87 314
modifications
(Franck-fnba a déplacé la page Les regrets de Joachim Du Bellay vers Les regrets de Joachim Du Bellay (XXXIe sonnet)) |
(texte) |
||
Ligne 1 : | Ligne 1 : | ||
{{Document-entete | |||
| titre = Les Regrets | |||
| auteur = Joachim Du Bellay | |||
| année = 1558 | |||
| éditeur = Revue de la Renaissance (Paris), 1910 | |||
| notes = T. III des ''Œuvres complètes de Joachim Du Bellay'', p. 25-116 | |||
}} | |||
::::: <big>'''''AD LECTOREM'''''</big> | |||
: Quem, Lector, tibi nunc damus libellum. | |||
: Hic fellisque simul, simulque mellis, | |||
: Permixtumque salis refert saporem. | |||
: Si gratum quid erit tuo palato, | |||
: Huc conviva veni, tibi hæc parata est, | |||
: Cœna : sin minus, hinc facesse, quæso : | |||
: Ad hanc te volui haud vocare cœnam. | |||
::::: <big>À MONSIEUR D’AVANSON</big> | |||
::::: <big>Conseiller du Roy</big> | |||
::::: <big>EN SON PRIVÉ CONSEIL</big> | |||
: Si je n’ay plus la faveur de la Muse, | |||
: Et si mes vers se trouvent imparfaits, | |||
: Le lieu, le temps, l’aage où je les ay faits, | |||
: Et mes ennuis leur serviront d’excuse. | |||
: J’estois à Rome au milieu de la guerre, | |||
: Sortant desjà de l’aage plus dispos, | |||
: A mes travaux cerchant quelque repos, | |||
: Non pour louange ou pour faveur acquerre. | |||
: Ainsi voit-on celuy qui sur la plaine | |||
: Picque le bœuf ou travaille au rampart, | |||
: Se resjouir, et d’un vers fait sans art | |||
: S’esvertuer au travail de sa peine. | |||
: Celuy aussi, qui dessus la galere | |||
: Fait escumer les flots à l’environ, | |||
: Ses tristes chants accorde à l’aviron, | |||
: Pour esprouver la rame plus legère. | |||
: On dit qu’Achille, en remaschant son ire, | |||
: De tels plaisirs souloit s’entretenir, | |||
: Pour addoucir le triste souvenir | |||
: De sa maistresse, aux fredons de sa lyre. | |||
: Ainsi flattoit le regret de la sienne | |||
: Perdue, hélas, pour la seconde fois, | |||
: Cil qui jadis aux rochers et aux bois | |||
: Faisoit ouïr sa harpe Thracienne. | |||
: La Muse ainsi me fait sur ce rivage, | |||
: Où je languis banni de ma maison, | |||
: Passer l’ennuy de la triste saison, | |||
: Seule compaigne à mon si long voyage. | |||
: La Muse seule au milieu des alarmes | |||
: Est asseuree, et ne pallist de peur : | |||
: La Muse seule au milieu du labeur | |||
: Flatte la peine et desseiche les larmes. | |||
: D’elle je tiens le repos et la vie, | |||
: D’elle j’apprens à n’estre ambitieux, | |||
: D’elle je tiens les saincts presens des Dieux, | |||
: Et le mespris de fortune et d’envie. | |||
: Aussi sçait-elle, aiant dès mon enfance | |||
: Tousjours guidé le cours de mon plaisir, | |||
: Que le devoir, non l’avare desir, | |||
: Si longuement me tient loin de la France. | |||
: Je voudrois bien (car pour suivre la Muse | |||
: J’ay sur mon doz chargé la pauvreté) | |||
: Ne m’estre au trac des neuf Sœurs arresté, | |||
: Pour aller voir la source de Meduse. | |||
: Mais que feray-je à fin d’eschapper d’elles ? | |||
: Leur chant flatteur a trompé mes esprits, | |||
: Et les appas ausquels elles m’ont pris | |||
: D’un doux lien ont englué mes ailes. | |||
: Non autrement que d’une douce force | |||
: D’Ulysse estoyent les compagnons liez, | |||
: Et, sans penser aux travaux oubliez | |||
: Aimoyent le fruict qui leur servoit d’amorce. | |||
: Celuy qui a de l’amoureux breuvage | |||
: Gousté, mal sain, le poison doux-amer, | |||
: Cognoit son mal, et contraint de l’aymer, | |||
: Suit le lien qui le tient en servage. | |||
: Pour ce me plaist la douce poésie, | |||
: Et le doux traict par qui je fus blessé : | |||
: Dès le berceau la Muse m’a laissé | |||
: Cest aiguillon dedans la fantaisie. | |||
: Je suis content qu’on appelle folie | |||
: De nos esprits la saincte deité, | |||
: Mais ce n’est pas sans quelque utilité | |||
: Que telle erreur si doucement nous lie. | |||
: Elle esblouït les yeux de la pensee | |||
: Pour quelquefois ne voir nostre malheur, | |||
: Et d’un doux charme enchante la douleur | |||
: Dont nuict et jour nostre ame est offensee. | |||
: Ainsi encor’ la vineuse prestresse, | |||
: Qui de ses criz Ide va remplissant, | |||
: Ne sent le coup du thyrse la blessant, | |||
: Et je ne sens le malheur qui me presse. | |||
: Quelqu’un dira : de quoy servent ses plainctes ? | |||
: Comme de l’arbre on voit naistre le fruict, | |||
: Ainsi les fruicts que la douleur produict, | |||
: Sont les souspirs et les larmes non feinctes. | |||
: De quelque mal un chacun se lamente, | |||
: Mais les moyens de plaindre sont divers : | |||
: J’ay, quant à moy, choisi celuy des vers | |||
: Pour desaigrir l’ennuy qui me tourmente. | |||
: Et c’est pourquoy d’une douce satyre | |||
: Entremeslant les espines aux fleurs, | |||
: Pour ne fascher le monde de mes pleurs, | |||
: J’appreste ici le plus souvent à rire. | |||
: Or si mes vers méritent qu’on les louë, | |||
: Ou qu’on les blasme, à vous seul entre tous | |||
: Je m’en rapporte ici : car c’est à vous, | |||
: A vous, Seigneur, à qui seul je les vouë : | |||
: Comme celuy qui avec la sagesse | |||
: Avez conjoint le droit et l’equité, | |||
: Et qui portez de toute antiquité | |||
: Joint à vertu le titre de noblesse : | |||
: Ne dedaignant, comme estoit la coustume, | |||
: Le long habit, lequel vous honorez, | |||
: Comme celuy qui sage n’ignorez | |||
: De combien sert le conseil et la plume. | |||
: Ce fut pourquoy ce sage et vaillant Prince, | |||
: Vous honorant du nom d’Ambassadeur, | |||
: Sur vostre doz deschargea sa grandeur, | |||
: Pour la porter en estrange Province : | |||
: Recompensant d’un estat honorable | |||
: Vostre service, et tesmoignant assez | |||
: Par le loyer de vos travaux passez, | |||
: Combien luy est tel service aggreable. | |||
: Qu’autant vous soit aggreable mon livre, | |||
: Que de bon cœur je le vous offre ici : | |||
: Du mesdisant j’auray peu de souci | |||
: Et seray seur à tout jamais de vivre. | |||
::::: <big>'''A SON LIVRE''' </big> | |||
: Mon livre (et je ne suis sur ton aise envieux), | |||
: Tu t’en iras sans moy voir la Court de mon Prince. | |||
: Hé chétif que je suis, combien en gré je prinsse, | |||
: Qu’un heur pareil au tien fust permis à mes yeux ! | |||
: Là si quelqu’un vers toy se monstre gracieux, | |||
: Souhaitte luy qu’il vive heureux en sa province : | |||
: Mais si quelque malin obliquement te pince, | |||
: Souhaitte luy tes pleurs, et mon mal ennuyeux. | |||
: Souhaitte luy encor’ qu’il face un long voyage, | |||
: Et bien qu’il ait de veuë eslongné son mesnage, | |||
: Que son cœur, où qu’il voise, y soit tousjours present. | |||
: Souhaitte qu’il vieillisse en longue servitude, | |||
: Qu’il n’esprouve à la fin que toute ingratitude, | |||
: Et qu’on mange son bien pendant qu’il est absent. | |||
::::: <big>'''LES REGRETS''' </big> | |||
::::: <big>'''DE'''</big> | |||
::::: <big>'''JOACHIM DU BELLAY'''</big> | |||
::::: <big>'''ANGEVIN'''<big> | |||
::: I | |||
: Je ne veux point fouiller au sein de la nature, | |||
: Je ne veux point cercher l’esprit de l’univers, | |||
: Je ne veux point sonder les abysmes couvers, | |||
: N’y dessigner du ciel la belle architecture. | |||
: Je ne peins mes tableaux de si riche peinture, | |||
: Et si hauts argumens ne recerche à mes vers : | |||
: Mais suivant de ce lieu les accidens divers, | |||
: Soit de bien, soit de mal, j’escris à l’adventure. | |||
: Je me plains à mes vers, si j’ay quelque regret, | |||
: Je me ris avec eux, je leur di mon secret, | |||
: Comme estans de mon cœur les plus seurs secretaires. | |||
: Aussi ne veux-je tant les peigner et friser, | |||
: Et de plus braves noms ne les veux desguiser, | |||
: Que de papiers journaux, ou bien de commentaires. | |||
::: II | |||
: Un plus sçavant que moy (Paschal) ira songer | |||
: Avesques l’Ascrean dessus la double cyme : | |||
: Et pour estre de ceux dont on fait plus d’estime, | |||
: Dedans l’onde au cheval tout nud s’ira plonger. | |||
: Quant à moy, je ne veux, pour un vers allonger, | |||
: M’accourcir le cerveau : ni pour polir ma rime, | |||
: Me consumer l’esprit d’une soigneuse lime, | |||
: Frapper dessus ma table, ou mes ongles ronger. | |||
: Aussi veux-je (Paschal) que ce que je compose | |||
: Soit une prose en ryme, ou une ryme en prose, | |||
: Et ne veux pour cela le laurier meriter. | |||
: Et peut estre que tel se pense bien habile, | |||
: Qui trouvant de mes vers la ryme si facile, | |||
: En vain travaillera, me voulant imiter. | |||
::: III | |||
: N’estant, comme je suis, encore exercité | |||
: Par tant et tant de maux au jeu de la Fortune, | |||
: Je suivois d’Apollon la trace non commune, | |||
: D’une saincte fureur sainctement agité. | |||
: Ores ne sentant plus ceste divinité, | |||
: Mais picqué du souci qui fascheux m’importune, | |||
: Une adresse j’ay pris beaucoup plus opportune | |||
: A qui se sent forcé de la necessité. | |||
: Et c’est pourquoy (Seigneur) ayant perdu la trace | |||
: Que suit vostre Ronsard par les champs de la Grace, | |||
: Je m’adresse où je voy le chemin plus battu : | |||
: Ne me bastant le cœur, la force, ni l’haleine, | |||
: De suivre, comme luy, par sueur et par peine, | |||
: Ce penible sentier qui meine à la vertu. | |||
::: IV | |||
: Je ne veux feuilleter les exemplaires Grecs, | |||
: Je ne veux retracer les beaux traits d’un Horace, | |||
: Et moins veux-je imiter d’un Petrarque la grace, | |||
: Ou la voix d’un Ronsard pour chanter mes regrets. | |||
: Ceux qui sont de Phœbus vrais poëtes sacrez, | |||
: Animeront leurs vers d’une plus grand’ audace : | |||
: Moy, qui suis agité d’une fureur plus basse, | |||
: Je n’entre si avant en si profonds secrets. | |||
: Je me contenteray de simplement escrire | |||
: Ce que la passion seulement me fait dire, | |||
: Sans recercher ailleurs plus graves argumens. | |||
: Aussi n’ay-je entrepris d’imiter en ce livre | |||
: Ceux qui par leurs escrits se vantent de revivre, | |||
: Et se tirer tout vifs dehors des monuments. | |||
::: V | |||
: Ceux qui sont amoureux, leurs amours chanteront, | |||
: Ceux qui aiment l’honneur, chanteront de la gloire, | |||
: Ceux qui sont près du Roy, publieront sa victoire, | |||
: Ceux qui sont courtisans, leurs faveurs vanteront : | |||
: Ceux qui aiment les arts, les sciences diront, | |||
: Ceux qui sont vertueux, pour tels se feront croire, | |||
: Ceux qui aiment le vin, deviseront de boire, | |||
: Ceux qui sont de loisir, de fables escriront : | |||
: Ceux qui sont mesdisans, se plairont à mesdire, | |||
: Ceux qui sont moins fascheux, diront des mots pour rire, | |||
: Ceux qui sont plus vaillans, vanteront leur valeur : | |||
: Ceux qui se plaisent trop, chanteront leur louange, | |||
: Ceux qui veulent flater, feront d’un diable un ange : | |||
: Moy, qui suis malheureux, je plaindray mon malheur. | |||
::: VI | |||
: Las, où est maintenant ce mespris de Fortune ? | |||
: Où est ce cœur vainqueur de toute adversité, | |||
: Cest honneste desir de l’immortalité, | |||
: Et ceste honneste flamme au peuple non commune ? | |||
: Où sont ces doux plaisirs, qu’au soir sous la nuict brune | |||
: Les Muses me donnoyent, alors qu’en liberté | |||
: Dessus le vert tapy d’un rivage escarté | |||
: Je les menois danser aux rayons de la Lune ? | |||
: Maintenant la fortune est maistresse de moy, | |||
: Et mon cœur qui souloit estre maistre de soy, | |||
: Est serf de mille maux et regrets qui m’ennuyent. | |||
: De la posterité je n’ay plus de souci, | |||
: Ceste divine ardeur, je ne l’ay plus aussi, | |||
: Et les Muses de moy, comme estranges, s’enfuyent. | |||
::: VII | |||
: Cependant que la Court mes ouvrages lisoit, | |||
: Et que la Sœur du Roy, l’unique Marguerite, | |||
: Me faisant plus d’honneur que n’estoit mon merite, | |||
: De son bel œil divin mes vers favorisoit, | |||
: Une fureur d’esprit au ciel me conduisoit | |||
: D’une aile qui la mort et les siecles évite, | |||
: Et le docte troppeau qui sur Parnasse habite, | |||
: De son feu plus divin mon ardeur attisoit. | |||
: Ores je suis muet, comme on voit la Prophete, | |||
: Ne sentant plus le dieu qui la tenoit sujette, | |||
: Perdre soudainement la fureur et la voix. | |||
: Et qui ne prend plaisir qu’un Prince luy commande ? | |||
: L’honneur nourrit les arts, et la Muse demande | |||
: Le théâtre du peuple et la faveur des Rois. | |||
::: VIII | |||
: Ne t’esbahis, Ronsard, la moitié de mon ame, | |||
: Si de ton Dubellay France ne lit plus rien, | |||
: Et si avecques l’air du ciel Italien | |||
: Il n’a humé l’ardeur que l’Italie enflamme. | |||
: Le sainct rayon qui part des beaux yeux de ta dame, | |||
: Et la saincte faveur de ton Prince et du mien, | |||
: Cela (Ronsard), cela, cela merite bien | |||
: De t’eschauffer le cœur d’une si vive flamme. | |||
: Mais moy, qui suis absent des rayz de mon Soleil, | |||
: Comment puis-je sentir eschauffement pareil | |||
: A celuy qui est près de sa flamme divine ? | |||
: Les costaux soleillez de pampre sont couvers | |||
: Mais des Hyperborez les eternels hyvers | |||
: Ne portent que le froid, la neige, et la bruine. | |||
::: IX | |||
: France, mère des arts, des armes et des loix, | |||
: Tu m’as nourri long temps du laict de ta mammelle, | |||
: Ores, comme un aigneau qui sa nourrice appelle, | |||
: Je remplis de ton nom les antres et les bois. | |||
: Si tu m’as pour enfant advoué quelquefois, | |||
: Que ne me respons-tu maintenant, ô cruelle ? | |||
: France, France, respons à ma triste querelle : | |||
: Mais nul, sinon Écho, ne respond à ma voix. | |||
: Entre les loups cruels j’erre parmi la plaine, | |||
: Je sens venir l’hyver, de qui la froide haleine | |||
: D’une tremblante horreur fait herisser ma peau. | |||
: Las, tes autres aigneaux n’ont faute de pasture, | |||
: Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure : | |||
: Si ne suis-je pourtant le pire du troppeau. | |||
::: X | |||
: Ce n’est le fleuve Thusque au superbe rivage, | |||
: Ce n’est l’air des Latins ni le mont Palatin, | |||
: Qui ores (mon Ronsard) me fait parler Latin, | |||
: Changeant à l’estranger mon naturel langage : | |||
: C’est l’ennuy de me voir trois ans, et d’avantage, | |||
: Ainsi qu’un Prométhé, cloué sur l’Aventin, | |||
: Où l’espoir miserable et mon cruel destin, | |||
: Non le joug amoureux, me detient en servage. | |||
: Et quoy (Ronsard), et quoy, si au bord estranger, | |||
: Ovide osa sa langue en barbare changer, | |||
: Afin d’estre entendu, qui me pourra reprendre | |||
: D’un change plus heureux ? nul, puisque le François, | |||
: Quoy qu’au Grec et Romain egalé tu te sois, | |||
: Au rivage Latin ne se peut faire entendre. | |||
::: XI | |||
: Bien qu’aux arts d’Apollon le vulgaire n’aspire, | |||
: Bien que de tels tresors l’avarice n’ait soin, | |||
: Bien que de tels harnois le soldat n’ait besoin, | |||
: Bien que l’ambition tels honneurs ne desire : | |||
: Bien que ce soit aux grands un argument de rire, | |||
: Bien que les plus rusez s’en tiennent le plus loin, | |||
: Et bien que Dubellay soit suffisant tesmoin, | |||
: Combien est peu prisé le mestier de la lyre : | |||
: Bien qu’un art sans profit ne plaise au courtisan, | |||
: Bien qu’on ne paye en vers l’œuvre d’un artisan, | |||
: Bien que la Muse soit de pauvreté suyvie, | |||
: Si ne veux-je pourtant delaisser de chanter, | |||
: Puis que le seul chant peut mes ennuis enchanter, | |||
: Et qu’aux Muses je doy bien six ans de ma vie. | |||
::: XII | |||
: Veu le soing mesnager, dont travaillé je suis, | |||
: Veu l’importun souci, qui sans fin me tormente, | |||
: Et veu tant de regrets, desquels je me lamente, | |||
: Tu t’esbahis souvent comment chanter je puis. | |||
: Je ne chante (Magny) je pleure mes ennuis : | |||
: Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante. | |||
: Si bien qu’en les chantant, souvent je les enchante : | |||
: Voilà pourquoi (Magny) je chante jours et nuicts. | |||
: Ainsi chante l’ouvrier en faisant son ouvrage, | |||
: Ainsi le laboureur faisant son labourage, | |||
: Ainsi le pelerin regrettant sa maison, | |||
: Ainsi l’avanturier en songeant à sa dame, | |||
: Ainsi le marinier en tirant à la rame, | |||
: Ainsi le prisonnier maudissant sa prison. | |||
::: XIII | |||
: Maintenant je pardonne à la douce fureur, | |||
: Qui m’a fait consumer le meilleur de mon aage, | |||
: Sans tirer autre fruict de mon ingrat ouvrage, | |||
: Que le vain passe-temps d’une si longue erreur. | |||
: Maintenant je pardonne à ce plaisant labeur, | |||
: Puisque seul il endort le souci qui m’outrage, | |||
: Et puis que seul il fait qu’au milieu de l’orage | |||
: Ainsi qu’auparavant je ne tremble de peur. | |||
: Si les vers ont esté l’abus de ma jeunesse, | |||
: Les vers seront aussi l’appuy de ma vieillesse, | |||
: S’ils furent ma folie, ils seront ma raison. | |||
: S’ils furent ma blessure, ils seront mon Achille, | |||
: S’ils furent mon venin, le scorpion utile, | |||
: Qui sera de mon mal la seule guarison. | |||
::: XIV | |||
: Si l’importunité d’un crediteur me fasche, | |||
: Les vers m’ostent l’ennuy du fascheux crediteur : | |||
: Et si je suis fasché d’un fascheux serviteur, | |||
: Dessus les vers (Boucher) soudain je me desfasche. | |||
: Si quelqu’un dessus moy sa cholere deslasche, | |||
: Sur les vers je vomis le venin de mon cœur : | |||
: Et si mon foible esprit est recreu du labeur, | |||
: Les vers font que plus frais je retourne à ma tasche. | |||
: Les vers chassent de moy la molle oisiveté, | |||
: Les vers me font aymer la douce liberté, | |||
: Les vers chantent pour moi ce que dire je n’ose. | |||
: Si donc j’en recueillis tant de profits divers, | |||
: Demandes-tu (Boucher) de quoy servent les vers, | |||
: Et quel bien je reçoy de ceux que je compose ? | |||
::: XV | |||
: Panjas, veux-tu sçavoir quels sont mes passe-temps ? | |||
: Je songe au lendemain, j’ay soing de la despense | |||
: Qui se fait chacun jour, et si faut que je pense | |||
: À rendre sans argent cent crediteurs contents : | |||
: Je vais, je viens, je cours, je ne perds point le temps, | |||
: Je courtise un banquier, je prens argent d’avance, | |||
