Poètes angevins par M. Leclerc – René Bazin

De Wiki-Anjou
Langue et littérature angevine
Document   René Bazin
Auteur   Marc Leclerc
Année d'édition   1922
Éditeur   P. Lefebvre libr.-édit. (Paris)
Note(s)   dans Poètes angevins d'aujourd'hui, essais anthologiques, p. 21-29


René Bazin


M. René Bazin, Professeur de Droit Criminel en l'Université Libre d'Angers, depuis 1875, et Membre de l'Académie Française depuis 1904, est né à Angers en décembre 1853 :

« Nous avons pour lieu et origine
Bouillé-Ménard et Nyoiseau »

a-t-il écrit dans le Portrait Inachevé ; à vrai dire et c'est lui-même qui m'a confié ce détail, si son bisaïeul paternel, feudiste, puis lieutenant de Stofflet, si son grand'père, Nicolas Bazin, peintre estimé et collectionneur éclairé, qui lui légua sinon ses pinceaux, du moins son œil de peintre et d'artiste, vécurent dans le pays de Bouillé-Ménard, l'origine ancienne de la famille serait à rechercher non point à la frontière bretonne de l'Anjou, mais plutôt à sa frontière vendéenne, et ceci peut-être expliquerait l'attrait qu'éprouva toujours M. René Bazin pour la Vendée Angevine.

Du côté maternel, son ascendance est parisienne : Son bisaïeul, François Chéron, dont le nom figure sur une plaque de marbre en ce lieu solennel qu'est le Foyer des Artistes à la Comédie Française, fut sous la Restauration Administrateur de ce Théâtre — on disait alors « Commissaire du Roi » — et aussi journaliste et écrivain dramatique. Faut-il chercher aussi, dans cette hérédité artiste et parisienne, le secret-de certaines qualités de M. René Bazin ?

Vouloir au Public Angevin, et même à quelque public que ce soit, présenter son Œuvre, serait une superfétation que je ne tenterai pas, des trente-neuf volumes qu'il a publiés, depuis Stéphanette en 1884, jusqu'à cette magistrale Vie du P. Charles de Foucault, qui vient de paraître, je ne citerai même pas les titres ; la plupart sont dans toutes les mémoires. Pas plus je ne les analyserai ; d'autres, mieux qualifiés, l'ont fait à maintes reprises, parmi lesquels on peut noter Ch. Le GofFic (1) et M. de Bersaucourt (2) ; toutefois je dois une mention spéciale à l'étude, particulièrement intéressante et fouillée, que vient de lui consacrer (3) M. Albert Chérel, ancien Professeur au Lycée d'Angers : Dans ce volume, en parallèle avec un éreintement assez copieux, de M. Maurice Barrés, plus terrible en sa forme courtoise que toute une collection du « Merle Blanc », M. Chérel nous donne une substantielle analyse de M. René Bazin, de sa personne morale, de son caractère, de ses méthodes de travail; il nous démontre — il nous démonte, allais-je dire — le mécanisme de son inspiration française et provinciale, et conclut, après avoir rendu hommage à la haute portée sociale de son œuvre, au caractère de véracité de son observation.

(1) Préface des Contes en Vers de René Bazin. Bibl. Popul. Henri Gautier.
(2) Les Ecrivains d'aujourd'hui : René Bazin. Collection Sansot.
(3) En relisant après la Guerre... J. de Gigord, éd. Paris 1921.

A vrai dire, lorsque M. Chérel écrit que M, René Bazin « n'est vraiment et délicieusement régionaliste dans ses descriptions que lorsqu'il parle de son propre pays », et que lorsqu'il veut peindre d'autres cieux « il semblera que leur observation ait coûté quelque peine à l'auteur », et qu' « il leur manquera cette vie, cet entrain, cette vibration du carillon intérieur qui ne s'émeut guère, chez Bazin, qu'au souffle du vent natal », je crains bien qu'il n'ait causé quelque émoi à M. René Bazin, qui met son point d'honneur à vibrer à l'unisson des paysages où l'entraînent ses fictions, et qui m'écrivait à moi-même : « Je vous dirai que si je suis extrêmement attaché à mon pays natal, si j'ai toujours eu quelque fierté d'en être, car la vallée de la Loire est de la plus vieille et de la plus saine civilisation française, je crois cependant que je ne puis être rangé parmi les écrivains régionaux. L'écrivain régional est celui dont l'œuvre est entièrement ou presque entièrement consacrée a l'étude et, on peut le dire, à l'illustration d'une province. Si vous voulez bien vous en souvenir, les romans que j'ai écrits célèbrent au contraire les plus diverses provinces. »

