Discussion:L'exode de juin 1940/2014-04-06 l'exode de juin 1940
Texte inséré sur la page L'exode de juin 1940.
Page protégée afin de préserver le témoignage original.
« Dans le grand désordre de la défaite et de l'exode, dans la matinée du 17, le gouvernement Pétain à peine installé s'inquiète des moyens pour maintenir l'ordre. Pour un gouvernement qui n'a jamais, ou n'a pas voulu prévenir, il se met à avoir des idées qui fait des drames supplémentaires.
Un télégramme interdit à tous les civils l'accès des trains militaires : « Interdiction formelle de mise en route de tous nouveaux trains de réfugiés. Faire arrêter tous trains de réfugiés en circulation aux premières gares atteintes et en faire descendre les occupants. ». C'est ainsi que je me suis retrouvé avec mes grands-parents, ma tante Régine et mon arrière-grand-mère Hans-Haudebourg, à Saumur, dans le train du Prytanée militaire de La Flèche.
Mais il faut que je revienne quelques jours en arrière. De fausses nouvelles circulent. Déjà éprouvée par la séparation d'avec mon père, qui était dans l'armée en Alsace, ma mère part du Mans sur la route avec son vélo, me transportant avec un autre petit garçon qu'elle élevait, et une valise. Nous arrivons à La Flèche chez mes grands-parents. Ils doivent partir avec le train du Prytanée militaire, mon grand-père Auguste Joubert y travaillant comme responsable de l'atelier de menuiserie ébénisterie. Le train doit partir le soir même. Ma mère arrive en fin de matinée, nous dépose chez mes grands-parents, et repart au Mans où elle arrive fatiguée, et s'endort une fois chez nous.
Elle en repart avec mon frère ainé Roger, et quelques objets et vêtements entassés dans une poussette, le vélo à la main, car elle n'a trouvée personne pour conduire la voiture, ne sachant pas conduire elle-même. (…)
Elle fait ce deuxième voyage à pieds. Arrivée à La Flèche, quand elle atteint la maison de mes grands-parents, ils sont partis. Des voisins lui expliquent qu'ils ont attendu jusqu'à la dernière extrémité du départ du train du Prytanée. Elle reprend son vélo, car on lui a dit que le train allait sur Saumur. C'est ainsi que je ne revis ma mère que six mois plus tard.
Le Prytanée quitte La Flèche par le train, le dimanche 16 juin 1940 à 15h10 en direction de Billom, pour finalement s'arrêter à Biarritz le 21 juin 1940. Il repart de Biarritz le 27 juin pour Billom. Arrivé le 30 juin, le Prytanée s'installe à Valence le 17 septembre 1940 (renseignements confirmés par le journal de Marche du Prytanée).
Elle arrive enfin à Saumur, et y apprend que le train est parti avec d'autres personnes. Elle repart en suivant les voies de chemin de fer. Elle et mon frère se retrouvent au milieu de la mitraille, les balles sifflent dans l'air. Dans un moment de calme, elle retourne vers la gare où elle avait perdu son sac à main. Elle le retrouve, il était sous un wagon. Heureusement, car elle a vue des gens piller des wagons de légumes ; fruits et tabac sont éventrés. Ma mère et mon frère passent la nuit dans un fossé, coincés entre Allemands et cavalerie de Saumur. Le lendemain, avec d'autres personnes, elle se rend dans un petit village, dont je ne me souviens plus du nom. Elle restera là une huitaine de jours, avant de repartir à pieds vers Le Mans. Sur la route du retour, elle voit des gens dévaliser des fermes, habits, chevaux, et personne ne dit rien.
Je me rappelle de mon arrière-grand-mère Hans-Haudebourg, qui avait connu la guerre de 1870. (…) Ma grand-mère, je la revoie très bien, avec ses bonnets de dentelle, habillée de noir, avec ses sabots, marchant courbée aidée de sa canne. Ce que l'on a pu la faire fâcher avec mon frère !... On marchait derrière elle, et elle se retournant, nous disait : « Vous verrez petit chenapans lorsque vous aurez mon âge ! ».
Je la revoie aussi dans ce drôle de voyage de la débâcle de 1940, avec sa canne et son panier noir, que nous avons gardé en son souvenir. Elle disait, je ne reverrais jamais mon pays, cette guerre me tue, on ne pourra jamais revenir. Pourtant on est revenus dans sa petite pièce meublée de souvenirs, ses meubles bien cirés, et son lit que nous avons gardé.
Cet exode continue. J'étais avec mes grands-parents, le train continue sa course vers le sud, s'arrête souvent et repart après des contre-ordres. Souvent, il repart avec des manquants qui allaient chercher de la nourriture, du lait. Mon grand-père a repris une fois le train en marche de justesse. Le train s'arrête quelques jours à Billom, à quelques kilomètres de Clermont-Ferrand. Nous sommes logés dans de petites pièces, couchés sur la paille. Ma tante me lave dans une cuvette à côté d'un tas de bois. Je le revois comme si c'était hier. Les gens jetaient leurs détritus par les fenêtres, dans un petit ruisseau qui passait au pied des maisons. Ma grand-mère appelait cette petite rivière, le merdaillon. (…)
Ensuite nous repartons pour Biarritz. Arrivés, nous sommes logés dans le casino. Les gens, les uns sur les autres, au milieu de leurs bagages, enfin ce qui leurs en restaient, cherchent à s'installer au milieu des paillasses placées au sol. Mais c'était déjà mieux que les wagons surchauffés, couchés sur les banquettes. Pendant ce temps-là ma grand-mère cherche de quoi manger. Moi, je vais me promener jusqu'au rocher de la Vierge, sur la côte de Biarritz.
Après quelques temps nous sommes rentrés à La Flèche, tandis que mon grand-père continuait avec le Prytanée vers la Provence. Il rentrera plus tard, passant la ligne de démarcation.
Jacques Constant Bellanger - Janvier 2005 »