: Quand j’ay despesché l’un, un autre recommence, | |||
: Et ne fais pas le quart de ce que je pretends. | |||
: Qui me presente un compte, une lettre, un memoire, | |||
: Qui me dit que demain est jour de consistoire, | |||
: Qui me rompt le cerveau de cent propos divers, | |||
: Qui se plaint, qui se deult, qui murmure, qui crie : | |||
: Avecques tout cela, dy (Panjas) je te prie, | |||
: Ne t’esbahis-tu point comment je fais des vers ? | |||
::: XVI | |||
: Cependant que Magny suit son grand Avanson, | |||
: Panjas son cardinal, et moy le mien encore, | |||
: Et que l’espoir flateur, qui nos beaux ans devore, | |||
: Appaste nos desirs d’un friand hameçon | |||
: Tu courtises les Roys, et d’un plus heureux son | |||
: Chantant l’heur de Henry, qui son siecle decore, | |||
: Tu t’honores toy mesme, et celuy qui honore | |||
: L’honneur que tu luy fais par ta docte chanson. | |||
: Las, et nous ce pendant nous consumons nostre aage | |||
: Sur le bord inconnu d’un estrange rivage, | |||
: Où le malheur nous fait ces tristes vers chanter : | |||
: Comme on voit quelquefois quand la mort les appelle, | |||
: Arrangez flanc à flanc parmi l’herbe nouvelle, | |||
: Bien loin sur un estang trois cygnes lamenter. | |||
::: XVII | |||
: Après avoir longtemps erré sur le rivage, | |||
: Où l’on voit lamenter tant de chetifs de Court, | |||
: Tu as attaint le bord où tout le monde court, | |||
: Fuyant de pauvreté le penible servage. | |||
: Nous autres cependant, le long de ceste plage, | |||
: En vain tendons les mains vers le Nautonier sourd, | |||
: Qui nous chasse bien loin : car, pour le faire court, | |||
: Nous n’avons un quatrin pour payer le naulage. | |||
: Ainsi donc tu jouys du repos bien-heureux, | |||
: Et comme font là-bas ces doctes amoureux, | |||
: Bien avant dans un bois te perds avec ta dame. | |||
: Tu bois le long oubli de tes travaux passez, | |||
: Sans plus penser en ceux que tu as delaissez, | |||
: Criant dessus le port, ou tirant à la rame. | |||
::: XVIII | |||
: Si tu ne sçais (Morel) ce que je fais ici, | |||
: Je ne fais pas l’amour, ni autre tel ouvrage : | |||
: Je courtise mon maistre, et si fais davantage, | |||
: Ayant de sa maison le principal souci. | |||
: Mon Dieu (ce diras-tu), quel miracle est-ce ci, | |||
: Que de voir Dubellay se mesler du mesnage, | |||
: Et composer des vers en un autre langage ! | |||
: Les loups et les aigneaux s’accordent tout ainsi. | |||
: Voilà que c’est, Morel : la douce poesie | |||
: M’accompagne par tout, sans qu’autre fantasie | |||
: En si plaisant labeur me puisse rendre oisif. | |||
: Mais tu me respondras : Donne, si tu es sage, | |||
: De bonne heure congé au cheval qui est d’aage, | |||
: De peur qu’il ne s’empire, et devienne poussif. | |||
::: XIX | |||
: Ce pendant que tu dis ta Cassandre divine, | |||
: Les louanges du Roy, et l’heritier d’Hector, | |||
: Et ce Montmorency, nostre François Nestor, | |||
: Et que de sa faveur Henry t’estime digne : | |||
: Je me pourmeine seul sur la rive Latine, | |||
: La France regrettant, et regrettant encor | |||
: Mes antiques amis, mon plus riche tresor, | |||
: Et le plaisant sejour de ma terre Angevine. | |||
: Je regrette les bois, et les champs blondissans, | |||
: Les vignes, les jardins, et les prez verdissans, | |||
: Que mon fleuve traverse : ici pour recompense. | |||
: Ne voyant que l’orgueil de ces monceaux pierreux, | |||
: Où me tient attaché d’un espoir malheureux, | |||
: Ce que possede moins celuy qui plus y pense. | |||
::: XX | |||
: Heureux, de qui la mort de sa gloire est suyvie, | |||
: Et plus heureux celuy, dont l’immortalité | |||
: Ne prend commencement de la posterité, | |||
: Mais devant que la mort ait son ame ravie. | |||
: Tu jouys (mon Ronsard) même durant ta vie, | |||
: De l’immortel honneur que tu as merité : | |||
: Et devant que mourir (rare felicité) | |||
: Ton heureuse vertu triomphe de l’envie. | |||
: Courage donc (Ronsard), la victoire est à toy, | |||
: Puis que de ton costé est la faveur du Roy : | |||
: Jà du laurier vainqueur tes tempes se couronnent, | |||
: Et jà la tourbe espaisse à l’entour de ton flanc | |||
: Ressemble ses esprits, qui là bas environnent | |||
: Le grand prestre de Thrace au long sourpeli blanc. | |||
::: XXI | |||
: Comte, qui ne fis onc compte de la grandeur, | |||
: Ton Dubellay n’est plus : ce n’est plus qu’une souche | |||
: Qui dessus un ruisseau d’un dos courbé se couche, | |||
: Et n’a plus rien de vif, qu’un petit de verdeur. | |||
: Si j’escri quelquefois, je n’escri point d’ardeur, | |||
: J’escri naïvement tout ce qu’au cœur me touche, | |||
: Soit de bien, soit de mal, comme il vient à la bouche, | |||
: En un stile aussi lent que lente est ma froideur. | |||
: Vous autres ce pendant peintres de la nature, | |||
: Dont l’art n’est pas enclos dans une portraicture | |||
: Contrefaictes des vieux les ouvrages plus beaux. | |||
: Quant à moy, je n’aspire à si haute louange, | |||
: Et ne sont mes portraicts auprès de vos tableaux | |||
: Non plus qu’est un Janet auprès d’un Michel ange. | |||
::: XXII | |||
: Ores, plus que jamais, me plaist d’aimer la Muse. | |||
: Soit qu’en François j’escrive, ou langage Romain, | |||
: Puis que le jugement d’un Prince tant humain, | |||
: De si grande faveur envers les lettres use. | |||
: Donq le sacré mestier où ton esprit s’amuse, | |||
: Ne sera desormais un exercice vain, | |||
: Et le tardif labeur que nous promet ta main, | |||
: Desormais pour Francus n’aura plus nulle excuse. | |||
: Ce pendant (mon Ronsard) pour tromper mes ennuis, | |||
: Et non pour m’enrichir, je suivray, si je puis, | |||
: Les plus humbles chansons de ta Muse lassee. | |||
: Ainsi chascun n’a pas merité que d’un Roy | |||
: La liberalité luy face, comme à toy, | |||
: Ou son archet doré, ou sa lyre crossee. | |||
::: XXIII | |||
: Ne lira-lon jamais que ce Dieu rigoureux ? | |||
: Jamais ne lira-lon que ceste Idalienne ? | |||
: Ne verra-lon jamais Mars sans la Cyprienne ? | |||
: Jamais ne verra-lon que Ronsard amoureux ? | |||
: Retistra-lon tousjours, d’un tour laborieux, | |||
: Ceste toile, argument d’une si longue peine ? | |||
: Reverra-lon tousjours Oreste sur la scène ? | |||
: Sera tousjours Roland par amour furieux ? | |||
: Ton Francus, ce pendant, a beau hausser les voiles, | |||
: Dresser le gouvernail, espier les estoiles, | |||
: Pour aller où il deust estre ancré desormais : | |||
: Il a le vent à gré, il est en equippage, | |||
: Il est encor pourtant sur le Troyen rivage, | |||
: Aussi croy-je (Ronsard) qu’il n’en partit jamais. | |||
::: XXIV | |||
: Qu’heureux tu es (Baïf), heureux et plus qu’heureux, | |||
: De ne suyvre abusé ceste aveugle Deesse, | |||
: Qui d’un tour inconstant et nous hausse et nous baisse, | |||
: Mais cest aveugle enfant qui nous fait amoureux ! | |||
: Tu n’esprouves (Baïf) d’un maistre rigoureux | |||
: Le severe sourci : mais la douce rudesse | |||
: D’une belle, courtoise, et gentile maistresse, | |||
: Qui fait languir ton cœur doucement langoureux. | |||
: Moi chetif ce pendant loin des yeux de mon Prince, | |||
: Je vieillis malheureux en estrange province, | |||
: Fuyant la pauvreté : mais las, ne fuyant pas | |||
: Les regrets, les ennuis, le travail et la peine, | |||
: Le tardif repentir d’une esperance vaine, | |||
: Et l’importun souci, qui me suit pas à pas. | |||
::: XXV | |||
: Malheureux l’an, le mois, le jour, l’heure, et le poinct, | |||
: Et malheureuse soit la flatteuse esperance, | |||
: Quand pour venir ici j’abandonnay la France : | |||
: La France, et mon Anjou dont le desir me poingt. | |||
: Vraiment d’un bon oyseau guidé je ne fus point, | |||
: Et mon cœur me donnoit assez signifiance, | |||
: Que le ciel estoit plein de mauvaise influence, | |||
: Et que Mars estoit lors à Saturne conjoint. | |||
: Cent fois le bon advis lors m’en voulut distraire, | |||
: Mais toujours le destin me tiroit au contraire : | |||
: Et si mon desir n’eust aveuglé ma raison, | |||
: N’estoit-ce pas assez pour rompre mon voyage, | |||
: Quand sur le seuil de l’huis, d’un sinistre presage, | |||
: Je me blessay le pied sortant de ma maison ? | |||
::: XXVI | |||
: Si celuy qui s’appreste à faire un long voyage, | |||
: Doit croire cestuy là qui a jà voyagé, | |||
: Et qui des flots marins longuement outragé, | |||
: Tout moite et degoutant s’est sauvé du naufrage : | |||
: Tu me croiras (Ronsard) bien que tu sois plus sage, | |||
: Et quelque peu encor (ce croy-je) plus aagé, | |||
: Puis que j’ay devant toy en ceste mer nagé, | |||
: Et que desjà ma nef descouvre le rivage. | |||
: Donques je t’advertis, que ceste mer Romaine, | |||
: De dangereux escueils et de bancs toute pleine, | |||
: Cache mille perils, et qu’ici bien souvent, | |||
: Trompé du chant pipeur des monstres de Sicile, | |||
: Pour Charybde eviter tu tomberas en Scyle, | |||
: Si tu ne sçais nager d’une voile à tout vent. | |||
::: XXVII | |||
: Ce n’est l’ambition ni le soin d’acquerir | |||
: Qui m’a fait delaisser ma rive paternelle, | |||
: Pour voir ces monts couvers d’une neige eternelle, | |||
: Et par mille dangers ma fortune querir. | |||
: Le vray honneur, qui n’est coustumier de perir, | |||
: Et la vraye vertu, qui seule est immortelle, | |||
: Ont comblé mes desirs d’une abondance telle, | |||
: Qu’un plus grand bien aux dieux je ne veux requerir. | |||
: L’honneste servitude où mon devoir me lie, | |||
: M’a fait passer les monts de France en Italie, | |||
: Et demourer trois ans sur ce bord estranger, | |||
: Où je vy languissant : ce seul devoir encore | |||
: Me peut faire changer France à l’Inde et au More, | |||
: Et le Ciel à l’Enfer me peut faire changer. | |||
::: XXVIII | |||
: Quand je te dis adieu, pour m’en venir ici, | |||
: Tu me dis (mon Lahaye), il m’en souvient encore : | |||
: Souvienne toy, Bellay, de ce que tu es ore, | |||
: Et comme tu t’en vas retourne t’en ainsi. | |||
: Et tel comme je vins, je m’en retourne aussi : | |||
: Hormis un repentir qui le cœur me devore, | |||
: Qui me ride le front, qui mon chef decolore, | |||
: Et qui me fait plus bas enfoncer le sourci. | |||
: Ce triste repentir, qui me ronge, et me lime, | |||
: Ne vient (car j’en suis net) pour sentir quelque crime, | |||
: Mais pour m’estre trois ans à ce bord arresté : | |||
: Et pour m’estre abusé d’une ingrate esperance, | |||
: Qui pour venir ici trouver la pauvreté, | |||
: M’a fait (sot que je suis) abandonner la France. | |||
::: XXIX | |||
: Je hay plus que la mort un jeune casanier, | |||
: Qui ne sort jamais hors, sinon aux jours de feste, | |||
: Et craignant plus le jour qu’une sauvage beste, | |||
: Se fait en sa maison luy mesme prisonnier. | |||
: Mais je ne puis aymer un vieillard voyager, | |||
: Qui court deçà delà, et jamais ne s’arreste, | |||
: Ains des pieds moins leger, que leger de la teste, | |||
: Ne sejourne jamais non plus qu’un messager. | |||
: L’un sans se travailler en seureté demeure, | |||
: L’autre qui n’a repos jusques à tant qu’il meure, | |||
: Traverse nuit et jour mille lieux dangereux : | |||
: L’un passe, riche et sot, heureusement sa vie, | |||
: L’autre plus souffreteux qu’un pauvre qui mendie, | |||
: S’acquiert en voyageant un sçavoir malheureux. | |||
::: XXX | |||
: Quiconques (mon Bailleul) fait longuement sejour | |||
: Soubs un ciel incogneu, et quiconques endure | |||
: D’aller de port en port cerchant son adventure, | |||
: Et peut vivre estranger dessous un autre jour : | |||
: Qui peut mettre en oubly de ses parens l’amour, | |||
: L’amour de sa maistresse et l’amour que nature | |||
: Nous fait porter au lieu de nostre nourriture, | |||
: Et voyage tousjours sans penser au retour : | |||
: Il est fils d’un rocher, ou d’une ourse cruelle, | |||
: Et digne que jadis ait succé la mammelle | |||
: D’une tygre inhumaine : encor ne voit-on point | |||
: Que les fiers animaux en leurs forts ne retournent, | |||
: Et ceux qui parmy nous domestiques sejournent, | |||
: Tousjours de la maison le doux desir les poingt. | |||
::: XXXI | |||
: Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, | |||
: Ou comme cestui là qui conquit la toison, | |||
: Et puis est retourné, plein d’usage et raison, | |||
: Vivre entre ses parents le reste de son aage ! | |||
: Quand reverray-je, helas, de mon petit village | |||
: Fumer la cheminee, et en quelle saison | |||
: Reverray-je le clos de ma pauvre maison, | |||
: Qui m’est une province, et beaucoup d’avantage ? | |||
: Plus me plaist le sejour qu’ont basty mes ayeux, | |||
: Que des palais Romains le front audacieux ; | |||
: Plus que le marbre dur me plaist l’ardoise fine, | |||
: Plus mon Loyre Gaulois, que le Tibre Latin, | |||
: Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin, | |||
: Et plus que l’air marin la douceur Angevine. | |||
::: XXXII | |||
: Je me feray sçavant en la philosophie, | |||
: En la mathematique, et medecine aussi : | |||
: Je me feray legiste, et d’un plus haut souci | |||
: Apprendray les secrets de la theologie : | |||
: Du luth et du pinceau j’en esbatray ma vie, | |||
: De l’escrime et du bal : je discourois ainsi, | |||
: Et me vantois en moy d’apprendre tout ceci, | |||
: Quand je changeay la France au sejour d’Italie. | |||
: Ô beaux discours humains ! je suis venu si loin, | |||
: Pour m’enrichir d’ennuy, de vieillesse, et de soin, | |||
: Et perdre en voyageant le meilleur de mon aage. | |||
: Ainsi le marinier souvent pour tout tresor | |||
: Rapporte des harans en lieu de lingots d’or, | |||
: Ayant fait, comme moy, un malheureux voyage. | |||
::: XXXIII | |||
: Que feray-je, Morel ? dy moy, si tu l’entens, | |||
: Feray-je encore ici plus longue demeurance, | |||
: Ou si j’iray revoir les campaignes de France, | |||
: Quand les neiges fondront au soleil du printemps ? | |||
: Si je demeure ici, helas, je perds mon temps | |||
: À me repaistre en vain d’une longue esperance, | |||
: Et si je veux ailleurs fonder mon asseurance, | |||
: Je fraude mon labeur du loyer que j’attens. | |||
: Mais faut-il vivre ainsi d’une esperance vaine ? | |||
: Mais faut-il perdre ainsi bien trois ans de ma peine ? | |||
: Je ne bougeray donc. Non, non, je m’en iray. | |||
: Je demourray pourtant, si tu me le conseilles. | |||
: Helas (mon cher Morel) dy moy que je feray, | |||
: Car je tiens, comme on dit, le loup par les oreilles. | |||
::: XXXIV | |||
: Comme le marinier, que le cruel orage | |||
: A long temps agité dessus la haute mer, | |||
: Ayant finablement à force de ramer | |||
: Garanty son vaisseau du danger du naufrage, | |||
: Regarde sur le port, sans plus craindre la rage | |||
: Des vagues ny des vents, les ondes escumer : | |||
: Et quelqu’autre bien loin, au danger d’abysmer, | |||
: En vain tendre les mains vers le front du rivage : | |||
: Ainsi (mon cher Morel) sur le port arresté, | |||
: Tu regardes la mer, et vois en seureté | |||
: De mille tourbillons son onde renversee : | |||
: Tu la vois jusqu’au ciel s’eslever bien souvent, | |||
: Et vois ton Dubellay à la mercy du vent, | |||
: Assis au gouvernail dans une nef percee. | |||
::: XXXV | |||
: La nef qui longuement a voyagé (Dillier) | |||
: Dedans le sein du port à la fin on la serre : | |||
: Et le bœuf qui long temps a renversé la terre, | |||
: Le bouvier à la fin lui oste le collier : | |||
: Le vieux cheval se voit à la fin deslier | |||
: Pour ne perdre l’haleine, ou quelque honte acquerre : | |||
: Et pour se reposer du travail de la guerre, | |||
: Se retire à la fin le vieillard chevalier : | |||
: Mais moi, qui jusqu’ici n’ay prouvé que la peine, | |||
: La peine et le malheur d’une esperance vaine, | |||
: La douleur, le soucy, les regrets, les ennuis, | |||
: Je vieillis peu à peu sur l’onde Ausonienne, | |||
: Et si n’espere point, quelque bien qui m’advienne, | |||
: De sortir jamais hors des travaux où je suis. | |||
::: XXXVI | |||
: Depuis que j’ay laissé mon naturel sejour, | |||
: Pour venir où le Tibre aux flots tortus ondoye, | |||
: Le ciel a veu trois fois par son oblique voye | |||
: Recommencer son cours la grand'lampe du jour. | |||
: Mais j’ay si grand desir de me voir de retour, | |||
: Que ces trois ans me sont plus qu’un siege de Troye, | |||
: Tant me tarde (Morel) que Paris je revoye, | |||
: Et tant le ciel pour moy fait lentement son tour. | |||
: Il fait son tour si lent, et me semble si morne, | |||
: Si morne, et si pesant, que le froid Capricorne | |||
: Ne m’accourcit les jours, ni le Cancre les nuicts. | |||
: Voilà (mon cher Morel) combien le temps me dure | |||
: Loin de France et de toy, et comment la nature | |||
: Fait toute chose longue avecques mes ennuis. | |||
::: XXXVII | |||
: C’estoit ores, c’estoit qu’à moy je devois vivre, | |||
: Sans vouloir estre plus, que cela que je suis, | |||
: Et qu’heureux je devois de ce peu que je puis | |||
: Vivre content du bien de la plume, et du livre. | |||
: Mais il n’a pleu aux Dieux me permettre de suivre | |||
: Ma jeune liberté, ni faire que depuis | |||
: Je vesquisse aussi franc de travaux et d’ennuis, | |||
: Comme d’ambition j’estois franc et delivre. | |||
: Il ne leur a pas pleu qu’en ma vieille saison | |||
: Je sceusse quel bien c’est de vivre en sa maison, | |||
: De vivre entre les siens sans crainte et sans envie : | |||
: Il leur a pleu (helas) qu’à ce bord estranger | |||
: Je visse ma franchise en prison se changer, | |||
: Et la fleur de mes ans en l’hyver de ma vie. | |||
::: XXXVIII | |||
: Ô qu’heureux est celuy qui peut passer son aage | |||
: Entre pareils à soy ! et qui sans fiction, | |||
: Sans crainte, sans envie, et sans ambition, | |||
: Regne paisiblement en son pauvre mesnage ! | |||
: Le miserable soin d’acquérir d’avantage | |||
: Ne tyrannise point sa libre affection, | |||
: Et son plus grand desir, desir sans passion, | |||
: Ne s’estend plus avant que son propre heritage. | |||
: Il ne s’empesche point des affaires d’autruy, | |||
: Son principal espoir ne depend que de luy, | |||
: Il est sa court, son roy, sa faveur, et son maistre. | |||
: Il ne mange son bien en païs estranger, | |||
: Il ne met pour autruy sa personne en danger, | |||