C'est que M. René Bazin n'emploie pas, quand il veut donner à ses romans un cadre nouveau, le procédé cher au bon Jules Verne et à mon excellent et déjà illustre ami Pierre Benoit, qui est de voyager en son fauteuil dans une bibliothèque judicieusement garnie ; et il apporte à se documenter une conscience dont un trait peut donner idée. Lorsqu'il écrivit Gingolph l'Abandonné, celui peut-être de ses romans qui eut le moins de retentissement, car il parut en 1914, au moment même de la guerre, M. René Bazin alla sur place étudier ses pêcheurs de harengs ; jusqu'à Aberdeen, puis à plus de cent milles en mer au-delà des côtes d'Ecosse, il s'en fut sur le chalutier de surveillance assister à l'arrivée du premier bateau de chaque nation, puis à la première pêche dans le banc de harengs descendant du Pôle ; il est inutile de dire qu'une telle expédition, pour intéressante et même passionnante qu'elle fût, n'en comportait pas moins, s'agissant d'un voyageur peu rompu à ce genre d'existence, assez d'inconfort, de fatigue, et même de périlleux aléas, pour constituer un témoignage réellement méritoire d'observation consciencieuse.

Mais j'oublie de parler de M. René Bazin, poète : A vrai dire, s'il ne fallait considérer comme poésies que les ouvrages écrits en vers, M. Bazin serait un poète bien peu fécond... La simple plaquette, préfacée par Le Goffic, dont j'ai parlé tout à l'heure, et qui contient tout juste quatre contes en vers, voilà toute sa bibliothèque poétique ; ajoutons qu'il a en portefeuille bien d'autres vers, qu'il ne publiera jamais, m'a-t-il dit. Chez lui l'immédiat et mérité succès du romancier a nui à la besogne poétique, mais non à l'inspiration et au tempérament ; car, combien de fois, dans la prose de ses romans, s'est-il montré vraiment poète, aussi bien par le rythme harmonieux et cadencé des phrases, que par la fraîcheur ou la chatoyance des images ; ut pictura poesis erit, édictait le vieil adage : on peut souvent dire des peintures de M. René Bazin qu'elles sont comme une poésie ; qui le voudra chercher le rencontrera sans peine tout au long de son œuvre. Pourtant je ne puis terminer cette notice sans citer au moins ce fragment du « Portrait Inachevé », où il met en scène son Grand-Père, le peintre Nicolas Bazin, dont nous avons parlé :

