Discussion:Les bombardements à Briollay/2014-06-07 les bombardements

De Wiki-Anjou
Texte original de Josette H. (1940- ), juin 2014.
Récit inséré sur l'article Les bombardements à Briollay.
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Page protégée afin de préserver le témoignage original.


« Née en avril 1940, enfant de la guerre, ma petite enfance a été profondément marquée par cette période.

Mon père fut mobilisé pour partir à la guerre dès mon 3ème jour de naissance. Ma mère se retrouvait donc seule pour subvenir à nos besoins, mon frère et moi. Elle y parvint fort bien en travaillant dans un grand restaurant à Angers. Mais comme nous habitions Angers, près de la gare Saint-Serge, elle nous a mis en sécurité chez ma grand’mère à Briollay. Bien que Briollay soit moins exposé aux bombardements, j’ai quelques souvenirs de ces sifflements dans le ciel. Comme la plupart de ceux qui sont nés pendant cette période, ma mémoire est défaillante, ayant inconsciemment enfoui au plus profond de moi tous ces mauvais souvenirs qu’il m’est impossible aujourd’hui de retrouver.

Je me souviens pourtant que, lorsque les sirènes retentissaient et que l’on entendait ces sifflements dans le ciel, on se précipitait dans la pièce la plus sûre de la maison, sous une poutre, glissés entre la cloison et deux grosses armoires… et moi, haute comme trois pommes, entre ma grand’mère maternelle et celle que j’appelais grand’mère 2 (une réfugiée de Saint-Nazaire que nous avions recueillie) je leur tenait la main en leur disant : « Faut pas avoir peur, je vous tiens la main !.. » Trop petite je ne me rendais pas compte du danger, mais mon frère - mon aîné de 7 ans - et le petit voisin de 2 ans de plus que moi, lui aussi réfugié chez sa grand’mère notre voisine, n’étaient pas trop rassurés. Ils avaient ordre tous les deux de m’aider à monter les marches du perron pour rentrer à la maison dès que les sirènes retentissaient.

Je me souviens aussi avoir failli être étouffée par une dame, très forte, qui venait laver le linge chez ma grand’mère. J’étais partie avec elle rincer le linge à la rivière quand un bombardement est arrivé. Elle s’est jetée sur moi de tout son poids pour me protégée et j’ai eu du mal à retrouver mon souffle quand elle s’est relevée, une fois le danger écarté. C’était courageux et je l’ai remercié plus tard quand je fus plus grande.

Encore un souvenir qui me revient : le père de mon petit voisin, quand çà sifflait dans le ciel, se tenait courageusement sur le pas de sa porte, une pelle à la main pour renvoyer un projectile qui aurait pu tomber trop près de sa maison. Précaution dérisoire qui nous a fait souvent rire plus tard quand il en parlait. Il pensait vraiment protéger sa famille recroquevillée au fond de la cuisine, au sacrifice de sa vie sûrement.

Les années ont passé et lorsque j’ai vu mon père pour la première fois j’avais 5 ans. Je le revois encore arriver, vêtu d’une sorte de grand manteau kaki, pas rasé, pas propre, sale même. Ma mère m’avait toujours parlé de ses grandes mains et j’ai aussitôt vérifié. Oui, il avait de grandes mains et je lui ai dit « Bonjour Monsieur ». L’apprentissage pour dire « papa » fut très long et il a dû en souffrir en silence. Mon frère, par contre, tout joyeux de le retrouver, a couru au-devant de lui pour lui sauter au cou.

Nous sommes revenus au domicile de nos parents, mon frère et moi et il m’a fallu m’adapter à cette nouvelle vie, privée de ma grand-mère, seule personne m’ayant donné de la tendresse pendant ma petite enfance. Ma mère nous adorait mais je ne la voyais pas parce qu’elle faisait parfois, très tard le soir après son travail, 12 kilomètres à vélo pour nous regarder dormir mon frère et moi et repartait très tôt le matin.

Josette H. »