: Et plus riche qu’il est ne voudroit jamais estre. | |||
::: XXXIX | |||
: J’ayme la liberté, et languis en service, | |||
: Je n’ayme point la Court, et me faut courtiser, | |||
: Je n’ayme la feintise, et me faut desguiser, | |||
: J’ayme simplicité, et n’apprens que malice : | |||
: Je n’adore les biens, et sers à l’avarice, | |||
: Je n’ayme les honneurs, et me les faut priser, | |||
: Je veulx garder ma foy, et me la faut briser, | |||
: Je cerche la vertu et ne trouve que vice : | |||
: Je cerche le repos, et trouver ne le puis, | |||
: J’embrasse le plaisir, et n’esprouve qu’ennuis, | |||
: Je n’ayme à discourir, en raison je me fonde : | |||
: J’ay le corps maladif, et me faut voyager, | |||
: Je suis né pour la Muse, on me fait mesnager : | |||
: Ne suis-je pas (Morel) le plus chetif de monde ? | |||
::: XL | |||
: Un peu de mer tenoit le grand Dulichien | |||
: D’Itaque séparé : l’Apennin porte-nuë | |||
: Et les monts de Savoye à la teste chenuë | |||
: Me tiennent loin de France au bord Ausonien. | |||
: Fertile est mon sejour, sterile estoit le sien, | |||
: Je ne suis des plus fins, sa finesse est cogneuë : | |||
: Les siens gardans son bien attendoient sa venuë, | |||
: Mais nul en m’attendant ne me garde le mien. | |||
: Pallas sa guide estoit, je vays à l’aventure, | |||
: Il fut dur au travail, moy tendre de nature : | |||
: À la fin il ancra sa navire à son port, | |||
: Je ne suis asseuré de retourner en France : | |||
: Il fit de ses haineux une belle vengeance, | |||
: Pour me venger des miens je ne suis assez fort. | |||
::: XLI | |||
: N’estant de mes ennuis la fortune assouvie, | |||
: A fin que je devinsse à moy-mesme odieux, | |||
: M’osta de mes amis celuy que j’aymois mieux, | |||
: Et sans qui je n’avois de vivre nulle envie. | |||
: Donc l’eternelle nuict a ta clarté ravie, | |||
: Et je ne t’ay suivi parmi ces obscurs lieux ? | |||
: Toi, qui m’as plus aimé que ta vie et tes yeux, | |||
: Toy, que j’ay plus aimé que mes yeux et ma vie. | |||
: Helas, cher compaignon, que ne puis-je estre encor | |||
: Le frere de Pollux, toi celui de Castor, | |||
: Puis que nostre amitié fut plus que fraternelle ? | |||
: Reçoy donques ces pleurs pour gage de ma foy, | |||
: Et ces vers qui rendront, si je ne me deçoy, | |||
: De si rare amitié la mémoire éternelle. | |||
::: XLII | |||
: C’est ores, mon Vineux, mon cher Vineux, c’est ore | |||
: Que de tous les chetifs le plus chetif je suis, | |||
: Et que ce que j’estois, plus estre je ne puis, | |||
: Ayant perdu mon temps, et ma jeunesse encore. | |||
: La pauvreté me suit, le souci me devore, | |||
: Tristes me sont les jours, et plus tristes les nuicts : | |||
: Ô que je suis comblé de regrets et d’ennuis ! | |||
: Pleust à Dieu que je fusse un Pasquin ou Marphore, | |||
: Je n’aurois sentiment du malheur qui me poingt : | |||
: Ma plume seroit libre, et si ne craindrois point | |||
: Qu’un plus grand contre moy peust exercer son ire. | |||
: Asseure toy, Vineux, que celuy seul est Roy, | |||
: À qui mesme les Rois ne peuvent donner loy, | |||
: Et qui peult d’un chacun à son plaisir escrire. | |||
::: XLIII | |||
: Je ne commis jamais fraude, ne malefice, | |||
: Je ne doutay jamais des poincts de nostre foy, | |||
: Je n’ai point violé l’ordonnance du Roy, | |||
: Et n’ai point esprouvé la rigueur de justice : | |||
: J’ay fait à mon seigneur fidelement service, | |||
: Je fais pour mes amis ce que je puis et doy, | |||
: Et croy que jusqu’ici nul ne se plaint de moy, | |||
: Que vers luy, j’aye fait quelque mauvais office. | |||
: Voila ce que je suis. Et toutefois, Vineux, | |||
: Comme un qui est aux Dieux et aux hommes haineux | |||
: Le malheur me poursuit et toujours m’importune : | |||
: Mais j’ai ce beau confort en mon adversité, | |||
: C’est qu’on dit que je n’ay ce malheur merité, | |||
: Et que digne je suis de meilleure fortune. | |||
::: XLIV | |||
: Si pour avoir passé sans crime sa jeunesse, | |||
: Si pour n’avoir d’usure enrichi sa maison, | |||
: Si pour n’avoir commis homicide ou traison, | |||
: Si pour n’avoir usé de mauvaise finesse, | |||
: Si pour n’avoir jamais violé sa promesse, | |||
: On se doit resjouir en l’arriere saison, | |||
: Je dois à l’advenir, si j’ay quelque raison, | |||
: D’un grand contentement consoler ma vieillesse. | |||
: Je me console donc en mon adversité, | |||
: Ne requerant aux Dieux plus grand'felicité | |||
: Que de pouvoir durer en ceste patience. | |||
: Ô Dieux, si vous avez quelque souci de nous, | |||
: Octroyez moi ce don, que j’espere de vous, | |||
: Et pour vostre pitié, et pour mon innocence. | |||
::: XLV | |||
: Ô marastre Nature (et marastre es-tu bien, | |||
: De ne m’avoir plus sage ou plus heureux fait naistre), | |||
: Pourquoy ne m’as-tu fait de moy-mesme le maistre, | |||
: Pour suivre ma raison, et vivre du tout mien ? | |||
: Je voy les deux chemins, et ce mal, et de bien : | |||
: Je sçay que la vertu m’appelle à la main dextre, | |||
: Et toutefois il faut que je tourne à senestre, | |||
: Pour suivre un traistre espoir, qui m’a fait du tout sien. | |||
: Et quel profit en ai-je ? ô belle récompense ! | |||
: Je me suis consumé d’une vaine despense, | |||
: Et n’ay fait autre acquest que de mal et d’ennuy. | |||
: L’estranger recueillit le fruict de mon service, | |||
: Je travaille mon corps d’un indigne exercice, | |||
: Et porte sur mon front la vergongne d’autruy. | |||
::: XLVI | |||
: Si par peine, et sueur, et par fidelité, | |||
: Par humble servitude, et longue patience, | |||
: Employer corps, et biens, esprit, et conscience, | |||
: Et du tout mespriser sa propre utilité : | |||
: Si pour n’avoir jamais par importunité | |||
: Demandé benefice, ou autre recompense, | |||
: On se doit enrichir, j’auray (comme je pense) | |||
: Quelque bien à la fin, car je l’ay merité. | |||
: Mais si par larrecin advancé l’on doit estre, | |||
: Par mentir, par flatter, par abuser son maistre, | |||
: Et pis que tout cela faire encor bien souvent : | |||
: Je cognois que je seme au rivage infertile, | |||
: Que je veux cribler l’eau, et que je bats le vent, | |||
: Et que je suis (Vineux) serviteur inutile. | |||
::: XLVII | |||
: Si onques de pitié ton ame fut atteinte, | |||
: Voyant indignement ton ami tourmenté, | |||
: Et si onques tes yeux ont expérimenté | |||
: Les poignans esguillons d’une douleur non feinte, | |||
: Voy la mienne en ces vers sans artifice peinte, | |||
: Comme sans artifice est ma simplicité : | |||
: Et si pour moy tu n’es à pleurer incité, | |||
: Ne te ry pour le moins des soupirs de ma plainte. | |||
: Ainsi (mon cher Vineux) jamais ne puisses-tu | |||
: Esprouver les regrets qu’esprouve une vertu | |||
: Qui se voit defrauder du loyer de sa peine : | |||
: Ainsi l’œil de ton Roy favorable te soit, | |||
: Et ce qui des plus fins l’esperance deçoit, | |||
: N’abuse ta bonté d’une promesse vaine. | |||
::: XLVIII | |||
: Ô combien est heureux, qui n’est contraint de feindre | |||
: Ce que la verité le contraint de penser, | |||
: Et à qui le respect d’un qu’on n’ose offenser, | |||
: Ne peut la liberté de sa plume contraindre ! | |||
: Las, pourquoy de ce nœu sens-je la mienne estraindre, | |||
: Quand mes justes regrets je cuide commencer ? | |||
: Et pourquoy ne se peut mon ame dispenser | |||
: De ne sentir son mal, ou de s’en pouvoir plaindre ? | |||
: On me donne la geine, et si n’ose crier, | |||
: On me void tourmenter, et si n’ose prier | |||
: Qu’on ait pitié de moy. Ô peine trop sujette ! | |||
: Il n’est feu si ardent, qu’un feu qui est enclos, | |||
: Il n’est si fascheux mal, qu’un mal qui tient à l’os, | |||
: Et n’est si grand'douleur qu’une douleur muette. | |||
::: XLIX | |||
: Si apres quarante ans de fidele service | |||
: Que celuy que je sers a fait en divers lieux, | |||
: Employant, liberal, tout son plus et son mieux | |||
: Aux affaires qui sont de plus digne exercice, | |||
: D’un haineux estranger l’envieuse malice | |||
: Exerce contre luy son courage odieux, | |||
: Et sans avoir souci des hommes ni des dieux, | |||
: Oppose à la vertu l’ignorance et le vice : | |||
: Me doy-je tourmenter, moy qui suis moins que rien, | |||
: Si par quelqu’un (peut estre) envieux de mon bien, | |||
: Je ne trouve à mon gré la faveur opportune ? | |||
: Je me console donc, et en pareille mer, | |||
: Voyant mon cher Seigneur au danger d’abismer, | |||
: Il me plaist de courir une mesme fortune. | |||
::: L | |||
: Sortons (Dilliers), sortons, faisons place à l’envie, | |||
: Et fuyons desormais ce tumulte civil, | |||
: Puis qu’on y void priser le plus lasche et plus vil, | |||
: Et la meilleure part estre la moins suivie. | |||
: Allons où la vertu, et le sort nous convie, | |||
: Deussions nous voir le Scythe, ou la source du Nil, | |||
: Et nous donnons plus-tost un eternel exil, | |||
: Que tacher d’un seul poinct l’honneur de nostre vie. | |||
: Sus donques, et devant que le cruel vainqueur | |||
: De nous fasse une fable au vulgaire moqueur, | |||
: Bannissons la vertu d’un exil volontaire. | |||
: Et quoy ? ne sçais-tu pas que le banni Romain, | |||
: Bien qu’il fust dechassé de son peuple inhumain, | |||
: Fut pourtant adoré du barbare coursaire ? | |||
::: LI | |||
: Mauny, prenons en gré la mauvaise fortune, | |||
: Puis que nul ne se peut de la bonne asseurer, | |||
: Et que de la mauvaise on peut bien esperer, | |||
: Estant son naturel de n’estre jamais une. | |||
: Le sage nocher craint la faveur de Neptune, | |||
: Sçachant que le beau temps long temps ne peut durer : | |||
: Et ne vaut-il pas mieux quelque orage endurer, | |||
: Que d’avoir tousjours peur de la mer importune ? | |||
: Par la bonne fortune on se trouve abusé, | |||
: Par la fortune adverse on devient plus rusé : | |||
: L’une esteint la vertu, l’autre la fait paroistre : | |||
: L’une trompe nos yeux d’un visage menteur, | |||
: L’autre nous fait l’ami cognoistre du flatteur, | |||
: Et si nous fait encor' à nous mesme cognoistre. | |||
::: LII | |||
: Si les larmes servoyent de remede au malheur, | |||
: Et le pleurer pouvoit la tristesse arrester, | |||
: On devroit (Seigneur mien), les larmes acheter, | |||
: Et ne se trouveroit rien si cher que le pleur. | |||
: Mais les pleurs en effect sont de nulle valeur : | |||
: Car soit qu’on ne se vueille en pleurant tourmenter, | |||
: Ou soit que nuict et jour on vueille lamenter, | |||
: On ne peut divertir le cours de la douleur. | |||
: Le cœur fait au cerveau ceste humeur exhaler, | |||
: Et le cerveau la fait par les yeux devaller, | |||
: Mais le mal par les yeux ne s’allambique pas. | |||
: De quoy donques nous sert ce fascheux larmoyer ? | |||
: De jetter, comme on dit, l’huile sur le foyer, | |||
: Et perdre sans profit le repos et repas. | |||
::: LIII | |||
: Vivons (Gordes), vivons, vivons, et pour le bruit | |||
: Des vieillards ne laissons à faire bonne chere : | |||
: Vivons, puis que la vie est si courte et si chere, | |||
: Et que mesmes les Rois n’en ont que l’usufruit. | |||
: Le jour s’esteint au soir, et au matin reluit, | |||
: Et les saisons refont leur course coustumiere : | |||
: Mais quand l’homme a perdu ceste douce lumiere, | |||
: La mort luy fait dormir une eternelle nuict. | |||
: Donc imiterons-nous le vivre d’une beste ? | |||
: Non, mais devers le ciel levant tousjours la teste, | |||
: Gousterons quelquefois la douceur du plaisir. | |||
: Celuy vrayement est fol, qui changeant l’asseurance | |||
: Du bien qui est present en douteuse esperance, | |||
: Veut tousjours contredire à son propre desir. | |||
::: LIV | |||
: Maraud, qui n’es maraud que de nom seulement, | |||
: Qui dit que tu es sage, il dit la verité : | |||
: Mais qui dit que le soin d’eviter pauvreté | |||
: Te ronge le cerveau, ta face le desment. | |||
: Celuy vrayement est riche et vit heureusement | |||
: Qui s’esloignant de l’une et l’autre extremité, | |||
: Prescrit à ses desirs un terme limité : | |||
: Car la vraye richesse est le contentement. | |||
: Sus donc (mon cher Maraud) pendant que nostre maistre, | |||
: Que pour le bien publiq la nature a fait naistre, | |||
: Se tourmente l’esprit des affaires d’autruy, | |||
: Va devant à la vigne apprester la salade : | |||
: Que sçait on qui demain sera mort, ou malade ? | |||
: Celuy vit seulement, lequel vit aujourd’huy. | |||
::: LV | |||
: Montigné (car tu es aux procez usité) | |||
: Si quelqu’un de ces Dieux, qui ont plus de puissance, | |||
: Nous promit de tous biens paisible jouissance, | |||
: Nous obligeant par Styx toute sa deité, | |||
: Il s’est mal envers nous de promesse acquitté, | |||
: Et devant Juppiter en devons faire instance : | |||
: Mais si lon ne peut faire aux Parques resistance, | |||
: Qui jugent par arrest de la fatalité, | |||
: Nous n’en appellerons, attendu que nous sommes | |||
: Plus privilegiez, que sont les autres hommes | |||
: Condamnez, comme nous, en pareille action : | |||
: Mais si l’ennuy vouloit sur nostre fantaisie, | |||
: Par vertu du malheur faire quelque saisie, | |||
: Nous nous opposerons à l’execution. | |||
::: LVI | |||
: Baïf, qui, comme moy, prouves l’adversité, | |||
: Il n’est pas toujours bon de combatre l’orage, | |||
: Il faut caler la voile, et de peur du naufrage, | |||
: Ceder à la fureur de Neptune irrité. | |||
: Mais il ne faut aussi par crainte et vilité | |||
: S’abandonner en proye : il faut prendre courage, | |||
: Il faut feindre souvent l’espoir par le visage, | |||
: Et faut faire vertu de la nécessité. | |||
: Donques sans nous ronger le cœur d’un trop grand soin, | |||
: Mais de nostre vertu nous aidant au besoin, | |||
: Combatons le malheur. Quant à moy, je proteste | |||
: Que je veux desormais Fortune despiter, | |||
: Et que s’elle entreprend le me faire quitter, | |||
: Je le tiendray (Baïf) et fust-ce de ma teste. | |||
::: LVII | |||
: Ce pendant que tu suis le lievre par la plaine, | |||
: Le sanglier par les bois, et le milan par l’air, | |||
: Et que voyant le sacre, ou l’espervier voler, | |||
: Tu t’exerces le corps d’une plaisante peine, | |||
: Nous autres malheureux suivons la court Romaine, | |||
: Où, comme de ton temps, nous n’oyons plus parler | |||
: De rire, de sauter, de danser, et baller, | |||
: Mais de sang, et de feu, et de guerre inhumaine. | |||
: Pendant, tout le plaisir de ton Gorde, et de moy, | |||
: C’est de te regretter, et de parler de toy, | |||
: De lire quelque autheur, ou quelque vers escrire. | |||
: Au reste (mon Dagaut) nous n’esprouvons ici | |||
: Que peine, que travail, que regret, et souci | |||
: Et rien, que Le Breton, ne nous peut faire rire. | |||
::: LVIII | |||
: Le Breton est sçavant et sçait fort bien escrire | |||
: En François, et Tuscan, en Grec, et en Romain, | |||
: Il est en son parler plaisant et fort humain, | |||
: Il est bon compagnon, et dit le mot pour rire. | |||
: Il a bon jugement, et sçait fort bien eslire | |||
: Le blanc d’avec le noir : il est bon escrivain, | |||
: Et pour bien compasser une lettre à la main, | |||
: Il y est excellent autant qu’on sçaurait dire : | |||
: Mais il est paresseux, et craint tant son mestier, | |||
: Que s’il devoit jeusner, ce croy-je, un mois entier, | |||
: Il ne travailleroit seulement un quart d’heure. | |||
: Bref il est si poltron, pour bien le deviser, | |||
: Que depuis quatre mois, qu’en ma chambre il demeure, | |||
: Son ombre seulement me fait poltronniser. | |||
::: LIX | |||
: Tu ne me vois jamais (Pierre) que tu ne die | |||
: Que j’estudie trop, que je face l’amour, | |||
: Et que d’avoir tousjours ces livres à l’entour, | |||
: Rend les yeux esblouis, et la teste estourdie. | |||
: Mais tu ne l’entens pas : car ceste maladie | |||
: Ne me vient du trop lire, ou du trop long sejour, | |||
: Ains de voir le bureau qui se tient chacun jour : | |||
: C’est, Pierre mon ami, le livre où j’estudie. | |||
: Ne m’en parle donc plus, autant que tu as cher | |||
: De me donner plaisir, et de ne me fascher : | |||
: Mais bien en ce pendant que d’une main habile | |||
: Tu me laves la barbe, et me tonds les cheveux, | |||
: Pour me desennuyer, conte moy si tu veux | |||
: Des nouvelles du Pape et du bruit de la ville. | |||
::: LX | |||
: Seigneur, ne pensez pas d’ouïr chanter ici | |||
: Les louanges du Roy, ni la gloire de Guise, | |||
: Ni celle que se sont les Chastillons acquise, | |||
: Ni ce Temple sacré au grand Montmorenci. | |||
: N’y penser voir encor' le severe sourci, | |||
: De madame Sagesse, ou la brave entreprise, | |||
: Qui au Ciel, aux Dœmons, aux Estoiles s’est prise, | |||
: La Fortune, la Mort, et la Justice aussi : | |||
: De l’or encore moins, de luy je ne suis digne : | |||
: Mais bien d’un petit chat j’ay fait un petit hymne, | |||
: Lequel je vous envoye : autre present je n’ay. | |||
: Prenez-le donc, (Seigneur) et m’excusez de grace, | |||
: Si pour le bal ayant la musique trop basse, | |||
: Je sonne un passepied, ou quelque branle gay. | |||
::: LXI | |||
: Qui est ami du cœur est ami de la bourse, | |||
: Ce dira quelque honneste et hardi demandeur, | |||
: Qui de l’argent d’autruy liberal despendeur | |||
: Lui mesme à l’hospital s’en va toute la course. | |||
: Mais songe là-dessus, qu’il n’est si vive source, | |||
: Qu’on ne puisse espuiser, ni si riche presteur | |||
: Qui ne puisse à la fin devenir emprunteur, | |||
: Ayant affaire à gens qui n’ont point de resource. | |||
: Gordes, si tu veux vivre heureusement Romain, | |||
: Sois large de faveur, mais garde que ta main | |||
: Ne soit à tous venans trop largement ouverte. | |||
: Par l’un on peut gaigner mesmes son ennemi, | |||
: Par l’autre bien souvent on perd un bon ami, | |||
: Et quand on perd l’argent, c’est une double perte. | |||
::: LXII | |||
: Ce ruzé Calabrois, tout vice, quel qu’il soit, | |||
: Chatouille à son ami, sans espargner personne, | |||
: Et faisant rire ceux, que mesme il espoinçonne, | |||
: Se jouë autour du cœur de cil qui le reçoit. | |||
: Si donc quelque subtil en mes vers aperçoit | |||
: Que je morde en riant, pourtant nul ne me donne | |||
: Le nom de feint ami vers ceux que j’aiguillonne : | |||
: Car qui m’estime tel, lourdement se deçoit. | |||