LE PORTRAIT INACHEVE
C'était un homme droit, fort comme un flot du Rhône'
Qui crut, jusqu'à sa mort, voir les Bourbons au trône.
Sa femme et les Bourbons : ces deux affections
Traversèrent en paix dix révolutions.
Je revois sa maison qui dépassait la lignes
Haute, étroite, où, courait un petit cep de vigne
Qui donnait de la vrille et du pampre à foison :
Quant aux raisins, Tété n'en eut jamais raison.
Eh bien ! sur cette vie inconnue et contrainte,
Le goût divin de l'art avait mis son empreinte :
Deux des chambres avaient leurs huit murs tapissés
De tableaux vieux ou neufs, un par un amassés,
Dont les meilleurs peut-être étaient sans signature.
Mais Une souffrait pas qu'on n'y vît la facture,
Le trait, le coloris des maîtres renommés :
Ceux qui les avaient peints les avaient moins aimés,
Et sans les lui ravir, bien qu'il fût sans fortune.
On aurait monnayé les rayons de la lune.
Ici c'est la liseuse assise au coin d'un bois,
En robe de satin, un livre au bout des doigts :
Il se peut quelle rêve à la page entr'ouverte,
A cette feuille morte encore à moitié verte
Qui frissonne à ses pieds, mais son air fait penser
Combien il est facile el fréquent de glisser
Des amours d'un roman aux amours de son âme.
Là c'est une marine ; ailleurs c'est une femme
Qui pousse dans un gué deux vaches au poil roux ;
L'eau qui mouille sa jambe en rit sur les cailloux ;
Dans le fond, des bouleaux que le soleil transperce...
Le ciel est pur, un vol d'étourneaux le traverse...
Or, parmi ces tableaux, à la place d'honneur,
Entre son Fragonard et son Rosa Bonheur,
Mon grand-père avait mis le portrait de grand'mère
Peint par lui : bandeaux plats, fichu blanc, robe claire,
Et quel charmant visage ! ovale et velouté,
La mine ouverte, avec cet air d'honnêteté.
Dont le front s'embellit, et qui lui sert de voile.
Le regard lumineux, chaste comme une étoile...
Enfin, pour mieux montrer qu^on était au printemps,
Que le peintre l'aimait, et qu'elle avait vingt ans,
Il avait esquissé comme une primevère
Piquée à son corsage. Et nous disions : — Grand-père,
« La fleur, dans le tableau, n'est peinte qu'à demi.
« Pourquoi, dites ? » Alors, un bon sourire ami
Que l'on sentait venir des lointains d'un autre âge
En traversant son cœur lui montait au visage.
Et grand père, écoutant avec ravissement
Le passé, doux oiseaux qui dort légèrement,
Qu'un mot d'enfant réveille, et qui vient d'un coup d'aile,.
Nous racontait ému, les yeux fixés sur elle.
Qui semblait l'écouter, et vivre, et rire aussi.
Pour la vingtième fois l'histoire que voici :
Du temps que j'avais des vacances,
Comme vous, ô mes écoliers,
Je faisais de grandes dépenses
De culottes aux échaliers.
Je connaissais tous les villages,
Tous les clochers de l'horizon,
Tous les aliziers sauvages
Et tous les nids de la saison.
Plus tard, au sortir du collège,
Quand l'attrait des nids fut passé,
Et celui des boules de neige,
Une ardeur nouvelle a poussé
Sur ce premier goût d'aventure,
Et l'on m'a vu courir encor,
Rêvant de chasse et de peinture
Parmi les champs de genêts d'or.
Souvent, dans les grands chauds terribles,
Quand le pinceau tombe des mains,
Quand les perdrix sont invisibles,
Je trouvais le long des chemins,
Au bord de l'eau, sur la lisière
Des bois lourdement endormis,
Quelque maison hospitalière,
Pleine d'ombre et pleine d'amis,
Mais aucune plus avenante,
Plus douce et chère à mon regard,
Que l'une d'elles, sur la pente
Qui conduit à Bouillé-Ménard,
Logis d'autrefois à mi-côte,
Des vents d'automne défendu,
Connu des pauvres, et dont l'hôte
A toujours l'air d'être attendu.
Car c'est là qu'habitait Renée,
C'est là qu'un jour comme elle entrait,
Charmante en sa vingtième année,
J'obtins de faire son portrait.
Renée emporta son aiguille,
Je pris ma boîte d'atelier,
Et tout au fond de la charmille,
Sur un vieux banc familier,
N'ayant rien fait pour être belle
Que rester telle qu'elle était,
Elle s'assit, et, devant elle,
Moi j'établit mon chevalet.
C'était l'été, la saison claire,
Où, les petits sortent du nid,
Où toute aile se sent légère,
Et séduite par l'infini.
Je lui disais : — Mademoiselle,
« C'est convenu, vous le savez ;
« Levez vos yeux. » — Oui, » disait-elle,
Quand elle les avait levés…..
Mes enfants, je ne saurais dire
Si c'est l'azur de ses yeux bleus
Ou la grâce de son sourire,
Qui fit du peintre un amoureux.
Le portrait n'avançait pas vite ;
Elle disait : — Qu'avez-vous donc ?
— Mademoiselle, je médite.
— Oh ! disait-elle, c'est si long ?
Il fallait une autre séance,
Nous remettions au lendemain ;
Je pensais tout bas : quelle chance !
Et puis, nous nous donnions la main.
Moi tout joyeux, elle distraite,
Tandis qu'aux champs, d'ombre enlacés,
Les merles sonnaient la retraite
Sur la lisière des fossés.
Mais si peu qu'on fasse, on achève,
Et le jour vint, encor trop tôt,
Où j'allais achever mon rêve
En même temps que mon tableau.
Je lui dis : — Hélas, dans une heure,
« Dans une heure je partirai,
« Il faut vous quitter, et je pleure. »
— Sitôt ? » dit-elle. — Quand j'aurai
« Terminé la fleur du corsage. »
Je vis que deux larmes aussi
Tremblaient le long de son visage,
Elle parut songer. — Ainsi
« Il vous reste une fleur à peindre ? »
Et puis elle ajouta tout bas,
Avec un doux air de me plaindre :
— Eh bien ! monsieur n'achevez pas !
Et la fleur à moitié tracée
S'arrêta sur ces mots charmants
Qui m'ont donné ma fiancée,
Votre grand' mère, mes enfants.

