Poètes angevins par M. Leclerc - Paul Sonniès
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L'ordre chronologique m'amène à parler maintenant du Président
de la Société des Artistes Angevins, Paul Peysonnié, Conseiller à la
Cour de Cassation, en littérature Paul Sonniès :
Cet Angevin de Paris est né à Narbonne en 1853, mais il ne fit qu'y passer, et sur ses lèvres enfantines le Vin d'Anjou remplaça de bonne heure le lait nourricier. De son enfance à Angers, où son Père était Officier au 16e de Ligne, de ses études au Lycée, de sa jeunesse indépendante et laborieuse où il dut se faire lui-même une place au soleil, tour à tour ou simultanément maître d'études, professeur, avocat, juge de paix en Algérie, et enfin magistrat en France, je passe de suite à son œuvre ; ceux qui voudront savoir un peu de l'épopée chaotique, picaresque et douloureuse parfois, que fut sa vie pendant des années, se reporteront à la spirituelle plaquette qu'a publiée sur lui Marc Langlais, aux éditions de l'Écho Littéraire et Artistique.
Le théâtre d'abord l'attira (il avait, à quinze ans, commencé d'écrire sur Torquemada un drame que la concurrence de Victor Hugo lui fit abandonner) et ce fut en Anjou, à Saumur, où il était jeune Procureur de la République, qu'il écrivit cet « Arlequin-Séducteur », qu'après bien des vicissitudes il put enfin voir jouer au Vaudeville ; puis ce furent « Lulu-Jojo », étourdissante fantaisie, représentée au Grand Guignol, « Fausta », jouée à l'Odéon avec un succès triomphal, d'autres encore, et, enfin, le classant définitivement, cette magnifique traduction de « Coriolan » qui fit courir à l'Odéon le Tout-Paris artistique : fidèle à la lettre comme à l'esprit de Shakespeare, Paul Sonniès avait comme le Maître fait parler en vers tous ses personnages nobles, réservant la prose pour la vile plèbe.... mais M. Antoine, chacun le sait, n'aime pas les vers, et le Poète, la mort dans l'âme, dut « prosaïser » ses alexandrins., ce lui fut une amertume !
Poète parnassien, fidèle au culte de la forme, Paul Sonniès a donné un recueil de poésies d'une facture parfaite, « Les Idoles », dont j'extrais, fragment d'un tryptique que je mutile à regret, ce beau sonnet :
- LE SECRET DU BONHEUR
- Travail béni, travail sacré, source de joie,
- Tu gardes pour tous ceux par qui tu fus aimé
- Le secret du bonheur, le passage fermé
- Aux mortels qui se sont détournés de ta voie.
- Et contre toi pourtant toute la meute aboie ;
- C'est le rebut du monde à sa perte animé,
- Ceux qui t'ont méconnu, ceux qui t'ont blasphémé,
- Les fous aux yeux luisants où la fureur flamboie,
- Paresseux qui seront des révoltés demain,
- Ivrognes vomissant aux bornes du chemin,
- Leurs vices ont marqué la vertu pour otage.
- A d'autres les devoirs ! Les droits seuls sont pour eux,
- Payez tribut, ils vont exiger davantage,
- Eternels mécontents, éternels malheureux !
Mais, car son œuvre comme sa vie est pleine de contrastes, il a publié, en prose, deux volumes de contes gaulois et symboliques, l'« Histrianon » et « l'Ane Rouge et le Démon Vert », où, dans une fantaisie échevelée,une satire acérée s'enveloppe de verve rabelaisienne : une fois sorti du Prétoire, et dépouillée sa toge rouge, Paul Sonniès, Juvénal moderne, castigat ridendo... il n'est que de lire, pour s'en rendre compte, le « Couronnement de l'Ane » ou le « Corbeau Blanc ».
Toutefois, revenant au Poète, je m'en voudrais de ne pas citer ici le très beau poème qu'en 1909, aux inoubliables fêtes de Liré, notre compatriote Mme Lherbay, de la Comédie Française, artiste de grand cœur et de grand talent, lut pour la première fois, devant le monument élevé à Joachim Du Bellay par les soins de l'Angevin de Paris et de la Société des Artistes Angevins :
- LE DERNIER RÊVE
- Le poète expirant, pauvre, chétif et seul
- Tourmentait sous ses doigts les plis de son linceul
- Et, guettant tous les bruits que le silence apporte,
- Il écoutait la Mort s'approcher de sa porte.
- Deux coups brusques frappés le remplirent d'émoi,
- On ouvrit. Sur le seuil on murmura : C'est moi.