: La satire (Dilliers) est un publiq exemple, | |||
: Où, comme en un miroir, l’homme sage contemple | |||
: Tout ce qui est en luy, ou de laid, ou de beau. | |||
: Nul ne me lise donc : ou qui me voudra lire, | |||
: Ne se fasche s’il voit, par maniere de rire, | |||
: Quelque chose du sien portraict en ce tableau. | |||
::: LXIII | |||
: Quel est celuy qui veut faire croire de soy | |||
: Qu’il est fidele ami, mais quand le temps se change, | |||
: Du costé des plus forts soudainement se range, | |||
: Et du costé de ceux qui ont le mieux de quoy ? | |||
: Quel est celuy qui dit qu’il gouverne le Roy ? | |||
: J’entens quand il se voit en un pays estrange, | |||
: Et bien loin de la Court : quel homme est-ce, Lestrange ? | |||
: Lestrange, entre nous deux, je te pry dy le moy. | |||
: Dy moy, quel est celuy qui si bien se deguise | |||
: Qu’il semble homme de guerre entre les gens d’Eglise, | |||
: Et entre gens de guerre aux prestres est pareil ? | |||
: Je ne sçay pas son nom ; mais quiconqu’il puisse estre | |||
: Il n’est fidele ami, ni mignon de son maistre, | |||
: Ni vaillant chevalier, ni homme de conseil. | |||
::: LXIV | |||
: Nature est aux bastards volontiers favorable, | |||
: Et souvent les bastards sont les plus genereux, | |||
: Pour estre au jeu d’amour l’homme plus vigoureux, | |||
: D’autant que le plaisir luy est plus aggreable. | |||
: Le donteur de Meduse, Hercule l’indontable, | |||
: Le vainqueur Indien, et les Jumeaux heureux, | |||
: Et tous ces Dieux bastards jadis si valeureux, | |||
: Ce probleme (Bizet) font plus que veritable. | |||
: Et combien voyons nous aujourd’huy de bastards, | |||
: Soit en l’art d’Apollon, soit en celuy de Mars, | |||
: Exceller ceux qui sont de race legitime ? | |||
: Bref tousjours ces bastards sont de gentil esprit : | |||
: Mais ce bastard (Bizet) que lon nous a descrit | |||
: Est cause que je fais des autres moins d’estime. | |||
::: LXV | |||
: Tu ne crains la fureur de ma plume animee, | |||
: Pensant que je n’ay rien à dire contre toy, | |||
: Sinon ce que ta rage a vomy contre moy, | |||
: Grinçant comme un mastin la dent envenimee. | |||
: Tu crois que je n’en sçay que par la renommee, | |||
: Et que quand j’auray dit que tu n’as point de foy, | |||
: Que tu es affronteur, que tu es traistre au Roy, | |||
: Que j’auray contre toy ma force consommee, | |||
: Tu penses que je n’ay rien de quoi me venger, | |||
: Sinon que tu n’es fait que pour boire et manger : | |||
: Mais j’ay bien quelque chose encores plus mordante, | |||
: Et quoy ? l’amour d’Orphee ? et que tu ne sceus onq | |||
: Que c’est de croire en Dieu ? non : quel vice est-ce donc ? | |||
: C’est, pour le faire court, que tu es un pedante. | |||
::: LXVI | |||
: Ne t’esmerveille point que chacun il mesprise, | |||
: Qu’il dedaigne un chacun, qu’il n’estime que soy, | |||
: Qu’aux ouvrages d’autruy il vueille donner loy, | |||
: Et comme un Aristarq luy mesme s’auctorise. | |||
: Paschal, c’est un pedant’ : et quoy qu’il se desguise, | |||
: Sera tousjours pedant’, un pedant’ et un roy | |||
: Ne te semblent ils pas avoir je ne sçay quoy | |||
: De semblable, et que l’un à l’autre symbolise ? | |||
: Les sujects du pedant’ ce sont ses escholiers, | |||
: Ses classes, ses estats, ses regens officiers : | |||
: Son college (Paschal) est comme sa province. | |||
: Et c’est pourquoy jadis le Syracusien, | |||
: Ayant perdu le nom de roy Sicilien, | |||
: Voulut estre pedant’, ne pouvant estre prince. | |||
:::LXVII | |||
: Magny, je ne puis voir un prodigue d’honneur, | |||
: Qui trouve tout bien fait, qui de tout s’emerveille, | |||
: Qui mes fautes approuve, et me flatte l’oreille, | |||
: Comme si j’estois prince ou quelque grand seigneur. | |||
: Mais je me fasche aussi d’un fascheux repreneur, | |||
: Qui du bon et mauvais fait censure pareille, | |||
: Qui se list volontiers, et semble qu’il sommeille | |||
: En lisant les chansons de quelque autre sonneur. | |||
: Cestui-là me deçoit d’une fausse loüange, | |||
: Et gardant qu’aux bons vers les mauvais je ne change, | |||
: Fait qu’en me plaisant trop à chacun je desplais : | |||
: Cestui-ci me degouste, et ne pouvant rien faire | |||
: Qu’il luy plaise, il me fait egalement desplaire | |||
: Tout ce qu’il fait luy mesme, et tout ce que je fais. | |||
::: LXVIII | |||
: Je hay du Florentin l’usuriere avarice, | |||
: Je hay du fol Sienois le sens mal arresté, | |||
: Je hay du Genevois la rare verité, | |||
: Et du Venitien la trop caute malice : | |||
: Je hay le Ferrarois pour je ne sçay quel vice, | |||
: Je hay tous les Lombards pour l’infidelité, | |||
: Le fier Napolitain pour sa grand’ vanité, | |||
: Et le poltron Romain pour son peu d’exercice : | |||
: Je hay l’Anglois mutin, et le brave Escossois, | |||
: Le traistre Bourguignon, et l’indiscret François, | |||
: Le superbe Espagnol, et l’yvrongne Thudesque : | |||
: Bref, je hay quelque vice en chasque nation, | |||
: Je hay moy mesme encor' mon imperfection, | |||
: Mais je hay par sur tout un sçavoir pedantesque. | |||
::: LXIX | |||
: Pourquoi me grondes-tu, vieux mastin affamé, | |||
: Comme si Dubellay n’avoit point de defense ? | |||
: Pourquoy m’offenses-tu, qui ne t’ay fait offense, | |||
: Sinon de t’avoir trop quelquefois estimé ? | |||
: Qui t’a, chien envieux, sur moy tant animé, | |||
: Sur moy, qui suis absent ? Croy-tu que ma vengeance | |||
: Ne puisse bien d’ici darder jusques en France | |||
: Un traict, plus que le tien, de rage envenimé ? | |||
: Je pardonne à ton nom, pour ne souiller mon livre : | |||
: D’un nom, qui par mes vers n’a merité de vivre : | |||
: Tu n’auras, malheureux, tant de faveur de moy : | |||
: Mais si plus longuement ta fureur persevere, | |||
: Je t’envoyray d’ici un foüet, une Megere, | |||
: Un serpent, un cordeau, pour me venger de toy. | |||
::: LXX | |||
: Si Pirithois ne fust aux enfers descendu, | |||
: L’amitié de Thesee seroit ensevelie, | |||
: Et Nise par sa mort n’eust la sienne ennoblie, | |||
: S’il n’eust veu sur le champ Eurial' estendu : | |||
: De Pylade le nom ne seroit entendu | |||
: Sans la fureur d’Oreste, et la foy de Pythie | |||
: Ne fust par tant d’escripts en lumiere sortie, | |||
: Si Damon ne se fust en sa place rendu : | |||
: Et je n’eusse esprouvé le tienne si muable, | |||
: Si Fortune vers moy n’eust esté variable. | |||
: Que puis-je faire donc, pour me venger de toy ? | |||
: Le mal que je te veux, c’est qu’un jour je te puisse | |||
: Faire en pareil endroit, mais par meilleur office, | |||
: Recognoistre ta faute, et voir quelle est ma foy. | |||
::: LXXI | |||
: Ce brave qui se croit, pour un jacque de maille, | |||
: Estre un second Roland, ce dissimulateur, | |||
: Qui superbe aux amis, aux ennemis flatteur, | |||
: Contrefait l’habile homme et ne dit rien qui vaille, | |||
: Belleau, ne le croy pas : et quoy qu’il se travaille | |||
: De se feindre hardi d’un visage menteur, | |||
: N’ajouste point de foy à son parler vanteur, | |||
: Car oncq homme vaillant je n’ay vu de sa taille. | |||
: Il ne parle jamais que des faveurs qu’il a, | |||
: Il desdaigne son maistre, et courtise ceux-là | |||
: Qui ne font cas de luy : il brusle d’avarice : | |||
: Il fait du bon Chrestien, et n’a ny foy ni loy : | |||
: Il fait de l’amoureux, mais c’est comme je croy, | |||
: Pour couvrir le soupçon de quelque plus grand vice. | |||
::: LXXII | |||
: Encores que l’on eust heureusement compris | |||
: Et la doctrine Grecque, et la Romaine ensemble, | |||
: Si est-ce (Gohorry) qu’ici, comme il me semble, | |||
: On peut apprendre encor', tant soit-on bien appris. | |||
: Non pour trouver ici de plus doctes escrits | |||
: Que ceux que le François soigneusement assemble, | |||
: Mais pour l’air plus subtil, qui doucement nous emble | |||
: Ce qui est plus terrestre et lourd en nos esprits. | |||
: Je ne sçay quel Demon de sa flamme divine | |||
: Le moins parfait de nous purge, esprouve, et affine, | |||
: Lime le jugement, et le rend plus subtil. | |||
: Mais qui trop y demeure, il envoye en fumee | |||
: De l’esprit trop purgé la force consumee, | |||
: Et pour l’esmoudre trop lui fait perdre le fil. | |||
::: LXXIII | |||
: Gordes, j’ay en horreur un vieillard vicieux, | |||
: Qui l’aveugle appetit de la jeunesse imite, | |||
: Et jà froid par les ans, de soymesme s’incite | |||
: À vivre delicat en repos ocieux. | |||
: Mais je ne crains rien tant qu’un jeune ambitieux, | |||
: Qui pour se faire grand contrefait de l’hermite, | |||
: Et voilant sa traison d’un masque d’hypocrite, | |||
: Couve sous beau semblant un cœur malicieux. | |||
: Il n’est rien (ce dit-on en proverbe vulgaire) | |||
: Si sale qu’un vieux boucq, ni si prompt à mal faire | |||
: Comme est un jeune loup, et, pour le dire mieux, | |||
: Quand bien le naturel de tous deux je regarde, | |||
: Comme un fangeux pourceau l’un desplaist à mes yeux, | |||
: Comme d’un fin renard de l’autre je me garde. | |||
::: LXXIV | |||
: Tu dis que Dubellay tient reputation | |||
: Et que de ses amis il ne tient plus de compte : | |||
: Si ne suis-je, Seigneur, Prince, Marquis ou Conte, | |||
: Et n’ay changé d’estat ni de condition. | |||
: Jusqu’ici je ne sçay que c’est d’ambition, | |||
: Et pour ne me voir grand ne rougis point de honte, | |||
: Aussi ma qualité ne baisse ni ne monte, | |||
: Car je ne suis suject qu’à ma complection. | |||
: Je ne sçay comme il faut entretenir son maistre, | |||
: Comme il faut courtiser, et moins quel il faut estre | |||
: Pour vivre entre les grands, comme on vit aujourd’huy. | |||
: J’honore tout le monde, et ne fasche personne : | |||
: Qui me donne un salut, quatre je lui en donne : | |||
: Qui ne fait cas de moy, je ne fais cas de luy. | |||
::: LXXV | |||
: Gordes, que Dubellay aime plus que ses yeux, | |||
: Voy comme la nature, ainsi que du visage, | |||
: Nous a faits differends de mœurs et de courage, | |||
: Et ce qui plaist à l’un, à l’autre est odieux. | |||
: Tu dis : je ne puis voir un sot audacieux, | |||
: Qui un moindre que luy brave à son avantage, | |||
: Qui s’escoute parler, qui farde son langage, | |||
: Et fait croire de luy, qu’il est mignon des Dieux. | |||
: Je suis tout au contraire, et ma raison est telle : | |||
: Celuy, dont la douleur courtoisement m’appelle, | |||
: Me fait outre mon gré courtisan devenir : | |||
: Mais de tel entretien le brave me dispense : | |||
: Car n’estant obligé vers luy de recompense, | |||
: Je le laisse tout seul luymesme entretenir. | |||
::: LXXVI | |||
: Cent fois plus qu’à loüer on se plaist à mesdire : | |||
: Pource qu’en mesdisant on dit la verité, | |||
: Et loüant la faveur, ou bien l’auctorité, | |||
: Contre ce qu’on en croit fait bien souvent escrire. | |||
: Qu’il soit vray, prins-tu onc tel plaisir d’ouïr lire | |||
: Les loüanges d’un prince, ou de quelque cité, | |||
: Qu’ouïr un Marc Antoine à mordre exercité, | |||
: Dire cent mille mots qui font mourir de rire ? | |||
: S’il est donques permis, sans offense d’aucun, | |||
: Des mœurs de nostre tems deviser en commun, | |||
: Quiconque me lira, m’estime fol, ou sage : | |||
: Mais je croy qu’aujourd’huy tel pour sage est tenu, | |||
: Qui ne seroit rien moins que pour tel recognu, | |||
: Qui luy auroit osté le masque du visage. | |||
::: LXXVII | |||
: Je ne descouvre ici les mystères sacrez | |||
: Des saincts prestres Romains, je ne veux rien escrire | |||
: Que la vierge honteuse ait vergongne de lire : | |||
: Je veux toucher sans plus aux vices moins secrets. | |||
: Mais tu diras que mal je nomme ces regrets, | |||
: Veu que le plus souvent j’use de mots pour rire : | |||
: Et je di que la mer ne bruit tousjours son ire, | |||
: Et que tousjours Phoebus ne sagette les Grecs. | |||
: Si tu rencontres donc ici quelque risee, | |||
: Ne baptise pourtant de plainte desguisee | |||
: Les vers que je souspire au bord Ausonien. | |||
: La plainte que je fais (Dilliers) est veritable : | |||
: Si je ri, c’est ainsi qu’on se rit à la table : | |||
: Car je ri, comme on dit, d’un ris Sardonien. | |||
::: LXXVIII | |||
: Je ne te conteray de Boulongne, et Venise, | |||
: De Padouë, et Ferrare, et de Milan encor', | |||
: De Naples, de Florence, et lesquelles sont or' | |||
: Meilleures pour la guerre, ou pour la marchandise : | |||
: Je te raconteray du siege de l’Église, | |||
: Qui fait d’oisiveté son plus riche thresor, | |||
: Et qui dessous l’orgueil de trois couronnes d’or | |||
: Couve l’ambition, la haine, et la feintise : | |||
: Je te diray qu’ici le bonheur, et malheur, | |||
: Le vice, la vertu, le plaisir, la douleur, | |||
: La science honorable, et l’ignorance abonde. | |||
: Bref je diray qu’ici, comme en ce vieil Chaos, | |||
: Se trouve (Peletier) confusement enclos | |||
: Tout ce qu’on void de bien, et de mal en ce monde. | |||
::: LXXIX | |||
: Je n’escris point d’amour, n’estant point amoureux, | |||
: Je n’escris de beauté, n’ayant belle maistresse, | |||
: Je n’escris de douceur, n’esprouvant que rudesse, | |||
: Je n’escris de plaisir, me trouvant douloureux : | |||
: Je n’escris de bon heur, me trouvant malheureux, | |||
: Je n’escris de faveur, ne voyant ma Princesse, | |||
: Je n’escris de thresors, n’ayant point de richesse, | |||
: Je n’escris de santé, me sentant langoureux : | |||
: Je n’escris de la court, estant loin de mon Prince, | |||
: Je n’escris de la France, en estrange province, | |||
: Je n’escris de l’honneur, n’en voyant point ici : | |||
: Je n’escris d’amitié, ne trouvant que feintise, | |||
: Je n’escris de vertu, n’en trouvant point aussi, | |||
: Je n’escris de sçavoir, entre les gens d’Église. | |||
::: LXXX | |||
: Si je monte au Palais, je n’y trouve qu’orgueil, | |||
: Que vice desguisé, qu’une cerimonie, | |||
: Qu’un bruit de tabourins, qu’une estrange harmonie, | |||
: Et de rouges habits un superbe appareil : | |||
: Si je descens en banque, un amas et recueil | |||
: De nouvelles je trouve, une usure infinie, | |||
: De riches Florentins une troppe bannie, | |||
: Et de pauvres Sienois un lamentable dueil : | |||
: Si je vais plus avant, quelque part où j’arrive, | |||
: Je trouve de Venus la grand’bande lascive | |||
: Dressant de tous costez mil’appas amoureux : | |||
: Si je passe plus outre, et de la Rome neuve | |||
: Entre en la vieille Rome, adonques je ne treuve | |||
: Que de vieux monuments un grand monceau pierreux. | |||
::: LXXXI | |||
: Il fait bon voir, Paschal, un conclave serré, | |||
: Et l’une chambre à l’autre egalement voisine | |||
: D’antichambre servir, de salle, et de cuisine, | |||
: En un petit recoin de dix pieds en carré : | |||
: Il fait bon voir autour le palais emmuré, | |||
: Et briguer là dedans ceste troppe divine, | |||
: L’un par ambition, l’autre par bonne mine, | |||
: Et par despit de l’un estre l’autre adoré : | |||
: Il fait bon voir dehors toute la ville en armes | |||
: Crier: le Pape est fait, donner de faux alarmes, | |||
: Saccager un palais ; mais plus que tout cela | |||
: Fait bon voir, qui de l’un, qui de l’autre se vante, | |||
: Qui met pour cestui-ci, qui met pour cestui-là, | |||
: Et pour moins d’un escu dix Cardinaux en vente. | |||
::: LXXXII | |||
: Veux-tu sçavoir, Duthier, quelle chose c’est Rome ? | |||
: Rome est de tout le monde un public eschafaut, | |||
: Une scene, un theatre, auquel rien ne defaut, | |||
: De ce qui peut tomber ès actions de l’homme. | |||
: Ici se voit le jeu de la Fortune, et comme | |||
: Sa main nous fait tourner ores bas, ores haut : | |||
: Ici chacun se monstre, et ne peut, tant soit caut, | |||
: Faire que tel qu’il est, le peuple ne le nomme. | |||
: Ici du faux et vray la messagere court, | |||
: Ici les courtisans font l’amour et la court, | |||
: Ici l’ambition, et la finesse abonde : | |||
: Ici la liberté fait l’humble audacieux, | |||
: Ici l’oisiveté rend le bon vicieux, | |||
: Ici le vil faquin discourt des faits du monde. | |||
::: LXXXIII | |||
: Ne pense, Robertet, que ceste Rome ci | |||
: Soit ceste Rome là, qui te souloit tant plaire. | |||
: On n’y fait plus credit, comme l’on souloit faire, | |||
: On n’y fait plus l’amour, comme on souloit aussi. | |||
: La paix, et le bon temps ne regnent plus ici, | |||
: La musique, et le bal sont contraints de s’y taire : | |||
: L’air y est corrompu, Mars y est ordinaire, | |||
: Ordinaire la faim, la peine, et le souci. | |||
: L’artisan desbauché y ferme sa boutique, | |||
: L’ocieux avocat y laisse sa pratique ; | |||
: Et le pauvre marchand y porte le bissac : | |||
: On ne voit que soldats, et morions en teste, | |||
: On n’oit que tabourins, et semblable tempeste, | |||
: Et Rome tous les jours n’attend qu’un autre sac. | |||
::: LXXXIV | |||
: Nous ne faisons la cour aux filles de Memoire, | |||
: Comme vous qui vivez libres de passion : | |||
: Si vous ne sçavez donc nostre occupation, | |||
: Ces dix vers ensuivans vous la feront notoire : | |||
: Suivre son Cardinal au Pape, au consistoire, | |||
: En capelle, en visite, en congregation, | |||
: Et pour l’honneur d’un prince, ou d’une nation | |||
: De quelque ambassadeur accompagner la gloire; | |||
: Estre en son rang de garde aupres de son seigneur, | |||
: Et faire aux survenans l’accoustumé honneur, | |||
: Parler du bruit qui court, faire de l’habile homme : | |||
: Se promener en housse, aller voir d’huis en huis | |||
: La Marthe, ou la Victoire, et s’engager aux Juifs : | |||
: Voilà, mes compagnons, le passetemps de Rome. | |||
::: LXXXV | |||
: Flatter un crediteur pour son terme allonger, | |||
: Courtiser un banquier, donner bonne esperance, | |||
: Ne suivre en son parler la liberté de France, | |||
: Et pour respondre un mot, un quart d’heure y songer : | |||
: Ne gaster sa santé par trop boire et manger, | |||
: Ne faire sans propos une folle despense, | |||
: Ne dire à tous venans tout cela que lon pense, | |||
: Et d’un maigre discours gouverner l’estranger : | |||
: Cognoistre les humeurs, cognoistre qui demande, | |||
: Et d’autant que lon a la liberté plus grande, | |||
: D’autant plus se garder que lon ne soit repris : | |||
: Vivre avecques chacun, de chacun faire compte : | |||