BIBLIOGRAPHIE. — Sthephanette, roman, Paris, Marne, 1884. — Ma Tante Giron, roman, Paris, Calmann Lévy, 1885. — Une Tache d'Encre, roman, ibid. 1888. — Les Noellet, roman, ibid. 1890. — La Sarcelle Bleue, ibid. 1892. — Madame Corentine, roman, ibid, 1893. — Les Italiens d'Aujourd'hui, études, ibid. 1894. — Sicile, notes de voyage, ibid. 1894. — Humble Amour, roman, ibid. 1894. — Terre d'Espagne, notes de voyage, ibid. 1895. — En Province, études, ibid. 1896. — De touée son Ame, roman, ibid. 1897. — Contes de Bonne Perrette, nouvelles, ibid. 1897. — La Terre qui Meurt, roman, ibid. 1899. — Croquis de France et d'Orient, notes de voyage, ibid. 1899. — Le Guide de l'Empereur, roman, ibid. 1901. — Les Oberlé, roman, ibid. 1901. L'Enseigne de Vaisseau Paul Henry, Paris, Marne, 1901. — Donatienne, roman, Paris, Calmann, 1903. — Récits de la Plaine et de la Montagne, nouvelles, ibid, 1903. — L'Isolée, roman, ibid. 1905. — Questions Littéraires et Sociales, études, ibid, 1906. — Vie du Duc de Nemours, Paris, Marne, 1907. — Le Blé qui Lève, Paris, Calmann, 1907. — Mémoires d'une Vieille Fille, ibid. 1908, — Le Mariage de Mlle Gimel, roman, ibid, 1909. — La Barrière, roman, ibid. 1910. — Douce France, études, Paris, de Gigord, 1911. — Davidée Birot, roman, Paris, Calmann, 1912. — Nord-Sud, notes de voyage, ibid. 1913. — Gingolph l'Abandonné, roman, ibid, 1914. — Pages Religieuses, études, Paris, Marne, 1915. — Récits du temps de la Guerre, Paris, Calmann, 1915. — Aujourd'hui et Demain, études, ibid. 1916. — La Campagne et la Guerre, études, Paris, Eggiman, 1916. — Notes d'un Amateur de Couleurs, études d'art, Paris, Marne, 1916. — La Closerie de Champdolent, roman, Paris, Calmann, 1917. — Les Nouveaux Oberlé, ibid. 1919. — Charles de Foucault, étude, Paris, Pion, 1921.
(N.B. — Nous n'avons compris dans cette liste que les éditions courantes en librairie des ouvrages de M. René Bazin, sans tenir compte des nombreuses éditions illustrées de ses romans ou nouvelles, ni de ses conférences, ni de ses collaborations dans les Revues et la grande Presse, Nous ne croyons pas que personne, et peut-être M. Bazin lui-même, ait encore dressé le tableau complet de son œuvre, que trente-huit ans de labeur quotidien et soutenu ont rendue considérable).




Extrait de l'ouvrage Poètes angevins d'aujourd'hui, essais anthologiques de Marc Leclerc, Société des artistes angevins, Paul Lefebvre libr.-édit. (Paris), 1922, 134 p.

Marc Leclerc (1874-1946), homme de lettres angevin, créateur des rimiaux, peintre, conférencier, membre de la Société des artistes angevins.

René Bazin (Angers 1853-Paris 1932), homme de lettres (romancier, journaliste, historien, essayiste) et juriste.


Du même ouvrage : Paul Pionis, Paul Sonniès.


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