Tours), « Les "bêcheurs" ligériens au XVIIIe siècle », et GUITTENY, Jean-Louis (historien angevin indépendant), « L’espace des Thesmophores. Étude des baux conservés dans les archives du notariat Malécot à Blaison »</ref>. | |||
On voit aussi, par exemple, où des propriétaires angevins se situaient par rapport à l'évolution de la viticulture. L'Anjou était en effet en retard par rapport aux progrès de la vinification, qui a touché d'autres régions en premier. Les propriétaires angevins étaient soucieux avant tout de bien faire cultiver leurs vignes par des paysans qui, à cette époque, n'étaient pas encore de bons vignerons. Ils étaient plus souvent des travailleurs soucieux de l'exploitation de leurs propres terres, fournissant un travail obligé sur les vignes de leur propriétaire <ref>cf. l'article MEKECHVILI, Teona (étudiante à l’Université de Strasbourg), et MUSSET, Benoît (maître de conférences à l'université du Mans), « Les Thesmophores et la vigne, entre Loire et Layon »</ref>. | |||
La société disparaît tout aussi brutalement qu’elle est apparue. Aucun acte n'atteste une dissolution de la société ni une séparation de ses membres. Simplement, il n’y a pas de documents datés plus loin que la fin de l’année 1777. | La société disparaît tout aussi brutalement qu’elle est apparue. Aucun acte n'atteste une dissolution de la société ni une séparation de ses membres. Simplement, il n’y a pas de documents datés plus loin que la fin de l’année 1777. | ||
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==Premier programme publié par les Thesmophores== | |||
Archives départementales de Maine-et-Loire, 8D2, imprimé. Publié avec l'autorisation des auteurs du livre cité : ''Une société agronomique...'' | Archives départementales de Maine-et-Loire, 8D2, imprimé. Publié avec l'autorisation des auteurs du livre cité : ''Une société agronomique...'' | ||
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==Exemple de l'un des mémoires des Thesmophores== | |||
Mémoire anonyme donné en réponse à la question du mois de septembre 1777 « Un propriétaire de soixante arpents de terres & prés, & de vingt quartiers de vigne, aurait-il plus de profit à faire valoir son bien, que de l’affermer pour mener un commerce proportionné à sa fortune ? » Arch. dép. Maine-et-Loire, 8D3, pc 36. Publié avec l'autorisation des auteurs du livre cité : ''Une société agronomique...'' On y trouvera des commentaires sur les méthodes de calculs recommandées au XVIIIe siècle par les grands auteurs. On comprend alors à quel point les Thesmophores de Blaison sont bien informés. | Mémoire anonyme donné en réponse à la question du mois de septembre 1777 « Un propriétaire de soixante arpents de terres & prés, & de vingt quartiers de vigne, aurait-il plus de profit à faire valoir son bien, que de l’affermer pour mener un commerce proportionné à sa fortune ? » Arch. dép. Maine-et-Loire, 8D3, pc 36. Publié avec l'autorisation des auteurs du livre cité : ''Une société agronomique...'' | ||
On y trouvera des commentaires sur les méthodes de calculs recommandées au XVIIIe siècle par les grands auteurs. On comprend alors à quel point les Thesmophores de Blaison sont bien informés. | |||
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J’ai deja dit que rien ne produit rien. Ainsi pour mener un comerce proportionné à une fortune de 33 000 # c’est à dire un comerce courant de sur ce pied, il faut avoir au moins six mil livres d’argent comptant en avances, dont l’interest est de 300 # par an. J’ai consulté, M.M., des marchands au fait, et ce que je vais vous dire n’est plus de moi. Ils m’ont assurés que, toutes choses égales de pertes et de profits dans le commerce sur les denrées, abstraction faite du hazard des banqueroutes et des avaries, le bénéfice n’était que de 10 pour 100, parconsequant un comerce courant de 33 000 doit doner 3 300 # de produit, surquoy ôtant 300 # pour les interests des 6 000 # de premiers fonds, nous aurons un revenu liquide de 3 000 #, et parconsequant 500 # par an de bénéfice de plus qu’à faire valoir. Mais ce qui