- Puis une ombre glissant jusqu'au lit d'agonie
- Où du Bellay cachait sa détresse infinie
- Dit : — J'accours de la Ville Eternelle. Ecoutez :
- Me reconnaissez-vous ? — Oui. Parmi les clartés
- Je vois devant mes yeux, pas pour longtemps, peut-être,
- L'ami Fra Lorenzo, le peintre. — Non, le prêtre,
- Qui vient à vous de Rome. — Ami des jours passés,
- Merci ! Mais le temps fuit... M'en reste-t-il assez
- Pour qu avant de mourir je confesse mes fautes ?
- Bénissez-moi, mon Père. — Et les paroles hautes
- Se fondirent dans ce souffle immatériel
- De la confession qui monte vers le ciel.
- Puis le moine étendit le geste qui pardonne
- Sur le chrétien mourant : — Vous que l'on abandonne,
- Allez, dit-il, partez vers la gloire de Dieu,
- Et n'ayez ni regrets ni pleurs pour dire adieu
- A ce monde qui n'est que boue et que poussière.
- — Je pars et malgré moi je regarde en arrière,
- Soupira du Bellay. Mes vers inachevés
- Périront. J'espérais qu'ils seraient conservés,
- Qu'ils chanteraient parfois sur les lèvres des hommes ;
- Poètes, nous rêvons, songe-creux que nous sommes !
- La gloire me nommait parmi ses courtisans :
- La mort me prend : je n'ai pas même quarante ans !
- — Le moine dit : Qu'importe une œuvre passagère,
- Le bonheur d'ici- bas, c'est la rive étrangère
- Qu'on voit luire très loin et qui fuit devant nous.
- Faut-il courber la tête et fléchir les genoux
- Devant la vision d'un fantôme illusoire
- Que le hasard évoque et qu'on appelle gloire ?
- Levez les yeux au ciel et n'adorez que Dieu.
- Comme vous j'aime l'art. J'ai peint dans le Saint Lieu
- Des Madones, des Christs, des fresques éclatantes,
- Judith debout dans l'ombre où s'effacent les tentes,
- l'archange Saint Michel transperçant le Dragon
- Et Samson renversant le temple de Dagon.
- Les murs que longuement j'ai couverts de mes œuvres
- Deviendront tout au plus des nids pour les couleuvres.
- J'ai voulu faire luire un éclair de beauté :
- Mon nom n'est pas inscrit sur tant de vanité ! —
- Le silence se fit au chevet du poète.
- Puis du Bellay, dans un effort, leva la tête,
- Et, du regard, cherchant le ciel, il murmura :
- — J'accepte mon destin. Mon œuvre périra
- Si Dieu le veut ainsi. L'orgueil de ma pensée
- Passera comme une ombre aussitôt effacée...
- Et pourtant j'avais fait un rêve, un dernier vœu,
- Le suprême péché dont je vous dois l'aveu :
- Si la France ne peut m' accorder d'autre gloire,
- Qu'au moins l'heureux Anjou caressé par la Loire
- Garde pieusement du Bellay de l'oubli.
- Que mon corps ignoré seul soit enseveli ;
- Mais qu'au bord du chemin où sourit mon village.
- Dans le petit Liré, mon nom et mon image
- Survivent, échappés à la nuit du tombeau.
- Là, qu'un sonnet, le mieux inspiré, le plus beau,
- Celui qui célébra la douceur angevine
- Se creuse en lettres d'or dans une ardoise fine
- Comme un dernier adieu du poète subtil... —
- Le moine eut un sanglot et dit : Ainsi soit-il !
BIBLIOGRAPHIE. — Arlequin Séducteur, un acte en vers (Vaudeville). Paris, Ollendorf 1889. — Karita, un acte en vers (Vaudeville) ibid. 1892. — Fausta, quatre actes en vers (Œuvre) ibid. 1899. — Lulu-Jojo, un acte en prose (Grand-Guignol) Paris, Fasquelle, 1904. — Les Idoles, poésies, Paris, Ollendorf, 1909. — Coriolan, cinq actes en vers et prose, traduction de Shakespeare, (Odéon) ibid. 1910. — L'Histrianon, nouvelles, ibid. 1913. — L'Ane Rouge et le Démon Vert, roman, Paris, Renaissance du Livre, 1919.
(Ajoutons que, près de Paul Sonniès, M. le Conseiller Paul Peyssonnié a publié en 1921, sous le titre : « Saucisse et Soubressade », une piquante analyse d'un récent procès de fraudes alimentaires).
Extrait de l'ouvrage Poètes angevins d'aujourd'hui, essais anthologiques de Marc Leclerc, Société des artistes angevins, Paul Lefebvre libr.-édit. (Paris), 1922, 134 p.
Marc Leclerc (1874-1946), homme de lettres angevin, créateur des rimiaux, peintre, conférencier, membre de la Société des artistes angevins.
Paul Sonniès (1853-1928), pseudonyme de Paul Peyssonnié, magistrat, auteur dramatique.
Du même ouvrage : Paul Pionis. Voir aussi Rimiaux d'Anjou : Progrès.
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