: Voilà, mon cher Sorel (dont je rougis de honte) | |||
: Tout le bien qu’en trois ans à Rome j’ay appris. | |||
::: LXXXVI | |||
: Marcher d’un grave pas et d’un grave souci, | |||
: Et d’un grave souris à chacun faire feste, | |||
: Balancer tous ses mots, respondre de la teste, | |||
: Avec un Messer non, ou bien un Messer si : | |||
: Entremêler souvent un petit Et cosi, | |||
: Et d’un Son Servitor contrefaire l’honneste, | |||
: Et comme si lon eust sa part en la conqueste, | |||
: Discourir sur Florence, et sur Naples aussi : | |||
: Seigneuriser chacun d’un baisement de main, | |||
: Et, suivant la façon du courtisan Romain, | |||
: Cacher sa pauvreté d’une brave apparence : | |||
: Voilà de ceste Court la plus grande vertu, | |||
: Dont souvent mal monté, mal sain, et mal vestu, | |||
: Sans barbe et sans argent on s’en retourne en France. | |||
::: LXXXVII | |||
: D’où vient cela, Mauny, que tant plus on s’efforce | |||
: D’eschapper hors d’ici, plus le Dœmon du lieu | |||
: (Et que seroit-ce donc si ce n’est quelque Dieu ?) | |||
: Nous y tient attachez par une douce force ? | |||
: Seroit-ce point d’amour ceste allechante amorce, | |||
: Ou quelque autre venim, dont après avoir beu | |||
: Nous sentons nos esprits nous laisser peu à peu, | |||
: Comme un corps qui se perd sous une neuve escorce ! | |||
: J’ai voulu mille fois de ce lieu m’estranger, | |||
: Mais je sens mes cheveux en feuilles se changer, | |||
: Des bras en longs rameaux, et mes pieds en racine. | |||
: Bref, je ne suis plus rien qu’un vieux tronc animé, | |||
: Qui se plaint de se voir à ce bord transformé, | |||
: Comme le myrte Anglois au rivage d’Alcine. | |||
::: LXXXVIII | |||
: Qui choisira pour moy la racine d’Ulysse ? | |||
: Et qui me gardera de tomber au danger, | |||
: Qu’une Circe en pourceau ne me puisse changer, | |||
: Pour estre à tout jamais fait esclave du vice ? | |||
: Qui m’estraindra le doigt de l’anneau de Melisse, | |||
: Pour me desenchanter comme un autre Roger ? | |||
: Et quel Mercure encor' me fera desloger, | |||
: Pour ne perdre mon temps en l’amoureux service ? | |||
: Qui me fera passer sans escouter la voix | |||
: Et la feinte douceur des monstres d’Achelois ? | |||
: Qui chassera de moy ces Harpyes friandes ? | |||
: Qui volera pour moy encor' un coup aux cieux, | |||
: Pour rapporter mon sens, et me rendre mes yeux ? | |||
: Et qui fera qu’en paix je mange mes viandes ? | |||
::: LXXXIX | |||
: Gordes, il m’est advis que je suis esveillé | |||
: Comme un qui tout esmeu d’un effroyable songe | |||
: Se resveille en sursaut, et par le lict s’allonge, | |||
: S’esmerveillant d’avoir si long temps sommeillé. | |||
: Roger devint ainsi (ce croy-je) esmerveillé : | |||
: Et croy que tout ainsi la vergongne me ronge, | |||
: Comme luy, quand il eut descouvert le mensonge | |||
: Du fard magicien qui l’avoit aveuglé. | |||
: Et comme luy aussi je veulx changer de stile, | |||
: Pour vivre desormais au sein de Logistile, | |||
: Qui des cœurs langoureux est le commun support. | |||
: Sus donc, Gordes, sus donc, à la voile, à la rame, | |||
: Fuyons, gaignons le haut, je voy la belle Dame | |||
: Qui d’un heureux signal nous appelle à son port. | |||
::: XC | |||
: Ne pense pas, Bouju, que les Nymphes Latines | |||
: Pour couvrir leur traison d’une humble privauté, | |||
: Ni pour masquer leur teint d’une fausse beauté, | |||
: Me facent oublier nos Nymphes Angevines. | |||
: L’Angevine douceur, les paroles divines, | |||
: L’habit qui ne tient rien de l’impudicité ; | |||
: La grâce, la jeunesse, et la simplicité | |||
: Me desgoutent, Bouju, de ces vieilles Alcines. | |||
: Qui les voit par dehors, ne peut rien voir plus beau, | |||
: Mais le dedans ressemble au dedans d’un tombeau, | |||
: Et si rien entre nous moins honneste se nomme. | |||
: Ô quelle gourmandise ! ô quelle pauvreté ! | |||
: Ô quelle horreur de voir leur immondicité ! | |||
: C’est vraiment de les voir le salut d’un jeune homme. | |||
::: XCI | |||
: Ô beaux cheveux d’argent mignonnement retors ! | |||
: Ô front crespe, et serein ! et vous face doree ! | |||
: Ô beaux yeux de crystal ! ô grand'bouche honoree, | |||
: Qui d’un large reply retrousses tes deux bords ! | |||
: Ô belles dents d’ebene ! ô precieux thresors, | |||
: Qui faites d’un seul ris toute ame enamouree ! | |||
: Ô gorge damasquine en cent plis figuree ! | |||
: Et vous, beaux grands tetins, dignes d’un si beau corps ! | |||
: Ô beaux ongles dorez ! ô main courte, et grassette ! | |||
: Ô cuisse délicate ! et vous jambe grossette, | |||
: Et ce que je ne puis honnestement nommer ! | |||
: Ô beau corps transparent ! ô beaux membres de glace ! | |||
: Ô divines beautez ! pardonnez moy de grace, | |||
: Si pour estre mortel, je ne vous ose aimer. | |||
::: XCII | |||
: En mille crespillons les cheveux se frizer, | |||
: Se pincer les sourcils, et d’une odeur choisie | |||
: Parfumer haut et bas sa charnure moisie, | |||
: Et de blanc et vermeil sa face desguiser : | |||
: Aller de nuict en masque, en masque deviser, | |||
: Se feindre à tous propos estre d’amour saisie, | |||
: Siffler toute la nuict par une jalousie, | |||
: Et par martel de l’un, l’autre favoriser : | |||
: Baller, chanter, sonner, folastrer dans la couche, | |||
: Avoir le plus souvent deux langues dans la bouche, | |||
: Des courtisannes sont les ordinaires jeux. | |||
: Mais quel besoin est-il que je te les enseigne ? | |||
: Si tu les veux sçavoir, Gordes, et si tu veux | |||
: En sçavoir plus encor', demande à la Chassaigne. | |||
::: XCIII | |||
: Douce mere d’amour, gaillarde Cyprienne, | |||
: Qui fais sous ton pouvoir tout pouvoir se ranger, | |||
: Et qui des bords de Xanthe, à ce bord estranger | |||
: Guidas avec ton fils ta gent Dardanienne, | |||
: Si je retourne en France, ô mère Idalienne, | |||
: Comme je vins ici, sans tomber au danger | |||
: De voir ma vieille peau en autre peau changer, | |||
: Et ma barbe Françoise, en barbe italienne, | |||
: Dès ici je fais vœu d’apprendre à ton autel | |||
: Non le liz, ou la fleur d’Amarante immortel, | |||
: Non ceste fleur encor' de ton sang coloree : | |||
: Mais bien de mon menton la plus blonde toison, | |||
: Me vantant d’avoir fait plus que ne fit Jason, | |||
: Emportant le butin de la toison doree. | |||
::: XCIV | |||
: Heureux celuy qui peut long temps suivre la guerre | |||
: Sans mort, ou sans blessure, ou sans longue prison ! | |||
: Heureux qui longuement vit hors de sa maison | |||
: Sans despendre son bien, ou sans vendre sa terre ! | |||
: Heureux qui peut en Court quelque faveur acquerre | |||
: Sans crainte de l’envie, ou de quelque traison ! | |||
: Heureux qui peut long temps sans danger de poison | |||
: Jouir d’un chapeau rouge, ou des clefs de sainct Pierre ! | |||
: Heureux qui sans peril peut la mer frequenter ! | |||
: Heureux qui sans procez le palais peut hanter ! | |||
: Heureux qui peut sans mal vivre l’âge d’un homme ! | |||
: Heureux qui sans souci peut garder son thresor ! | |||
: Sa femme sans soupçon, et plus heureux encor' | |||
: Qui a pu sans peler vivre trois ans à Rome ! | |||
::: XCV | |||
: Maudict soit mille fois le Borgne de Libye, | |||
: Qui le cœur des rochers perçant de part en part, | |||
: Des Alpes renversa le naturel rampart, | |||
: Pour ouvrir le chemin de France en Italie. | |||
: Mars n’eust empoisonné d’une eternelle envie | |||
: Le cœur de l’Espagnol, et du François soldard, | |||
: Et tant de gens de bien ne seroient en hazart | |||
: De venir perdre ici et l’honneur et la vie. | |||
: Le François corrompu par le vice estranger | |||
: Sa langue et son habit n’eust appris à changer, | |||
: Il n’eust changé ses mœurs en une autre nature. | |||
: Il n’eust point esprouvé le mal qui fait peler, | |||
: Il n’eust fait de son nom la verole appeller, | |||
: Et n’eust fait si souvent d’un buffle sa monture. | |||
::: XCVI | |||
: Ô Deesse, qui peux aux Princes egaler | |||
: Un pauvre mendiant, qui n’a que la parole, | |||
: Et qui peux d’un grand roy faire un maistre d’escole, | |||
: S’il te plaist de son lieu le faire devaller : | |||
: Je ne te prie pas de me faire enroller | |||
: Au rang de ces messieurs que la faveur acole, | |||
: Que l’on parle de moy, et que mon renom vole | |||
: De l’aile dont tu fais ces grands Princes voler : | |||
: Je ne demande pas mille et mille autres choses, | |||
: Qui dessous ton pouvoir sont largement encloses, | |||
: Aussi je n’eus jamais de tant de biens souci. | |||
: Je demande sans plus que le mien on ne mange, | |||
: Et que j’aye bien tost une lettre de change, | |||
: Pour n’aller sur le bufle au departir d’ici. | |||
::: XCVII | |||
: Doulcin, quand quelquefois je voy ces pauvres filles | |||
: Qui ont le diable au corps, ou le semblent avoir, | |||
: D’une horrible façon corps et teste mouvoir, | |||
: Et faire ce qu’on dit de ces vieilles Sibylles : | |||
: Quand je vois les plus forts se retrouver debiles, | |||
: Voulant forcer en vain leur forcené pouvoir : | |||
: Et quand mesme j’y voy perdre tout leur sçavoir | |||
: Ceux qui sont en vostre art tenus des plus habiles : | |||
: Quand effroyablement escrier je les oy, | |||
: Et quand le blanc des yeux renverser je leur voy, | |||
: Tout le poil me herisse, et ne sçay plus que dire. | |||
: Mais quand je voy un moyne avecque son Latin | |||
: Leur taster hault et bas le ventre et le tetin, | |||
: Ceste frayeur se passe, et suis contraint de rire. | |||
::: XCVIII | |||
: D’où vient que nous voyons à Rome si souvent | |||
: Ces garses forcener, et la pluspart d’icelles | |||
: N’estre vieilles, Ronsard, mais d’âge de pucelles, | |||
: Et se trouver tousjours en un mesme couvent ? | |||
: Qui parle par leur voix ? Quel dœmon leur defend | |||
: De respondre à ceux-là qui ne sont cognus d’elles ? | |||
: Et d’où vient que soudain on ne les voit plus telles, | |||
: Ayans une chandelle esteincte de leur vent ? | |||
: D’où vient que les saincts lieux telles fureurs augmentent ? | |||
: D’où vient que tant d’esprits une seule tourmentent ? | |||
: Et que sortans les uns, le reste ne sort pas ? | |||
: Dy, je te pri, Ronsard, toy qui sçais leurs natures : | |||
: Ceulx qui faschent ainsi ces pauvres creatures, | |||
: Sont-ilz des plus hautains, des moyens, ou plus bas ? | |||
::: XCIX | |||
: Quand je vays par la rue, où tant de peuple abonde, | |||
: De prestres, de prelats, et de moines aussi, | |||
: De banquiers, d’artisans, et n’y voyant, ainsi | |||
: Qu’on voit dedans Paris, la femme vagabonde : | |||
: Pyrrhe, après le degast de l’universelle onde, | |||
: Ses pierres, di-je alors, ne sema point ici : | |||
: Et semble proprement avoir ce peuple ci, | |||
: Que Dieu n’y ait formé que la moitié du monde. | |||
: Car la dame Romaine en gravité marchant, | |||
: Comme la conseillere, ou femme du marchand, | |||
: Ne s’y pourmene point, et n’y voit-on que celles, | |||
: Qui se sont de la Court l’honneste nom donné ; | |||
: Dont je crains quelquefois qu’en France retourné, | |||
: Autant que j’en verray ne me resemblent telles. | |||
::: C | |||
: Ursin, quand j’oy nommer de ces vieux noms Romains, | |||
: De ces beaux noms cognus de l’Inde jusqu’au More, | |||
: Non les grands seulement, mais les moindres encore, | |||
: Voire ceux-là qui ont les ampoulles aux mains : | |||
: Il me fasche d’ouïr appeller ces villains | |||
: De ces noms tant fameux que tout le monde honore : | |||
: Et sans le nom Chrestien, le seul nom que j’adore, | |||
: Voudrais que de tels noms on appellast nos Saints. | |||
: Le mien sur tous me fasche, et me fasche un Guillaume, | |||
: Et mil autres sots noms communs en ce royaume, | |||
: Voyant tant de facquins indignement jouir | |||
: De ces beaux noms de Rome, et de ceulx de la Grece : | |||
: Mais par sur tout, Ursin, il me fasche d’ouïr | |||
: Nommer une Thaïs du nom d’une Lucrece. | |||
::: CI | |||
: Que dirons-nous, Melin, de ceste court Romaine, | |||
: Où nous voions chacun divers chemins tenir, | |||
: Et aux plus hauts honneurs les moindres parvenir, | |||
: Par vice, par vertu, par travail, et sans peine ? | |||
: L’un fait pour s’avancer une despense vaine, | |||
: L’autre par ce moyen se voit grand devenir : | |||
: L’un par severité se sçait entretenir, | |||
: L’autre gaigne les cœurs par sa douceur humaine : | |||
: L’un pour ne s’avancer se voit estre avancé, | |||
: L’autre pour s’avancer se voit desavancé, | |||
: Et ce qui nuit à l’un, à l’autre est profitable : | |||
: Qui dit que le sçavoir est le chemin d’honneur, | |||
: Qui dit que l’ignorance attire le bon heur, | |||
: Lequel des deux, Melin, est le plus veritable ? | |||
::: CII | |||
: On ne fait de tout bois l’image de Mercure, | |||
: Dit le proverbe vieil : mais nous voyions ici | |||
: De tout bois faire Pape, et Cardinaux aussi, | |||
: Et vestir en trois jours tout une autre figure. | |||
: Les Princes et les Rois viennent grands de nature, | |||
: Aussi de leurs grandeurs n’ont-ils tant de souci, | |||
: Comme ces Dieux nouveaux, qui n’ont que le sourci, | |||
: Pour faire reverer leur grandeur, qui peu dure. | |||
: Paschal, j’ay veu celuy qui n’agueres trainoit | |||
: Toute Rome apres luy, quand il se pourmenoit, | |||
: Avecques trois vallets cheminer par la rue : | |||
: Et trainer apres luy un long orgueil Romain | |||
: Celuy, de qui le pere a l’ampoulle en la main, | |||
: Et l’aiguillon au poing se courbe à la charrue. | |||
::: CIII | |||
: Si la perte des tiens, si les pleurs de ta mere, | |||
: Et si de tes parents les regrets quelquefois, | |||
: Combien, cruel Amour, que sans amour tu sois, | |||
: T’ont fait sentir le dueil de leur complainte amere : | |||
: C’est or' qu’il faut monstrer ton flambeau sans lumiere, | |||
: C’est or' qu’il faut porter sans flesches ton carquois, | |||
: C’est or' qu’il faut briser ton petit arc Turquois, | |||
: Renouvellant le dueil de ta perte premiere. | |||
: Car ce n’est pas icy qu’il te faut regretter | |||
: Le pere au bel Ascaigne : il te faut lamenter | |||
: Le bel Ascaigne mesme, Ascaigne, ô quel dommage ! | |||
: Ascaigne, que Caraffe aymoit plus que ses yeux : | |||
: Ascaigne, qui passoit en beauté de visage | |||
: Le beau Couppier Troyen, qui verse à boire aux Dieux. | |||
::: CIV | |||
: Si fruicts, raisins et bledz, et autres telles choses, | |||
: Ont leur tronc, et leur sep, et leur semence aussi, | |||
: Et s’on void au retour du printemps addouci, | |||
: Naistre de toutes parts violettes, et roses ; | |||
: Ni fruicts, raisins, ni bledz, ni fleurettes descloses | |||
: Sortiront, Viateur, du corps qui gist ici : | |||
: Aulx, oignons, et pourreaux, et ce qui fleure ainsi, | |||
: Auront ici dessous leurs semences encloses. | |||
: Toi donc, qui de l’encens et du basme n’as point, | |||
: Si du grand Jules tiers quelque regret te poingt, | |||
: Parfume son tombeau de telle odeur choisie | |||
: Puis que son corps, qui fut jadis egal aux Dieux | |||
: Se souloit paistre ici de telz mets precieux, | |||
: Comme au ciel Jupiter se paist de l’ambroisie. | |||
::: CV | |||
: De voir mignon du Roy un courtisan honneste, | |||
: Voir un pauvre cadet l’ordre au col soustenir, | |||
: Un petit compagnon aux estatz parvenir, | |||
: Ce n’est chose, Morel, digne d’en faire feste. | |||
: Mais voir un estaffier, un enfant, une beste, | |||
: Un forfant, un poltron Cardinal devenir, | |||
: Et pour avoir bien sceu un singe entretenir | |||
: Un Ganymède avoir le rouge sur la teste : | |||
: S’estre vu par les mains d’un soldat Espagnol | |||
: Bien haut sur une eschelle avoir la corde au col | |||
: Celuy, que par le nom de Saint-Pere l’on nomme : | |||
: Un belistre en trois jours aux princes s’egaller, | |||
: Et puis le voir de là en trois jours devaller : | |||
: Ces miracles, Morel, ne se font point, qu’à Rome. | |||
::: CVI | |||
: Qui niera, Gillebert, s’il ne veut resister | |||
: Au jugement commun, que le siege de Pierre | |||
: Qu’on peut dire à bon droit un Paradis en terre, | |||
: Aussi bien que le ciel, n’ait son grand Juppiter ? | |||
: Les Grecs nous ont fait l’un sur Olympe habiter, | |||
: Dont souvent dessus nous ses foudres il desserre : | |||
: L’autre du Vatican délasche son tonnerre, | |||
: Quand quelque Roy l’a fait contre lui despiter. | |||
: Du Juppiter celeste un Ganymede on vante, | |||
: Le thusque Juppiter en a plus de cinquante : | |||
: L’un de Nectar s’enyvre, et l’autre de bon vin. | |||
: De l’aigle l’un et l’autre a la defense prise, | |||
: Mais l’un hait les tyrans, l’autre les favorise : | |||
: Le mortel en ceci n’est semblable au divin. | |||
::: CVII | |||
: Où que je tourne l’œil, soit vers le Capitole, | |||
: Vers les bains d’Antonin, ou Diocletien, | |||
: Et si quelqu’œuvre encor dure plus ancien | |||
: De la porte Saint Pol jusques à Ponte-mole : | |||
: Je deteste àpart-moy ce vieux Faucheur, qui vole, | |||
: Et le Ciel, qui ce tout a reduit en un rien : | |||
: Puis songeant que chacun peut repeter le sien, | |||
: Je me blasme, et cognois que ma complainte est fole. | |||
: Aussi seroit celuy par trop audacieux, | |||
: Qui voudroit accuser ou le Temps ou les Cieux, | |||
: Pour voir une medaille, ou colonne brisee. | |||
: Et qui sçait si les Cieux referont point leur tour, | |||
: Puis que tant de Seigneurs nous voyons chacun jour | |||
: Bastir sur la Rotonde, et sur le Collisee? | |||
::: CVIII | |||
: Je fuz jadis Hercule, or Pasquin je me nomme, | |||
: Pasquin fable du peuple, et qui fais toutefois | |||
: Le mesme office encor que j’ay fait autrefois, | |||
: Veu qu’ores par mes vers tant de monstres j’assomme. | |||
: Aussi mon vray mestier c’est de n’espargner homme, | |||
: Mais les vices chanter d’une publique voix : | |||
: Et si ne puis encor, quelque fort que je sois, | |||
: Surmonter la fureur de cet Hydre de Rome. | |||
: J’ai porté sur mon col le grand Palais des Dieux, | |||
: Pour soulager Atlas, qui sous le faiz des cieux | |||
: Courboit las et recreu sa grande eschine large. | |||
: Ores au lieu du ciel, je porte sur mon dos, | |||
: Un gros moyne Espagnol, qui me froisse les os, | |||
: Et me poise trop plus que ma premiere charge. | |||