manquera d’être fait sur son bien, ce qu’il y aurait fait pour son amélioration ne lui serait il pas plus profitable que ces 500 # ? On dira que non, puisqu’à l’article du produit de l’exploitation, j’ai estimé cet objet les salaires et la nourriture de quatre domestiques. Il resterait donc démontré qu’il y aurait plus de profit à se jeter dans le comerce ; mais des banqueroutes, des avaries, beaucoup plus de peines et d’inquiétudes ne rétabliraient elles pas l’égalité du revenu dans les deux professions et métraient du côté du cultivateur, la paix, et les délices de la vie champêtre. Si tout reste égal, il ne faut donc consulter pour le parti à prendre, que son inclination ou et son panchant. Un homme paisible, de mœurs douces et faciles sera cultivateur. Un homme remuant, vif, hardi et entreprenant sera comersant, et en les suposant aussi industrieux l’un que l’autre, leur fortune au terme de leur carrière pourait bien se trouver égale ; tous les talens ne conduiraient-ils point également à la fortune ? | J’ai deja dit que rien ne produit rien. Ainsi pour mener un comerce proportionné à une fortune de 33 000 # c’est à dire un comerce courant de sur ce pied, il faut avoir au moins six mil livres d’argent comptant en avances, dont l’interest est de 300 # par an. J’ai consulté, M.M., des marchands au fait, et ce que je vais vous dire n’est plus de moi. Ils m’ont assurés que, toutes choses égales de pertes et de profits dans le commerce sur les denrées, abstraction faite du hazard des banqueroutes et des avaries, le bénéfice n’était que de 10 pour 100, parconsequant un comerce courant de 33 000 doit doner 3 300 # de produit, surquoy ôtant 300 # pour les interests des 6 000 # de premiers fonds, nous aurons un revenu liquide de 3 000 #, et parconsequant 500 # par an de bénéfice de plus qu’à faire valoir. Mais ce qui manquera d’être fait sur son bien, ce qu’il y aurait fait pour son amélioration ne lui serait il pas plus profitable que ces 500 # ? On dira que non, puisqu’à l’article du produit de l’exploitation, j’ai estimé cet objet les salaires et la nourriture de quatre domestiques. Il resterait donc démontré qu’il y aurait plus de profit à se jeter dans le comerce ; mais des banqueroutes, des avaries, beaucoup plus de peines et d’inquiétudes ne rétabliraient elles pas l’égalité du revenu dans les deux professions et métraient du côté du cultivateur, la paix, et les délices de la vie champêtre. Si tout reste égal, il ne faut donc consulter pour le parti à prendre, que son inclination ou et son panchant. Un homme paisible, de mœurs douces et faciles sera cultivateur. Un homme remuant, vif, hardi et entreprenant sera comersant, et en les suposant aussi industrieux l’un que l’autre, leur fortune au terme de leur carrière pourait bien se trouver égale ; tous les talens ne conduiraient-ils point également à la fortune ? | ||
Chacun à son talent, son panchant qui l’entraine, | <poem>Chacun à son talent, son panchant qui l’entraine, | ||
la nature ou l’instinct nous conduit et nous mène . | la nature ou l’instinct nous conduit et nous mène . | ||
À deux divinité les fragiles mortels | À deux divinité les fragiles mortels | ||
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amassent des trésors par des profits sordides. | amassent des trésors par des profits sordides. | ||
L’on va par mil sentiers au temple de Plutus , | L’on va par mil sentiers au temple de Plutus , | ||
le point est d’y marcher guidé par les vertus. » | le point est d’y marcher guidé par les vertus. » </poem> | ||
[<u>note :</u> Cette curieuse fin poétique a quelques explications que l’on trouvera dans le livre ''Une société agronomique…'' Le début du poème est inspiré des ''Bucoliques...'' (Eglogues, II, 65) du poète latin Virgile : « Trahit sua quemque voluptas... » ; voir FLEITH-SCHWEIGER, Carole, FOLLAIN, Antoine, et TRENIT, Clément, « Les activités des Thesmophores… », section « Des amateurs sincères ou des assoiffés de reconnaissance ? »]. | |||
== Notes et références == | |||
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