Poètes angevins par M. Leclerc - Eugène Roussel
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Né à Angers, le 18 septembre 1871, Eugène Roussel y fit ses
études au Lycée, fut envoyé comme boursier de mérite à Henri IV,
et passa sa licence ès-lettres en Sorbonne en 1895. Il est actuellement
Chef de Division à la Préfecture de Police.
Comme Couallier, c'est un lauréat de l'Institut, qui lui décerna par trois fois le Prix Rossini, à partager avec Alfred Coupel, autre Poète Angevin dont nous ferons plus loin la connaissance.
Dès 1898, il publiait un recueil de vers : « Rires et Noises », où il s'affirmait Poète délicat, et véritable virtuose du vers . Le « Retour au Pays », représenté avec un éclatant succès par Duquesne et Mme Lherbay à Liré ; « Anne-Marie », légende bretonne, en collaboration avec Coupel, et quantité de pièces non encore réunies en volume, sont venues depuis augmenter son bagage littéraire ; l'essor pris par le mouvement régionaliste angevin a été pour lui particulièrement fécond : cette « Chanson Bachique », légère et gaie comme il convient à son titre, est un hommage du Poète à son Pays :
- Chanson bachique
- Nous en boirons, de ce vin là
- Qui des vignes d'Anjou coula,
- Nous en boirons puisqu'il est bon,
- Et, comme dit le vigneron,
- Ça préserve du choléra...
- Tra de ri de ra !
- Du vin, c'est du sang ; le sang, c'est la vie.
- Qui de nous, mortels, n'a l'envie
- De signer un bail de cent ans ?
- Le mien docteur, nommé Grégoire,
- Dit que la recette est de boire
- Le jus des raisins éclatants !
- Nous en boirons, de ce vin là!
- Tra de ri de ra !
- Mais boire du vin, ça rougit la trogne,
- C'est plaisir crapuleux d'ivrogne,
- Dit la Mode — qui boit de l'eau...
- La Mode ose là se permettre
- Une insulte au Soleil, le Maître
- Qui nous fit ce joli cadeau…..
- Nous en boirons, de ce vin là !
- Tra de ri de ra !
- Le vin, c'est l'humeur aimable et joyeuse,
- Tandis que l'eau n'est qu'une gueuse
- Qui se dit Vierge, étant poison.
- Elle vous rend mélancolique,
- Et vous donne, en plus, la colique!...
- Mais je connais la guérison :
- Nous en boirons, de ce vin là !
- Tra de ri de ra !
- 0 frères d'Anjou, cousins de Bourgogne,
- Chantez le vin, et sans vergogne
- Buvez-en, buvez-en toujours !
- De pourpre ou d'or, le jus des vignes
- Charmera vos heures malignes
- Et fera fleurir vos amours !
- Nous en boirons, de ce vin là
- Qui des vignes d'Anjou coula,
- Nous en boirons puisqu'il est bon,
- Et, comme dit le vigneron,
- Ça préserve du choléra...
- Tra de ri de ra !
Toutefois cette pièce d'un caractère spécial est insuffisante pour nous permettre de juger même sommairement le talent d'Eugène Roussel, et sa poésie de facture habile, un peu précieuse parfois, souvent peu profonde, et qui ne s'embarrasse guère des grands problèmes philosophiques : Eugène Roussel n'a rien d'un prophète ni d'un élégiaque ; il ne gémit ni ne vaticine, et s'il lui arrive de s'arrêter devant la « Lande Grise » ou le « sublime Océan », il les traite plus en aquarelliste qu'en peintre de fresques ; mais il sait à ravir ciseler le vers, et les compositeurs le savent, qui le recherchent comme « parolier » ; il manie élégamment la strophe pimpante et légère, il excelle à broder, à enjoliver, et sa Muse emprunte souvent la robe pailletée de Colombine... Assistons plutôt à la toilette du Chevalier Printemps :
- Le printemps
- Le Printemps léger au manteau vert pâle,
- Que l'aube a mouillé de ses pleurs d'argent,
- Avant de courir d'un pied diligent
- Se mire en la source aux reflets d'opale.
- Il craint de trouver F univers moqueur
- Et, coquet autant qu'une jeune reine,
- Se frotte de thym et de marjolaine,
- Puis vole à la rose un peu de son cœur...
- Il pare son front d'aubépines blanches,
- Ses cheveux dorés d'un bleu liseron
- Et, fier déporter ce clair chaperon,
- Risque un œil mutin à travers les branches...
- Son sceptre, il le prend sur un sauvageon :
- C'est une baguette humide de sève,
- Couleur de l'espoir et couleur du rêve
- Et dont l'ornement est fait d'un bourgeon.
- Il dérobe au tronc d'un chêne robuste,
- Tout enguirlandé de lierre amoureux
- Le tendre lacet, souple et vigoureux,
- Qui, ceignant ses flancs, fait valoir son buste...
- Alors, il parcourt les prés et les bois,
- Heureux d'apporter dans tout son royaume
- Son éclat fleuri, son grisant arôme
- Et le charme neuf de sa fraîche voix !
- Les oiseaux chanteurs fêtent son passage,
- Le ciel lui sourit de tout son azur
- Et, sortant soudain d'un taillis obscur,
- Eros, son cousin, lui glisse un message
- . . . . . . . . . .
- Et le Printemps passe et le Printemps rit !
- Il sent palpiter ainsi que des ailes
- Les êtres vivants entre ses mains frêles :
- Son charme est partout, il a tout fleuri...
- Et le Printemps passe et le Printemps rit !
BIBLIOGRAPHIE. — Rires et Noises, poésies. Paris, Vanier 1898. — Anne-Marie lég. lyr, en 3 actes, coll. av. A. Coupel (Gd Prix Rossini) Paris Mercier 1909. — Acis et Galatée, poème musical en un acte (Concours de Rome) coll. av. A. Coupel, Paris, Selva, 1910. — Conseil d'Ami, comédie en un acte en vers, coll. av. G. Rondeau, « Paris-Artiste » 1909-10. — Le Retour au Pays, poème dialogué « Angevin de Paris » 1909. — Un Rindez-vous, saynète en un acte, « Paris-Artiste » , 1910. — La Route Céleste, poème, « Paris-Artiste » 1913. — Cœurs Bretons, idylle en vers, « Les Fleurs d'Or », 1916.
E. Roussel a écrit un grand nombre de Poésies mises en musique par P. Petrucci, Maud Laurent, E. Saunier, Antoinette Belloc, Gustave Mouchet, R. Grassin, etc.)
Extrait de l'ouvrage Poètes angevins d'aujourd'hui, essais anthologiques de Marc Leclerc, Société des artistes angevins, Paul Lefebvre libr.-édit. (Paris), 1922, 134 p.
Marc Leclerc (1874-1946), homme de lettres angevin, créateur des rimiaux, peintre, conférencier, membre de la Société des artistes angevins.
Eugène Roussel (1871-19..), poète et auteur dramatique, rédacteur à la Préfecture de police de Paris (1899), chef de bureau (1914) puis chef de la division du cabinet du préfet de police (1923), collaborateur à L'Écho de la semaine, La Nouvelle revue, etc...
Du même ouvrage : Paul Pionis, Paul Sonniès, René Bazin, Olivier de Rougé, Auguste Pinguet, Émile Marchand, Henry Cormeau, Maurice Couallier. Voir aussi Cemetières.
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