::: CIX | |||
: Comme un, qui veut curer quelque Cloaque immunde, | |||
: S’il n’a le nez armé d’une contresenteur, | |||
: Estouffé bien souvent de la grand’puanteur | |||
: Demeure enseveli dans l’ordure profonde : | |||
: Ainsi le bon Marcel ayant levé la bonde, | |||
: Pour laisser escouler la fangeuse espesseur | |||
: Des vices entassez, dont son predecesseur | |||
: Avoit six ans devant empoisonné le monde : | |||
: Se trouvant le pauvret de telle odeur surpris, | |||
: Tomba mort au milieu de son œuvre entrepris, | |||
: N’ayant pas à demi ceste ordure purgee. | |||
: Mais quiconques rendra tel ouvrage parfait, | |||
: Se pourra bien vanter d’avoir beaucoup plus fait, | |||
: Que celuy qui purgea les estables d’Augee. | |||
::: CX | |||
: Quand mon Caraciol de leur prison desserre | |||
: Mars, les ventz, et l’hyver : une ardente fureur, | |||
: Une fiere tempeste, une tremblante horreur | |||
: Ames, ondes, humeurs, ard, renverse, et resserre. | |||
: Quand il luy plait aussi de renfermer la guerre, | |||
: Et l’orage, et le froid : une amoureuse ardeur, | |||
: Une longue bonasse, une douce tiedeur | |||
: Brusle, appaise, et resoult les cœurs, l’onde, et la terre. | |||
: Ainsi la paix à Mars il oppose en un temps, | |||
: Le beau temps à l’orage, à l’hyver le printemps, | |||
: Comparant Paule quart avec Jules troisieme. | |||
: Aussi ne furent onq' deux siecles plus divers, | |||
: Et ne se peut mieulx voir l’endroit par le revers, | |||
: Que mettant Jules tiers avec Paule quatrieme. | |||
::: CXI | |||
: Je n’ai jamais pensé que ceste voute ronde | |||
: Couvrist rien de constant : mais je veux desormais, | |||
: Je veux, mon cher Morel, croire plus que jamais, | |||
: Que dessous ce grand Tout rien ferme ne se fonde, | |||
: Puisque celuy qui fut de la terre et de l’onde | |||
: Le tonnerre et l’effroy, las de porter le faiz, | |||
: Veut d’un cloistre borner la grandeur de ses faicts, | |||
: Et pour servir à Dieu abandonner le monde. | |||
: Mais quoy ? que dirons-nous de cet autre vieillard, | |||
: Lequel ayant passé son âge plus gaillard | |||
: Au service de Dieu, ores Cesar imite ? | |||
: Je ne sçay qui des deux est le moins abusé : | |||
: Mais je pense, Morel, qu’il est fort mal aisé, | |||
: Que l’un soit bon guerrier, ni l’autre bon hermite. | |||
::: CXII | |||
: Quand je voy ces Seigneurs qui l’espee et la lance | |||
: Ont laissé pour vestir ce saint orgueil Romain, | |||
: Et ceux-là, qui ont pris le baston en la main, | |||
: Sans avoir jamais fait preuve de leur vaillance : | |||
: Quand je les vois, Ursin, si chiches d’audience, | |||
: Que souvent par quatre huiz on la mendie en vain : | |||
: Et quand je voy l’orgueil d’un Camerier hautain, | |||
: Lequel feroit à Job perdre la patience : | |||
: Il me souvient alors de ces lieux enchantez, | |||
: Qui sont en Amadis, et Palmerin chantez, | |||
: Desquels l’entree estoit si cherement vendue. | |||
: Puis je dis : ô combien le Palais que je voy | |||
: Me semble different du Palais de mon Roy, | |||
: Où l’on ne trouve point de chambre deffendue ! | |||
::: CXIII | |||
: Avoir veu devaller une triple Montaigne, | |||
: Apparoir une Biche, et disparoir soudain, | |||
: Et dessus le tombeau d’un Empereur Romain | |||
: Une vieille Caraffe eslever pour enseigne : | |||
: Ne voir qu’entrer soldats, et sortir en campagne, | |||
: Emprisonner Seigneurs pour un crime incertain, | |||
: Retourner forussis, et le Napolitain | |||
: Commander en son rang à l’orgueil de l’Espagne : | |||
: Force nouveaux seigneurs, dont les plus apparens | |||
: Sont de Sa Saincteté les plus proches parens, | |||
: Et force Cardinaux, qu’à grand peine l’on nomme : | |||
: Force braves chevaux, et force hauts collets, | |||
: Et force favoriz, qui n’estoient que vallets : | |||
: Voilà, mon cher Dagaut, des nouvelles de Rome. | |||
::: CXIV | |||
: Ô trois et quatre fois malheureuse la terre, | |||
: Dont le Prince ne voit que par les yeux d’autruy, | |||
: N’entend que par ceux-là, qui respondent pour luy, | |||
: Aveugle, sourd, et muet, plus que n’est une pierre ! | |||
: Tels sont ceux-là, Seigneur, qu’aujourd’huy l’on reserre | |||
: Oysifs dedans leur chambre, ainsi qu’en un estuy, | |||
: Pour durer plus long temps, et ne sentir l’ennuy | |||
: Que sent leur pauvre peuple accablé de la guerre. | |||
: Ils se paissent enfans, de trompes et canons, | |||
: De fifres, de tabours, d’enseignes, gomphanons, | |||
: Et de voir leur province aux ennemis en proye. | |||
: Tel estoit cestui-là, qui du haut d’une tour, | |||
: Regardant ondoyer la flamme tout autour, | |||
: Pour se donner plaisir chantoit le feu de Troye. | |||
::: CXV | |||
: Ô que tu es heureux, si tu cognois ton heur, | |||
: D’estre eschappé des mains de ceste gent cruelle, | |||
: Qui sous un faux semblant d’amitié mutuelle | |||
: Nous desrobbe le bien, et la vie, et l’honneur ! | |||
: Où tu es, mon Dagaut, la secrette rancueur, | |||
: Le soin qui comme un hidre en nous se renouvelle, | |||
: L’avarice, l’envie, et la haine immortelle | |||
: Du chetif courtisan n’empoisonnent le cœur. | |||
: La molle oisiveté n’y engendre le vice, | |||
: Le serviteur n’y perd son temps et son service, | |||
: Et n’y mesdit on point de cil qui est absent : | |||
: La justice y a lieu, la foy n’en est bannie, | |||
: Là ne sçait-on que c’est de prendre à compagnie, | |||
: À change, à cense, à stoc, et à trente pour cent. | |||
::: CXVI | |||
: Fuyons, Dilliers, fuyons ceste cruelle terre, | |||
: Fuyons ce bord avare, et ce peuple inhumain, | |||
: Que des Dieux irritez la vengeresse main | |||
: Ne nous accable encor' sous un mesme tonnerre. | |||
: Mars est desenchainé, le temple de la guerre | |||
: Est ouvert à ce coup : le grand Prestre Romain | |||
: Veult foudroyer là bas l’heretique Germain | |||
: Et l’Espagnol marran, ennemis de sainct Pierre. | |||
: On ne voit que soldats, enseignes, gomphanons, | |||
: On n’oit que tabourins, trompettes, et canons, | |||
: On ne voit que chevaux courans parmi la plaine : | |||
: On n’oit plus raisonner que de sang, et de feu, | |||
: Maintenant on verra, si jamais on l’a veu, | |||
: Comment se sauvera la nacelle Romaine. | |||
::: CXVII | |||
: Celuy vrayement estoit et sage, et bien appris, | |||
: Qui cognoissant du feu la semence divine | |||
: Estre des Animans la premiere origine | |||
: De substance de feu dit estre nos esprits. | |||
: Le corps est le tison de ceste ardeur espris, | |||
: Lequel, d’autant qu’il est de matiere plus fine, | |||
: Fait un feu plus luisant, et rend l’esprit plus digne | |||
: De monstrer ce qui est en soy-mesme compris. | |||
: Ce feu donques celeste, humble de sa naissance, | |||
: S’esleve peu-à-peu au lieu de son essence, | |||
: Tant qu’il soit parvenu au poinct de sa grandeur : | |||
: Adonc il diminue, et sa force lassee | |||
: Par faute d’aliment en cendres abbaissee, | |||
: Sent faillir tout à coup sa languissante ardeur. | |||
::: CXVIII | |||
: Quand je voy ces Messieurs, desquels l’auctorité | |||
: Se voit ores ici commander en son rang, | |||
: D’un front audacieux cheminer flanc à flanc, | |||
: Il me semble de voir quelque divinité. | |||
: Mais les voyant paslir lorsque Sa Saincteté | |||
: Crache dans un bassin, et d’un visage blanc | |||
: Cautement espier s’il y a point de sang, | |||
: Puis d’un petit sousris feindre une seureté : | |||
: Ô combien, di-je alors, la grandeur que je voy | |||
: Est miserable au prix de la grandeur d’un Roy ! | |||
: Malheureux qui si cher achette tel honneur. | |||
: Vrayment le fer meurtrier, et le rocher aussi | |||
: Pendent bien sur le chef de ces Seigneurs ici, | |||
: Puisque d’un vieux filet depend tout leur bonheur. | |||
::: CXIX | |||
: Brusquet à son retour vous racontera, Sire, | |||
: De ces rouges prelats la pompeuse apparence, | |||
: Leurs mules, leurs habits, leur longue reverence, | |||
: Qui se peut beaucoup mieux representer que dire. | |||
: Il vous racontera, s’il les sçait bien descrire, | |||
: Les mœurs de ceste court, et quelle difference | |||
: Se voit de ses grandeurs à la grandeur de France, | |||
: Et mille autres bons poincts, qui sont dignes de rire. | |||
: Il vous peindra la forme, et l’habit du sainct Pere, | |||
: Qui, comme tout Jupiter, tout le monde tempere, | |||
: Avecques un clin d’œil : sa faconde et sa grace, | |||
: L’honnesteté des siens, leur grandeur et largesse, | |||
: Les presens qu’on luy fait, et de quelle caresse | |||
: Tout ce que se dit vostre à Rome l’on embrasse. | |||
::: CXX | |||
: Voici le Carnaval, menons chacun la sienne, | |||
: Allons baller en masque, allons nous pourmener, | |||
: Allons voir Marc Antoine ou Zani bouffonner, | |||
: Avec son Magnifique à la Venitienne : | |||
: Voyons courir le pal à la mode ancienne, | |||
: Et voyons par le nez le sot bufle mener : | |||
: Voyons le fier taureau d’armes environner, | |||
: Et voyons au combat l’adresse Italienne : | |||
: Voyons d’œufs parfumez un orage gresler, | |||
: Et la fusee ardent siffler menu par l’air. | |||
: Sus donc despeschons nous, voici la pardonnance : | |||
: Il nous faudra demain visiter les saincts lieux, | |||
: Là nous ferons l’amour, mais ce sera des yeux, | |||
: Car passer plus avant c’est contre l’ordonnance. | |||
::: CXXI | |||
: Se fascher tout le jour d’une fascheuse chasse, | |||
: Voir un brave taureau se faire un large tour, | |||
: Estonné de se voir tant d’hommes alentour, | |||
: Et cinquante picquiers affronter son audace : | |||
: Le voir en s’elançant venir la teste basse, | |||
: Fuir et retourner d’un plus brave retour, | |||
: Puis le voir à la fin pris dans quelque destour, | |||
: Percé de mille coups ensanglanter la place : | |||
: Voir courir aux flambeaux, mais sans se rencontrer, | |||
: Donner trois coups d’espee, en armes se monstrer, | |||
: Et tout autour du camp un rempart de Thudesques : | |||
: Dresser un grand apprest, faire attendre long temps, | |||
: Puis donner à la fin un maigre passe temps : | |||
: Voilà tout le plaisir des festes Romanesques. | |||
::: CXXII | |||
: Cependant qu’au Palais de procez tu devises, | |||
: D’advocats, procureurs, presidents, conseillers, | |||
: D’ordonnances, d’arrests, de nouveaux officiers, | |||
: De juges corrompus, et de telles surprises : | |||
: Nous devisons ici de quelques villes prises, | |||
: De nouvelles de banque, et de nouveaux courriers, | |||
: De nouveaux Cardinaux, de mules, d’estaffiers, | |||
: De chappes, de rochets, de masses, et valises : | |||
: Et ores, Sibilet, que je t’escri ceci, | |||
: Nous parlons de taureaux, et de buffles aussi, | |||
: De masques, de banquets, et de telles despences : | |||
: Demain nous parlerons d’aller aux stations, | |||
: De motu-proprio, de reformations, | |||
: D’ordonnances, de briefs, de bulles, et dispenses. | |||
::: CXXIII | |||
: Nous ne sommes faschez que la trefve se face : | |||
: Car bien que nous soyons de la France bien loin, | |||
: Si est chascun de nous à soy-mesme tesmoin | |||
: Combien la France doit de la guerre estre lasse. | |||
: Mais nous sommes faschez que l’Espagnole audace, | |||
: Qui plus que le François de repos a besoin, | |||
: Se vante avoir la guerre et la paix en son poing, | |||
: Et que de respirer nous luy donnons espace. | |||
: Il nous fasche d’ouïr noz pauvres alliez | |||
: Se plaindre à tous propos qu’on les ait oubliez, | |||
: Et qu’on donne au privé l’utilité commune. | |||
: Mais ce qui plus nous fasche, est que les estrangers | |||
: Disent plus que jamais, que nous sommes legers, | |||
: Et que nous ne sçavons cognoistre la fortune. | |||
::: CXXIV | |||
: Le Roy (disent ici ces bannis de Florence) | |||
: Du sceptre d’Italie est frustré desormais, | |||
: Et son heureuse main cet heur n’aura jamais | |||
: De reprendre aux cheveux la fortune de France. | |||
: Le Pape mal content n’aura plus de fiance | |||
: En tous ces beaux desseins trop legerement faits, | |||
: Et l’exemple Sienois rendra par ceste paix | |||
: Suspecte aux estrangers la Françoise alliance. | |||
: L’Empereur affoibli ses forces reprendra, | |||
: L’Empire hereditaire à ce coup il rendra, | |||
: Et paisible à ce coup il rendra l’Angleterre. | |||
: Voilà que disent ceux, qui discourent du Roy : | |||
: Que leur respondrons-nous? Vineux, mande le moy, | |||
: Toy, qui sçais discourir et de paix et de guerre. | |||
::: CXXV | |||
: Dedans le ventre obscur, où jadis fut enclos | |||
: Tout cela qui depuis a rempli ce grand vuide, | |||
: L’air, la terre, et le feu, et l’element liquide, | |||
: Et tout cela qu’Atlas soustient dessus son dos, | |||
: Les semences du Tout estoyent encor' en gros, | |||
: Le chaud avec le sec, le froid avec l’humide, | |||
: Et l’accord, qui depuis leur imposa la bride, | |||
: N’avoit encor' ouvert la porte du Chaos : | |||
: Car la guerre en avoit la serrure brouillee, | |||
: Et la clef en estoit par l’âge si rouillee | |||
: Qu’en vain, pour en sortir, combattoit ce grand corps, | |||
: Sans la trefve, Seigneur, de la paix messagere, | |||
: Qui trouva le secret, et d’une main legere | |||
: La paix avec l’amour en fit sortir dehors. | |||
::: CXXVI | |||
: Tu sois la bien venue, ô bienheureuse trefve ! | |||
: Trefve, que le Chrestien ne peut assez chanter, | |||
: Puis que seule tu as la vertu d’enchanter | |||
: De nos travaux passez la souvenance grefve. | |||
: Tu dois durer cinq ans : et que l’envie en creve : | |||
: Car si le ciel benin te permet enfanter | |||
: Ce qu’on attend de toy, tu te pourras vanter | |||
: D’avoir fait une paix, qui ne sera si breve. | |||
: Mais si le favori, en ce commun repos | |||
: Doit avoir desormais le temps plus à propos | |||
: D’accuser l’innocent, pour luy ravir sa terre : | |||
: Si le fruict de la paix du peuple tant requis | |||
: À l’avare avocat est seulement acquis, | |||
: Trefve, va-t’en en paix, et retourne la guerre. | |||
::: CXXVII | |||
: Ici de mille fards la trahison se desguise, | |||
: Ici mille forfaits pullulent à foison, | |||
: Ici ne se punit l’homicide ou poison, | |||
: Et la richesse ici par usure est acquise : | |||
: Ici les grands maisons viennent de bastardise, | |||
: Ici ne se croit rien sans humaine raison, | |||
: Ici la volupté est tousjours de saison, | |||
: Et d’autant plus y plaist, que moins elle est permise. | |||
: Pense le demourant. Si est-ce toutefois | |||
: Qu’on garde encor' ici quelque forme de loix, | |||
: Et n’en est point du tout la justice bannie : | |||
: Icy le grand seigneur n’achette l’action, | |||
: Et pour priver autruy de sa possession | |||
: N’arme son mauvais droit de force et tyrannie. | |||
::: CXXVIII | |||
: Ce n’est pas de mon gré, Carle, que ma navire | |||
: Erre en la mer Tyrreène : un vent impetueux | |||
: La chasse malgré moy par ces flots tortueux, | |||
: Ne voiant plus le pol, qui sa faveur t’inspire. | |||
: Je ne voy que rochers, et si rien se peut dire | |||
: Pire que des rochers le heurt audacieux : | |||
: Et le phare jadis favorable à mes yeux | |||
: De mon cours egaré sa lanterne retire. | |||
: Mais si je puis un jour me sauver des dangers | |||
: Que je fuy vagabond par ces flots estrangers, | |||
: Et voir de l’Ocean les campagnes humides | |||
: J’arresteray ma nef au rivage Gaulois, | |||
: Consacrant ma despouille au Neptune François, | |||
: À Glauque, à Mélicerte, et aux sœurs Nereïdes. | |||
::: CXXIX | |||
: Je voy, Dilliers, je voy serener la tempeste, | |||
: Je voy le vieil Proté son troupeau renfermer, | |||
: Je voy le vert Triton s’esgayer sur la mer, | |||
: Et voy l’Astre jumeau flamboyer sur ma teste : | |||
: Jà le vent favorable à mon retour s’appreste, | |||
: Jà vers le front du port je commence à ramer, | |||
: Et voy jà tant d’amis, que ne puis les nommer, | |||
: Tendant les bras vers moy, sur le bord faire feste. | |||
: Je voy mon grand Ronsard, je le cognois d’ici, | |||
: Je voy mon cher Morel, et mon Dorat aussi, | |||
: Je voy mon Delahaye, et mon Paschal encore : | |||
: Et vois un peu plus loin (si je ne suis deçeu) | |||
: Mon divin Mauleon, duquel, sans l’avoir veu, | |||
: La grace, le sçavoir, et la vertu j’adore. | |||
::: CXXX | |||
: Et je pensois aussi ce que pensoit Ulysse, | |||
: Qu’il n’estoit rien plus doux que voir encor' un jour | |||
: Fumer sa cheminee, et apres long sejour | |||
: Se retrouver au sein de sa terre nourrice. | |||
: Je me resjouyssois d’estre eschappé au vice, | |||
: Aux Circes d’Italie, aux Sirenes d’amour, | |||
: Et d’avoir rapporté en France à mon retour | |||
: L’honneur que l’on s’acquiert d’un fidele service. | |||
: Las, mais après l’ennuy de si longue saison, | |||
: Mille soucis mordans je trouve en ma maison, | |||
: Qui me rongent le cœur sans espoir d’allegeance. | |||
: Adieu donques, Dorat, je suis encor Romain, | |||
: Si l’arc que les neuf sœurs te mirent en la main | |||
: Tu ne me preste ici, pour faire ma vengeance. | |||
::: CXXXI | |||
: Morel, dont le sçavoir sur tout autre je prise, | |||
: Si quelqu’un de ceux-là, que le Prince Lorrain | |||
: Guida dernierement au rivage Romain, | |||
: Soit en bien, soit en mal, de Rome te devise : | |||
: Di, qu’il ne sçait que c’est du siege de l’Église, | |||
: N’y ayant esprouvé que la guerre, et la faim, | |||
: Que Rome n’est plus Rome, et que celuy en vain | |||
: Presume d’en juger, qui bien ne l’a comprise. | |||
: Celuy qui par la rue a veu publiquement | |||
: La courtisanne en coche, ou qui pompeusement | |||
: L’a peu voir à cheval en accoustrement d’homme | |||
: Superbe se monstrer : celuy qui de plain jour | |||
: Aux Cardinaux en cappe a veu faire l’amour, | |||
: C’est celuy seul, Morel, qui peut juger de Rome. | |||
::: CXXXII | |||
: Vineux, je ne vis oncques si plaisante province. | |||
: Hostes si gracieux, ni peuple si humain, | |||
: Que ton petit Urbin, digne que sous sa main | |||
: Le tienne un si gentil et si vertueux Prince. | |||
: Quant à l’estat du Pape, il fallut que j’apprinse | |||
: À prendre en patience et la soif et la faim : | |||
: C’est pitié, comme là le peuple est inhumain, | |||
: Comme tout y est cher, et comme lon y pinse. | |||
