La forge de Pouancé en 1702
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En l'année 1702, sous le règne de Louis XIV, il y avait quelques points noirs à l'horizon politique. Les armées françaises guerroyaient par l'Europe, et, pour le printemps, il fallait combler les vides de nos arsenaux et tenir au complet nos parcs d'artillerie, épuisés par de nombreuses batailles. Aussi le souverain fit-il des commandes considérables d'engins destructeurs dans toutes les forges du royaume. Celles de nos contrées de l'Ouest ne furent point oubliées, et elles travaillaient jours et nuits pour satisfaire aux exigences de leur client couronné.
Le document inédit que nous offrons au lecteur, et qui est tiré des archives de la Chambre des notaires de l'arrondissement de Nantes (minutes de Me Alexandre), concerne la forge de Pouancé, située sur les marches de la Bretagne et de l'Anjou, et nous montre l'importance qu'elle avait au commencement du siècle dernier. Elle devait fabriquer, en moins de deux mois, de la fin de février au 25 avril, 5,500 boulets de 24, et, si elle le pouvait, 6,000 autres avant le 1er mai.
« L'an mil sept cent deux, le vingte faivrier, après midy, par devant les notaires royaux de la cour de Nantes, soussignez, furent présens Joseph TERRISSE, Receveur general des fermes du Roy à Nantes, faisant pour le sieur SAILLANT DES MAZURES, me des forges de Poüancé et ses associez dans la ferme de ladite forge ; demeurant ledit sieur TERRISSE à la Fosse dudit Nantes, paroisse Saint Nicolas, d'une part, Et Jan CHEROUVRIER sieur DES GRASSIERES, conseiller du Roy, inspecteur general de la Marine en Bretagne, demeurant à sa maison en cette ville, rue du Chasteau, paroisse Sainte Radegonde, stipulant pour Sa Majesté en vertu de l'ordre de Monseigneur le comte de PONT CHARTRAIN, secrétaire d'Etat, porté par sa lettre missive du vingt unième decembre de l'an dernier mil sept cent un, d'autre part. — Entre lesquelles parties a été fait un marché, par lequel ledit sieur Terrisse, audit nom, promet et s'oblige de fournir et livrer pour le service du Roy, le nombre de cinq mille cinq cens boulets de canon de vingt-quatre livres, et de livrer un tiers desdits boulets à la fin du mois de mars prochain, et les deux autres tiers le vingt cinqe avril aussi prochain au bureau de la Marine estant à ladite Fosse de Nantes. Lesquels boulets seront faits à ladite forge de Poüancé de la meilleure fonte d'icelle, suivant le calibre qui en a esté fourny au commencement de ce mois pour cet efet audit sieur Terrisse, par ledit des Grassieres. Tous lesquels boulets seront bien ronds, bien chapellez (1) et bien conditionnés et seront visitez et receus par les oficiers de l'artillerie preposez par Sa Majesté pour cet efet. Le prix desdits boulets sera payé audit sieur Terrisse pour ledit sieur des Mazures par le tresorier de la Marine à Nantes, à raison de soixante cinq livres pour chaque millier pezant (2), poids de marque, lors de la livraison d'iceux, et lui sera payé et avancé la somme de trois mille livres qui lui sera deduite sur les cens premiers milliers qu'il livrera. Il
- 1 Le chapelage ou ramage consistait à réunir deux ou plusieurs boulets au moyen d'une tige en fer. Ce système, qui était autrefois en usage, donnait un puissant engin de destruction. Les boulets chapelés s'employaient principalement contre les navires, pour couper mâture et gréement.
- 2 Les boulets sphériques pleins de 24 valent aujourd'hui 20 ou 22 fr. les 100 kil. ; les projectiles de même calibre, creux, cylindro-coniques, munis d'ailettes pour les rainures et la lumière taraudée, coûtent 30 fr. Le prix de 20 à 22 fr. pour les boulets pleins ne comprend pas l'opération du chapelage, que nous ne pouvons évaluer, mais seulement les boulets fondus séparément.
sera de plus fourny audit sieur Terrisse des ordonnences de messieurs les Intendans de Bretagne et de Touraine pour obliger les charretiers des paroisses voisines de ladite forge de voiturer lesdits boulets au port de Segré ou d'Ancenis, et les mines pour les couler à la forge si il est nécessaire, en payant lesdits charretiers au prix dont ledit sieur des Mazures conviendra avec eux et en cas de contestation à celui qui sera reglé par mesdits sieurs les Intendans, chacun dans leur departemen. Convenu qu'en cas que le fourneau de ladite forge viendrait à crever et qu'il ne pût estre remis assez promtement en estat de travailler pour faire ledit nombre de boulets, ou par autres cas impreveus, lesdits sieurs Terrisse et des Mazures ne pourront estre inquietez pour la quantité qu'ils seront hors d'estat de fournir. Comme aussi est convenu que ledit sieur des Mazures fera travailler à faire lesdits boulets par preference à tous autres ouvrages et le plus promtement qu'il lui sera possible et qu'en cas qu'il puisse en faire un plus grand nombre que lesdits cinq mille cinq cens boulets cy dessus employez et en livrer jusqu'au premier jour de may prochain six mille autres boulets du méme calibre de vingt quatre livres, ils seront receus et payés au même prix de soixante cinq livres par milier pezant, etc... Fait à Nantes, demeure sus declarée dudit sieur des Grassieres et ont signé. (Signé Cherouvrier des Grassieres, Terrisse et des notaires.)
» Controllé à Nantes ce 20 février 1702 ; reçu sept livres dix sols. (Signé Joseph Letexier.) »
Charles Bougouin, La forge de Pouancé en 1702, Treizième année, Troisième série, Tome V (tome XXV de la collection), Revue de Bretagne et de Vendée (Nantes), premier semestre 1869, p. 304-306. Publication en série imprimée (notice BnF).
Autres documents: Arts et métiers mécaniques (1782), Magazine L'Illustration du 9 février 1918, Notice nécrologique sur Aimé Blavier.
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