: Mais tout cela n’est rien au prix du Ferrarois : | |||
: Car je ne voudrois pas pour le bien de deux Rois, | |||
: Passer encor’ un coup par si penible enfer, | |||
: Bref, je ne sçay, Vineux, qu’en conclure à la fin, | |||
: Fors, qu’en comparaison de ton petit Urbin, | |||
: Le peuple de Ferrare est un peuple de fer. | |||
::: CXXXIII | |||
: Il fait bon voir, Magny, ces Coyons magnifiques, | |||
: Leur superbe Arcenal, leurs vaisseaux, leur abord, | |||
: Leur saint Marc, leur Palais, leur Realte, leur port, | |||
: Leurs changes, leurs profits, leur banque et leurs trafiques : | |||
: Il fait bon voir le bec de leurs chapprons antiques, | |||
: Leurs robbes à grand’ manche et leurs bonnets sans bord, | |||
: Leur parler tout grossier, leur gravité, leur port, | |||
: Et leurs sages advis aux affaires publiques. | |||
: Il fait bon voir de tout leur Senat balloter, | |||
: Il fait bon voir partout leurs gondoles flotter, | |||
: Leurs femmes, leurs festins, leur vivre solitaire : | |||
: Mais ce que lon en doit le meilleur estimer, | |||
: C’est quand ces vieux cocus vont espouser la mer, | |||
: Dont ils sont les maris, et le Turc l’adultere. | |||
::: CXXXIV | |||
: Celuy qui d’amitié a violé la loy, | |||
: Cerchant de son amy la mort et vitupere : | |||
: Celuy qui en procez a ruiné son frere, | |||
: Ou le bien d’un mineur a converty à soy : | |||
: Celuy qui a trahi sa patrie et son Roy, | |||
: Celuy qui comme Œdipe a fait mourir son pere, | |||
: Celuy qui comme Oreste a fait mourir sa mere, | |||
: Celuy qui a nié son baptesme et sa foy : | |||
: Marseille, il ne faut point que pour la penitence | |||
: D’une si malheureuse abominable offense, | |||
: Son estomac plombé martelant nuict et jour, | |||
: Il voise errant nuds pieds ne six ne sept années : | |||
: Que les Grisons sans plus il passe à ses journees, | |||
: J’entens, s’il veut que Dieu luy doive du retour. | |||
::: CXXXV | |||
: La terre y est fertile, amples les edifices, | |||
: Les poelles bigarrez, et les chambres de bois, | |||
: La police immuable, immuables les loix, | |||
: Et le peuple ennemi de forfaits et de vices. | |||
: Ils boivent nuict et jour en Bretons et Suisses, | |||
: Ils sont gras et refaits, et mangent plus que trois : | |||
: Voilà les compagnons et correcteurs des Rois, | |||
: Que le bon Rabelais a surnommez Saucisses. | |||
: Ils n’ont jamais changé leurs habits et façons, | |||
: Ils hurlent comme chiens leurs barbares chansons, | |||
: Ils comptent à leur mode, et de tout se font croire : | |||
: Ils ont force beaux lacs et force sources d’eau, | |||
: Force prez, force bois. J’ay du reste, Belleau, | |||
: Perdu le souvenir, tant ils me firent boire. | |||
::: CXXXVI | |||
: Je les ay veus, Bizet, et si bien m’en souvient, | |||
: J’ay veu dessus leur front la repentance peinte, | |||
: Comme on voit ces esprits qui là-bas font leur plainte, | |||
: Ayant passé le lac d’où plus on ne revient. | |||
: Un croire de leger les fols y entretient | |||
: Sous un prétexte faux de liberté contrainte : | |||
: Les coulpables fuitifs y demeurent par crainte, | |||
: Les plus fins et rusez honte les y retient. | |||
: Au demeurant, Bizet, l’avarice et l’envie, | |||
: Et tout cela qui plus tormente nostre vie, | |||
: Domine en ce lieu là plus qu’en tout autre lieu. | |||
: Je ne viz onques tant l’un l’autre contre-dire, | |||
: Je ne viz onques tant l’un de l’autre mesdire : | |||
: Vray est que, comme ici, l’on n’y jure point Dieu. | |||
::: CXXXVII | |||
: Scève, je me trouvay comme le fils d’Anchise | |||
: Entrant dans l’Elysee, et sortant des enfers, | |||
: Quand apres tant de monts de neiges tous couverts | |||
: Je vy ce beau Lyon, Lyon que tant je prise. | |||
: Son estroite longueur, que la Sône divise, | |||
: Nourrit mille artisans, et peuples tous divers : | |||
: Et n’en déplaise à Londre, à Venise, et Anvers, | |||
: Car Lyon n’est pas moindre en fait de marchandise. | |||
: Je m’estonnay d’y avoir passer tant de courriers, | |||
: D’y voir tant de banquiers, d’imprimeurs, d’armuriers, | |||
: Plus dru que l’on ne voit les fleurs par les prairies. | |||
: Mais je m’estonnay plus de la force des ponts, | |||
: Dessus lesquelz on passe, allant delà les monts, | |||
: Tant de belles maisons, et tant de metairies. | |||
::: CXXXVIII | |||
: De-vaux, la mer reçoit tous les fleuves du monde, | |||
: Et n’en augmente point : semblable à la grand’mer | |||
: Est ce Paris sans pair, où l’on voit abysmer | |||
: Tout ce qui là dedans de toutes parts abonde. | |||
: Paris est en sçavoir une Grece feconde, | |||
: Une Rome en grandeur Paris on peut nommer, | |||
: Une Asie en richesse on le peut estimer, | |||
: En rares nouveautez une Afrique seconde. | |||
: Bref, en voyant, De-vaux, ceste grande cité, | |||
: Mon œil, qui paravant estoit exercité | |||
: À ne s’esmerveiller des choses plus estranges, | |||
: Print esbaïssement. Ce qui ne me put plaire, | |||
: Ce fut l’estonnement du badaud populaire, | |||
: La presse des chartiers, les procez, et les fanges. | |||
::: CXXXIX | |||
: Si tu veux vivre en Court, Dilliers, souvienne-toy | |||
: De t’accoster tousjours des mignons de ton maistre : | |||
: Si tu n’es favori, faire semblant de l’estre, | |||
: Et de t’accommoder aux passetemps du Roy. | |||
: Souvienne-toy encor' de ne prester ta foy | |||
: Au parler d’un chacun, mais sur tout sois adextre | |||
: A t’aider de la gauche autant que de la dextre, | |||
: Et par les mœurs d’autruy à tes mœurs donne loy. | |||
: N’avance rien du tien, Dilliers, que ton service, | |||
: Ne monstre que tu sois trop ennemy du vice, | |||
: Et sois souvent encor', muet, aveugle et sourd. | |||
: Ne fay que pour autruy importun on te nomme, | |||
: Faisant ce que je di, tu seras galand homme : | |||
: T’en souvienne, Dilliers, si tu veux vivre en Court. | |||
::: CXL | |||
: Si tu veux seurement en Court te maintenir, | |||
: Le silence, Ronsard, te soit comme un decret. | |||
: Qui baille à son amy la clef de son secret, | |||
: Le fait de son amy son maistre devenir. | |||
: Tu dois encor', Ronsard, ce me semble, tenir | |||
: Aveq' ton ennemi quelque moyen discret, | |||
: Et faisant contre luy, monstrer qu’à ton regret | |||
: Le seul devoir te fait en ces termes venir. | |||
: Nous voyons bien souvent une longue amitié | |||
: Se changer pour un rien en fiere inimitié, | |||
: Et la haine en amour souvent se transformer. | |||
: Dont (veu le temps qui court) il ne faut s’esbahir, | |||
: Aime donques, Ronsard, comme pouvant haïr, | |||
: Hays donques, Ronsard, comme pouvant aimer. | |||
::: CXLI | |||
: Ami, je t’apprendray (encores que tu sois, | |||
: Pour te donner conseil, de toy mesme assez sage) | |||
: Comme jamais tes vers ne te feront outrage, | |||
: Et ce qu’en tes escrits plus eviter tu dois. | |||
: Si de Dieu, ou du Roy tu parles quelquefois, | |||
: Fay que tu sois prudent, et sobre en ton langage : | |||
: Le trop parler de Dieu porte souvent dommage, | |||
: Et longues sont les mains des Princes et des Rois. | |||
: Ne t’attache à qui peut, si sa fureur l’allume, | |||
: Venger d’un coup d’espee un petit traict de plume, | |||
: Mais presse, comme on dit, ta levre avec le doy. | |||
: Ceux que de tes bons mots tu vois pasmer de rire, | |||
: Si quelque outrageux fol t’en veut faire desdire, | |||
: Ce seront les premiers à se mocquer de toy. | |||
::: CXLII | |||
: Cousin parle tousjours des vices en commun, | |||
: Et ne discours jamais d’affaires à la table, | |||
: Mais sur tout garde toy d’estre trop veritable, | |||
: Si en particulier tu parles de quelqu’un. | |||
: Ne commets ton secret à la foy d’un chacun, | |||
: Ne di rien qui ne soit pour le moins vray-semblable : | |||
: Si tu mens, que ce soit pour chose profitable, | |||
: Et qui ne tourne point au deshonneur d’aucun. | |||
: Sur tout garde toy bien d’estre double en paroles, | |||
: Et n’use sans propos de finesses frivoles, | |||
: Pour acquerir le bruit d’estre bon courtisan. | |||
: L’artifice caché c’est le vray artifice : | |||
: La souris bien souvent perit par son indice, | |||
: Et souvent par son art se trompe l’artisan. | |||
::: CXLIII | |||
: Bizet, j’aymerois mieux faire un bœuf d’un formi, | |||
: Ou faire d’une mousche un indique elephant, | |||
: Que, le bonheur d’autruy par mes vers estoufant, | |||
: Me faire d’un chascun le publiq ennemi. | |||
: Souvent pour un bon mot on perd un bon ami, | |||
: Et tel par ses bons mots croit (tant il est enfant) | |||
: S’estre mis sur la teste un chapeau triomphant, | |||
: À qui mieux eust valu estre bien endormi. | |||
: La louange, Bizet, est facile à chacun, | |||
: Mais la satyre n’est un ouvrage commun : | |||
: C’est, trop plus qu’on ne pense, un œuvre industrieux. | |||
: Il n’est rien si fascheux qu’un brocard mal plaisant, | |||
: Et faut bien, comme on dit, bien dire en mesdisant, | |||
: Veu que le louer mesme est souvent odieux. | |||
::: CXLIV | |||
: Gordes, je sçaurois bien faire un conte à la table, | |||
: Et s’il estoit besoin contrefaire le sourd : | |||
: J’en sçaurois bien donner, et faire à quelque lourd | |||
: Le vray ressembler faux, et le faux veritable. | |||
: Je me sçaurois bien rendre à chacun accointable, | |||
: Et façonner mes mœurs aux mœurs du temps qui court : | |||
: Je sçaurois bien prester (comme on dit à la Court) | |||
: Aupres d’un grand seigneur quelque œuvre charitable. | |||
: Je sçaurois bien encor', pour me mettre en avant, | |||
: Vendre de la fumee à quelque poursuyvant, | |||
: Et pour estre employé en quelque bon affaire, | |||
: Me feindre plus ruzé cent fois que je ne suis : | |||
: Mais ne le voulant point, Gordes, je ne le puis, | |||
: Et si ne blasme point, ceux qui le sçavent faire ! | |||
::: CXLV | |||
: Tu t’abuses, Belleau, si pour estre sçavant, | |||
: Sçavant et vertueux, tu penses qu’on te prise : | |||
: Il fault, comme lon dit, estre homme d’entreprise | |||
: Si tu veux qu’à la Court on te pousse en avant. | |||
: Ces beaux noms de vertu, ce n’est rien que du vent : | |||
: Donques, si tu es sage, embrasse la feintise, | |||
: L’ignorance, l’envie, avec la convoitise : | |||
: Par ces arts jusqu’au ciel on monte bien souvent. | |||
: La science à la table est des seigneurs prisée, | |||
: Mais en chambre, Belleau, elle sert de risée : | |||
: Garde, si tu m’en crois, d’en acquerir le bruit. | |||
: L’homme trop vertueux desplait au populaire : | |||
: Et n’est-il pas bien fol qui s’efforçant de plaire, | |||
: Se mesle d’un mestier que tout le monde fuit ? | |||
::: CXLVI | |||
: Souvent nous faisons tort nous mesme’ à nostre ouvrage : | |||
: Encor' que nous soyons de ceux qui font le mieulx, | |||
: Soit par trop quelquefois contrefaire les vieux, | |||
: Soit par trop imiter ceux qui sont de nostre âge. | |||
: Nous ostons bien souvent aux princes le courage | |||
: De nous faire du bien : nous rendant odieux, | |||
: Soit pour en demandant estre trop ennuyeux, | |||
: Soit pour trop nous louant aux autres faire outrage. | |||
: Et puis, nous nous plaignons de voir nostre labeur | |||
: Veuf d’applaudissement, de grâce, et de faveur, | |||
: Et de ce que chacun à son œuvre souhaite. | |||
: Bref, louë qui voudra son art, et son mestier, | |||
: Mais cestui-là, Morel, n’est pas mauvais ouvrier, | |||
: Lequel sans estre fol, peut estre bon poëte. | |||
::: CXLVII | |||
: Ne te fasche, Ronsard, si tu vois par la France | |||
: Fourmiller tant d’escrits : ceux qui ont merité | |||
: D’estre advouez pour bons de la posterité, | |||
: Portent leur sauf-conduit et lettre d’asseurance. | |||
: Tout œuvre qui doit vivre, il a dès sa naissance | |||
: Un Demon qui le guide à l’immortalité : | |||
: Mais qui n’a rencontré telle nativité, | |||
: Comme fruict abortif, n’a jamais accroissance. | |||
: Virgile eut ce Demon, et l’eut Horace encor’, | |||
: Et tous ceux qui du temps de ce bon siècle d’or | |||
: Estoient tenuz pour bons : les autres n’ont plus vie. | |||
: Qu’eussions-nous leurs escrits, pour voir de nostre temps | |||
: Ce qui aux anciens servoit de passetemps, | |||
: Et quels estoient les vers d’un indocte Mevie. | |||
::: CXLVIII | |||
: Autant comme lon peut en un autre langage | |||
: Une langue exprimer, autant que la nature | |||
: Par l’art se peut monstrer, et que par la peinture | |||
: On peut tirer au vif un naturel visage : | |||
: Autant exprimes-tu, et encor d’avantage | |||
: Avecques le pinceau de ta docte escriture | |||
: La grace, la façon, le port, et la stature | |||
: De celuy, qui d’Enee a descrit le voyage. | |||
: Ceste mesme candeur, ceste grace divine, | |||
: Ceste mesme douceur, et majesté Latine, | |||
: Qu’en ton Virgile on voit, c’est celle mesme encore, | |||
: Qui Françoise se rend par ta celeste veine. | |||
: Des-Masures, sans plus, a faute d’un Mecene, | |||
: Et d’un autre Cesar, qui ses vertus honore. | |||
::: CXLIX | |||
: Vous dictes, courtisans, les Poëtes sont fouls, | |||
: Et dictes verité : mais aussi dire j’ose, | |||
: Que tels que vous soyez, vous tenez quelque chose | |||
: De ceste douce humeur qui est commune à tous. | |||
: Mais celle-là, Messieurs, qui domine sur vous, | |||
: En autres actions diversement s’expose : | |||
: Nous sommes fouls en rime, et vous l’estes en prose : | |||
: C’est le seul different qu’est entre vous et nous. | |||
: Vray est que vous avez la Court plus favorable, | |||
: Mais aussi n’avez vous un renom si durable : | |||
: Vous avez plus d’honneurs, et nous moins de souci. | |||
: Si vous riez de nous, nous faisons la pareille : | |||
: Mais cela qui se dit s’en vole par l’oreille, | |||
: Et cela qui s’escrit ne se perd pas ainsi. | |||
::: CL | |||
: Seigneur, je ne sçaurois regarder d’un bon œil | |||
: Ces vieux singes de Court, qui ne sçavent rien faire | |||
: Sinon en leur marcher les Princes contrefaire, | |||
: Et se vestir, comme eux, d’un pompeux appareil. | |||
: Si leur maistre se mocque, ils feront le pareil, | |||
: S’il ment, ce ne sont eux qui diront du contraire : | |||
: Plutost auront-ilz veu, à fin de luy complaire, | |||
: La Lune en plein midy, à minuict le Soleil. | |||
: Si quelqu’un devant eux reçoit un bon visage, | |||
: Ils le vont caresser, bien qu’ils crevent de rage : | |||
: S’il le reçoit mauvais, ils le monstrent au doy. | |||
: Mais ce qui plus contre eux quelquefois me despite, | |||
: C’est quand devant le Roy, d’un visage hypocrite, | |||
: Ils se prennent à rire, et ne sçavent pourquoy. | |||
::: CLI | |||
: Je ne te prie pas de lire mes escrits, | |||
: Mais je te prie bien qu’ayant fait bonne chere, | |||
: Et joué toute nuict aux dez, à la premiere, | |||
: Et au jeu que Venus t’a sur tous mieux appris, | |||
: Tu ne viennes ici desfascher tes esprits, | |||
: Pour te mocquer des vers que je mets en lumiere, | |||
: Et que de mes escrits la leçon coustumiere, | |||
: Par faute d’entretien, ne te serve de ris. | |||
: Je te priray encor, quiconques tu puisse' estre, | |||
: Qui, brave de la langue, et foible de la dextre, | |||
: De blesser mon renom te monstres toujours prest, | |||
: Ne mesdire de moy : ou prendre patience, | |||
: Si ce que ta bonté me preste en conscience, | |||
: Tu te le vois par moy rendre à double interest. | |||
::: CLII | |||
: Si mes escrits, Ronsard, sont semez de ton los, | |||
: Et si le mien encor tu ne dedaignes dire, | |||
: D’estre enclos en mes vers ton honneur ne desire, | |||
: Et par là je ne cerche en tes vers estre enclos. | |||
: Laissons donc, je te pri, laissons causer ces sots, | |||
: Et ces petits gallands, qui ne sachant que dire, | |||
: Disent, voyant Ronsard et Bellay s’entr’escrire, | |||
: Que ce sont deux mulets qui se grattent le dos. | |||
: Nos louanges, Ronsard, ne font tort à personne : | |||
: Et quelle loy defend que l’un à l’autre en donne, | |||
: Si les amis entre eux des presens se font bien ? | |||
: On peut comme l’argent trafiquer la louange, | |||
: Et les louanges sont comme lettres de change, | |||
: Dont le change et le port, Ronsard, ne couste rien. | |||
::: CLIII | |||
: On donne les degrez au sçavant escolier, | |||
: On donne les estats à l’homme de justice, | |||
: On donne au courtisan le riche benefice, | |||
: Et au bon capitaine on donne le collier : | |||
: On donne le butin au brave avanturier, | |||
: On donne à l’officier les droits de son office, | |||
: On donne au serviteur le gain de son service, | |||
: Et au docte poëte on donne le laurier. | |||
: Pourquoi donc fais-tu tant lamenter Calliope, | |||
: Du peu de bien qu’on fait à sa gentille troppe ? | |||
: Il faut, Jodelle, il faut autre labeur choisir, | |||
: Que celuy de la Muse, à qui veut qu’on l’avance : | |||
: Car quel loyer veux-tu avoir de ton plaisir, | |||
: Puis que le plaisir mesme en est la recompense ? | |||
::: CLIV | |||
: Si tu m’en crois, Baïf, tu changeras Parnasse | |||
: Au palais de Paris, Helicon au parquet, | |||
: Ton laurier en un sac, et ta lyre au caquet, | |||
: De ceux qui pour serrer, la main n’ont jamais lasse. | |||
: C’est à ce mestier là, que les biens on amasse, | |||
: Non à celuy des vers : où moins y a d’acquet | |||
: Qu’au mestier d’un boufon, ou celui d’un naquet. | |||
: Fy du plaisir, Baïf, qui sans profit se passe. | |||
: Laissons donq, je te pry, ces babillardes Sœurs, | |||
: Ce causeur Apollon, et ces vaines douceurs, | |||
: Qui pour tout leur tresor n’ont que des lauriers verds : | |||
: Aux choses de profit, ou celles qui font rire, | |||
: Les grands ont aujourd’huy les oreilles de cire, | |||
: Mais ils les ont de fer pour escouter les vers. | |||
::: CLV | |||
: Thiard, qui as changé en plus grave escriture | |||
: Ton doux stile amoureux : Thiard, qui nous as fait | |||
: D’un Petrarque un Platon, et si rien plus parfait | |||
: Se trouve que Platon, en la mesme nature : | |||
: Qui n’admire du ciel la belle architecture, | |||
: Et de tout ce qu’on voit les causes et l’effect, | |||
: Celuy vrayment doit estre un homme contrefait, | |||
: Lequel n’a rien d’humain, que la seule figure. | |||
: Contemplons donc, Thiard, ceste grand’ voute ronde, | |||
: Puis que nous sommes faits à l’exemple du monde : | |||
: Mais ne tenons les yeux si attachez en haut, | |||
: Que pour ne les baisser quelquefois vers la terre, | |||
: Nous soyons en danger, par le hurt d’une pierre, | |||
: De nous blesser le pied, ou de prendre le saut. | |||
::: CLVI | |||
: Par ses vers Teïens Belleau me fait aimer | |||
: Et le vin, et l’amour : Baïf, ta challemie | |||
: Me fait plus qu’une royne une rustique amie, | |||
: Et plus qu’une grand' ville un village estimer. | |||
: Le docte Pelletier fait mes flancs emplumer, | |||
: Pour voler jusqu’au ciel avec son Uranie : | |||
: Et par l’horrible effroy d’une estrange harmonie | |||
: Ronsard de pied en cap hardi me fait armer. | |||
: Mais je ne sçay comment ce Dœmon de Jodelle, | |||
: Dœmon est-il vrayment, car d’une voix mortelle | |||
: Ne sortent point ses vers tout soudain que je l’oy, | |||
: M’aiguillonne, m’espoint, m’espouvante, m’affolle, | |||
: Et comme Apollon fait de sa prestresse folle, | |||
: À moy-mesme m’ostant, me ravit tout à soy. | |||
::: CLVII | |||
: En ce pendant, Clagny, que de mil argumens | |||
: Variant le dessein du royal edifice, | |||
: Tu vas renouvelant d’un hardi frontispice | |||
: La superbe grandeur des plus vieux monumens, | |||
: Avec d’autres compas et d’autres instrumens, | |||
: Fuyant l’ambition, l’envie, et l’avarice, | |||
: Aux Muses je bastis, d’un nouvel artifice | |||
: Un palais magnifique à quatre appartemens. | |||
: Les Latines auront un ouvrage Dorique | |||
: Propre à leur gravité, les Grecques un attique | |||
: Pour leur naïfveté, les Françoises auront | |||
: Pour leur grave douceur une œuvre Ionienne, | |||
: D’ouvrage elabouré à la Corinthienne | |||
: Sera le corps d’hostel, où les Thusques seront. | |||
::: CLVIII | |||
: De ce Royal palais que bastiront mes doigts, | |||
: Si la bonté du Roy me fournit de matiere, | |||
: Pour rendre sa grandeur et beauté plus entière, | |||
: Les ornemens seront de traicts et d’arcs turquois. | |||
: Là d’ordre flanc à flanc se voyront tous nos Rois, | |||
: Là se voira maint Faune, et Nymphe passagere : | |||
: Sur le portail sera la Vierge forestiere, | |||
: Avecques son croissant, son arc, et son carquois. | |||
: L’appartement premier Homere aura pour marque, | |||
: Virgile le second, le troisieme Petrarque, | |||
: Du surnom de Ronsard le quatrieme on dira. | |||
: Chacun aura sa forme et son architecture, | |||
: Chacun ses ornemens, sa grace et sa peinture, | |||
: Et en chacun, Clagny, ton beau nom se lira. | |||
::: CLIX | |||
: De votre Dianet (de vostre nom j’appelle | |||
: Vostre maison d’Anet) la belle architecture, | |||
: Les marbres animez, la vivante peinture, | |||
: Qui la font estimer des maisons la plus belle : | |||
: Les beaux lambris dorez, la luysante chappelle, | |||
: Les superbes dongeons, la riche couverture, | |||
: Le jardin tapissé d’eternelle verdure, | |||
: Et la vive fontaine à la source immortelle : | |||
: Ces ouvrages, Madame, à qui bien les contemple, | |||
: rapportant de l’antiqu’ le plus parfait exemple, | |||
: Monstrent un artifice, et despense admirable. | |||
: Mais ceste grand’ douceur jointe à ceste hautesse, | |||
: Et cet Astre benin joint à ceste sagesse, | |||
: Trop plus que tout cela vous font esmerveillable. | |||
::: CLX | |||
: Entre tous les honneurs, dont en France est cogneu | |||
: Ce renommé Bertran, des moindres n’est celuy | |||
: Que luy donne la Muse, et qu’on dise de luy, | |||
: Que par lui un Salel soit riche devenu. | |||
: Toy donc, à qui la France a desja retenu | |||
: L’un de ses plus beaux lieux, comme seul aujourd’huy | |||
: Où les arts ont fondé leur principal appuy, | |||
: Quand au lieu qui t’attend tu seras parvenu : | |||
: Fay que de ta grandeur ton Magny se ressente, | |||
: À fin que si Bertran de son Salel se vante, | |||
: Tu te puisses aussi de ton Magny vanter. | |||
: Tous deux sont Quercinois, tous deux bas d’estature : | |||
: Et ne seroyent pas moins semblables d’escriture, | |||
: Si Salel avait sceu plus doucement chanter. | |||
::: CLXI | |||
: Prelat, à qui les cieux ce bon heur ont donné, | |||
: D’estre agreable aux Rois : Prelat, dont la prudence | |||
: Par les degrez d’honneur a mis en evidence | |||
: Que pour le bien public Dieu t’avoit ordonné : | |||
: Prelat, sur tous prelats sage et bien fortuné, | |||
: Prelat, garde des loix, et des seaux de la France, | |||
: Digne que sur ta foy repose l’asseurance | |||
: D’un Roy le plus grand Roy qui fut onq' couronné : | |||
: Devant que t’avoir veu j’honorois ta sagesse, | |||
: Ton sçavoir, ta vertu, ta grandeur, ta largesse, | |||
: Et si rien entre nous se doit plus honorer : | |||
: Mais ayant esprouvé ta bonté nompareille, | |||
: Qui souvent m’a presté si doucement l’oreille, | |||
: Je souhaitte qu’un jour je te puisse adorer. | |||
::: CLXII | |||
: Après s’estre basti sur les murs de Carthage | |||
: Un sepulchre eternel, Scipion irrité | |||
: De voir à sa vertu ingrate sa cité, | |||
: Se bannit de soy-mesme en un petit village. | |||
: Tu as fait, Olivier, mais d’un plus grand courage, | |||
: Ce que fit Scipion en son adversité, | |||
: Laissant, durant le cours de ta felicité, | |||
: La Court, pour vivre à toy le reste de ton âge. | |||
: Le bruit de Scipion maint corsaire attiroit | |||
: Pour contempler celuy que chascun admiroit, | |||
: Bien qu’il fust retiré en son petit Linterne. | |||
: On te fait le semblable : admirant ta vertu | |||
: D’avoir laissé la Court, et ce monstre testu, | |||
: Ce peuple qui ressemble à la beste de Lerne. | |||
::: CLXIII | |||
: Il ne faut point, Duthier, pour mettre en evidence | |||
: Tant de belles vertus qui reluisent en toy, | |||
: Que je te rende icy l’honneur que je te doy, | |||
: Celebrant ton sçavoir, ton sens, et ta prudence. | |||
: Le bruit de ta vertu est tel, que l’ignorance | |||
: Ne le peut ignorer: et qui louë le Roy, | |||
: Il faut qu’il louë encor' ta prudence, et ta foy : | |||
: Car ta gloire est conjointe à la gloire de France. | |||
: Je diray seulement que depuis nos ayeux | |||
: La France n’a point veu un plus laborieux | |||
: En sa charge que toy, et qu’autre ne se treuve | |||
: Plus courtois, plus humain, ni qui ait plus de soin | |||
: De secourir l’amy à son plus grand besoin. | |||
: J’en parle seurement, car j’en ay fait l’espreuve. | |||
::: CLXIV | |||
: Combien que ton Magny ait la plume si bonne, | |||
: Si prendrois-je avec luy de tes vertus le soin, | |||
: Sachant que Dieu, qui n’a de nos presens besoin, | |||
: Demande les presens de plus d’une personne. | |||
: Je dirois ton beau nom, qui de luy-mesme sonne | |||
: Ton bruit parmi la France, en Itale, et plus loin : | |||
: Et dirois que Henry est luy-mesme tesmoin | |||
: Combien un Avanson avance sa couronne. | |||
: Je dirois ta bonté, ta justice, et ta foy, | |||
: Et mille autres vertus qui reluisent en toy, | |||
: Dignes qu’un seul Ronsard les sacre à la Memoire : | |||
: Mais sentant le souci qui me presse le dos, | |||
: Indigne je me sens de toucher à ton los, | |||
: Sachant que Dieu ne veut qu’on prophane sa gloire. | |||
::: CLXV | |||
: Quand je voudray sonner de mon grand Avanson | |||
: Les moins grandes vertus, sur ma corde plus basse | |||
: Je diray sa faconde, et l’honneur de sa face, | |||
: Et qu’il est des neuf Sœurs le plus cher nourrisson. | |||
: Quand je voudray toucher avec un plus haut son | |||
: Quelque plus grand’vertu, je chanteray sa grace, | |||
: Sa bonté, sa grandeur, qui la justice embrasse, | |||
: Mais là je ne mettray le but de ma chanson, | |||
: Car quand plus hautement je sonneray sa gloire, | |||
: Je diray que jamais les filles de Memoire | |||
: Ne diront un plus sage, et vertueux que luy : | |||
: Plus prompt à son devoir, plus fidele à son Prince, | |||
: Ne qui mieux s’accommode au regne d’aujourd’huy, | |||
: Pour servir son seigneur en estrange province. | |||
::: CLXVI | |||
: Combien que ta vertu, Poulin, soit entendue | |||
: Par tout où des François le bruit est entendu, | |||
: Et combien que ton nom soit au large estendu | |||
: Autant que la grand’mer est au large estendue : | |||
: Si faut-il toutefois que Bellay s’esvertue, | |||
: Aussi bien que la mer, de bruire ta vertu, | |||
: Et qu’il sonne de toy avec l’œrain tortu, | |||
: Ce que sonne Triton de sa trompe tortue. | |||
: Je diray que tu es le Tiphys du Jason, | |||
: Qui doit par ton moyen conquerir la toison, | |||
: Je diray ta prudence, et ta vertu notoire : | |||
: Je diray ton pouvoir qui sur la mer s’estend, | |||
: Et que les Dieux marins te favorisent tant, | |||
: Que les terrestres Dieux sont jaloux de ta gloire. | |||
::: CLXVII | |||
: Sage de l’Hospital, qui seul de nostre France | |||
: Rabaisses aujourd’huy l’orgueil Italien, | |||
: Et qui nous monstres seul, d’un art Horacien, | |||
: Comme il faut chastier le vice et l’ignorance : | |||
: Si je voulais louer ton sçavoir, ta prudence, | |||
: Ta vertu, ta bonté, et ce qu’est vrayment tien, | |||
: À tes perfections je n’adjousterois rien, | |||
: Et pauvre me rendroit la trop grand’abondance. | |||
: Et qui pourroit, bons Dieux, faire plus digne foy | |||
: Des rares qualitez qui reluisent en toy, | |||
: Que ceste autre Pallas, ornement de nostre âge ? | |||
: Ainsi jusqu’aujourd’huy, ainsi encor' voit-on | |||
: Estre tant renommé le maistre de Platon, | |||
: Pour ce qu’il eut d’un dieu la voix pour tesmoignage. | |||
::: CLXVIII | |||
: Nature à vostre naistre heureusement feconde, | |||
: Prodigue, vous donna tout son plus et son mieux, | |||
: Soit ceste grand' douceur qui luit dedans vos yeux, | |||
: Soit ceste majesté disertement faconde. | |||
: Vostre rare vertu, qui n’a point de seconde, | |||
: Et vostre esprit ailé, qui voisine les cieux, | |||
: Vous ont donné le lieu le plus prochain des Dieux, | |||
: Et la plus grand’ faveur du plus grand Roy du monde. | |||
: Bref, vous avez tout seul tout ce qu’on peut avoir | |||
: De richesse, d’honneur, de grace, et de sçavoir : | |||
: Que voulez-vous donc plus esperer d’avantage ? | |||
: Le libre jugement de la posterité, | |||
: Qui, encor' qu’ell' assigne au ciel vostre partage, | |||
: Ne vous donnera pas ce qu’avez merité. | |||
::: CLXIX | |||
: La fortune, Prelat, nous voulant faire voir | |||
: Ce qu’elle peut sur nous, a choisi de notre âge | |||
: Celuy qui de vertu, d’esprit, et de courage | |||
: S’estoit le mieux armé encontre son pouvoir. | |||
: Mais la vertu qui n’est apprise à s’esmouvoir, | |||
: Non plus que le rocher se meut contre l’orage, | |||
: Dontera la fortune, et contre son outrage | |||
: De tout ce qui luy faut, se sçaura bien pourvoir. | |||
: Comme ceste vertu immuable demeure, | |||
: Ainsi le cours du ciel se change d’heure en heure. | |||
: Aidez-vous donq, Seigneur, de vous mesme au besoin, | |||
: Et joyeux attendez la saison plus prospere, | |||
: Qui vous doit ramener vostre oncle et vostre frere : | |||
: Car et d’eux et de vous le ciel a pris le soin. | |||
::: CLXX | |||
: Ce n’est pas sans propos qu’en vous le ciel a mis | |||
: Tant de beautez d’esprit et de beautez de face, | |||
: Tant de royal honneur, et de royale grace, | |||
: Et que plus que cela vous est encor' promis. | |||
: Ce n’est pas sans propos que les Destins amis, | |||
: Pour rabaisser l’orgueil de l’Espagnole audace, | |||
: Soit par droit d’alliance, ou soit par droit de race, | |||
: Vous ont par leurs arrests trois grands peuples soumis. | |||
: Ilzz veulent que par vous la France, et l’Angleterre | |||
: Changent en longue paix l’hereditaire guerre, | |||
: Qui a de pere en fils si longuement duré : | |||
: Ils veulent que par vous la belle vierge Astree | |||
: En ce Siecle de fer reface encor' entree, | |||
: Et qu’on revoye encor' le beau Siecle doré. | |||
::: CLXXI | |||
: Muse, qui autrefois chantas la verde Olive, | |||
: Empenne tes deux flancs d’une plume nouvelle, | |||
: Et te guidant au ciel avecques plus haute aile, | |||
: Vole où est d’Apollon la belle plante vive. | |||
: Laisse, mon cher souci, la paternelle rive, | |||
: Et portant desormais une charge plus belle, | |||
: Adore ce haut nom, dont la gloire immortelle | |||
: De nostre pole arctiqu' à l’autre pole arrive. | |||
: Louë l’esprit divin, le courage indontable, | |||
: La courtoise douceur, la bonté charitable, | |||
: Qui soustient la grandeur, et la gloire de France. | |||
: Et di, ceste princesse et si grande et si bonne, | |||
: Porte dessus son chef de France la couronne : | |||
: Mais di cela si haut, qu’on l’entende à Florence. | |||
::: CLXXII | |||
: Digne fils de Henry, nostre Hercule Gaulois, | |||
: Nostre second espoir, qui portes sus ta face, | |||
: Retraicte au naturel, la maternelle grace, | |||
: Et gravee en ton cœur la vertu de Vallois : | |||
: Cependant que le ciel, qui jà dessous tes loix | |||
: Trois peuples a soumis, armera ton audace | |||
: D’une plus grand' vigueur, suy ton pere à la trace, | |||
: Et apprens à donter l’Espagnol, et l’Anglois. | |||
: Voicy de la vertu la penible montee, | |||
: Qui par le seul travail veut estre surmontee : | |||
: Voilà de l’autre part le grand chemin battu, | |||
: Où au sejour du vice on monte sans eschelle. | |||
: Deçà, Seigneur, deçà, où la vertu t’appelle, | |||
: Hercule se fit Dieu par la seule vertu. | |||
::: CLXXIII | |||
: La Grecque poesie orgueilleuse se vante | |||
: Du los qu’à son Homere Alexandre donna, | |||
: Et les vers que Cesar de Virgile sonna, | |||
: La Latine aujourd’hui les chante et les rechante. | |||
: La Françoise qui n’est tant que ces deux sçavante, | |||
: Comme qui son Homere et son Virgile n’a, | |||
: Maintient que le Laurier qui François couronna, | |||
: Baste seul pour la rendre à tout jamais vivante. | |||
: Mais les vers qui l’ont mise encor' en plus haut pris, | |||
: Sont les vostres, Madame, et ces divins escrits | |||
: Que mourant nous laissa la Roine vostre mere. | |||
: Ô poesie heureuse, et bien digne des Rois, | |||
: De te pouvoir vanter des escripts Navarrois, | |||
: Qui t’honorent trop plus qu’un Virgile ou Homere ! | |||
::: CLXXIV | |||
: Dans l’enfer de son corps mon esprit attaché | |||
: (Et cet enfer, Madame, a esté mon absence) | |||
: Quatre ans et d’avantage a fait la p’nitence | |||
: De tous les vieux forfaits dont il fut entaché. | |||
: Ores, graces aux Dieux, or’ il est relaché | |||
: De ce penible enfer, et par vostre presence | |||
: Reduit au premier poinct de sa divine essence, | |||
: A dechargé son dos du fardeau de peché. | |||
: Ores sous la faveur de vos graces prisees, | |||
: Il jouit du repos des beaux champs Elysées, | |||
: Et si n’a volonté d’en sortir jamais hors. | |||
: Donques, de l’eau d’oubli ne l’abreuvez, Madame, | |||
: De peur qu’en la beuvant nouveau desir l’enflamme | |||
: De retourner encor dans l’enfer de son corps. | |||
::: CLXXV | |||
: Non pource qu’un grand Roy ait esté vostre pere, | |||
: Non pour vostre degré, et royale hauteur, | |||
: Chacun de vostre nom veut estre le chanteur, | |||
: Ni pource qu’un grand Roy soit ores vostre frere. | |||
: La nature, qui est de tous commune mere, | |||
: Vous fit naistre, Madame, avecques ce grand heur, | |||
: Et ce qui accompagne une telle grandeur, | |||
: Ce sont souvent des dons de fortune prospere. | |||
: Ce qui vous fait ainsi admirer d’un chascun, | |||
: C’est ce qui est tout vostre, et qu’avec vous commun | |||
: N’ont tous ceux-là qui ont couronnes sur leurs testes : | |||
: Ceste grace, et douceur, et ce je ne sçay quoy, | |||
: Que quand vous ne seriez fille, ni sœur de Roy, | |||
: Si vous jugeroit-on estre ce que vous estes. | |||
::: CLXXVI | |||
: Esprit royal, qui prens de lumiere eternelle | |||
: Ta seule nourriture, et ton accroissement, | |||
: Et qui de tes beaux rais en nostre entendement | |||
: Produis ce haut desir, qui au ciel nous r'appelle, | |||
: N’apperçois-tu combien par ta vive estincelle | |||
: La vertu luit en moy ? n’as-tu point sentiment | |||
: Par l’œil, l’ouïr, l’odeur, le goust, l’attouchement, | |||
: Que sans toy ne reluit chose aucune mortelle ? | |||
: Au seul object divin de ton image pure | |||
: Se meut tout mon penser, qui par la souvenance | |||
: De ta haute bonté tellement se r'asseure, | |||
: Que l’ame et le vouloir ont pris mesme asseurance | |||
: (Chassant tout appetit et toute vile cure) | |||
: De retourner au lieu de leur premiere essence. | |||
::: CLXXVII | |||
: Si la vertu, qui est de nature immortelle, | |||
: Comme immortelles sont les semences des cieux, | |||
: Ainsi qu’à nos esprits, se monstroit à nos yeux, | |||
: Et nos sens hebetez estoient capables d’elle, | |||
: Non ceux-là seulement qui l’imaginent telle, | |||
: Et ceulx ausquels le vice est un monstre odieux, | |||
: Mais on verroit encor les mesmes vicieux | |||
: Épris de sa beauté, des beautez la plus belle. | |||
: Si tant aimable donc seroit ceste vertu | |||
: À qui la pourroit voir, Vineux, t’esbahis-tu | |||
: Si j’ay de ma Princesse au cœur l’image empreinte ? | |||
: Si sa vertu j’adore, et si d’affection | |||
: Je parle si souvent de sa perfection, | |||
: Veu que la vertu mesme en son visage est peinte ? | |||
::: CLXXVIII | |||
: Quand d’une douce ardeur doucement agité | |||
: J’userois quelque fois en louant ma Princesse | |||
: Des termes d’adorer, de celeste ou Deesse, | |||
: Et ces tiltres qu’on donne à la Divinité, | |||
: Je ne craindrois, Melin, que la posterité | |||
: Appellast pour cela ma Muse flateresse : | |||
: Mais en louant ainsi sa royale hautesse, | |||
: Je craindrois d’offenser sa grande humilité. | |||
: L’antique vanité avecques tels honneurs | |||
: Souloit idolâtrer les Princes et Seigneurs : | |||
: Mais le Chrestien qui met ces termes en usage, | |||
: Il n’est pas pour cela idolâtre ou flateur : | |||
: Car en donnant de tout la gloire au Createur, | |||
: Il loue l’ouvrier mesme, en louant son ouvrage. | |||
::: CLXXIX | |||
: Voyant l’ambition, l’envie, et l’avarice, | |||
: La rancune, l’orgueil, le desir aveuglé, | |||
: Dont cet âge de fer de vices tout rouglé | |||
: A violé l’honneur de l’antique justice : | |||
: Voyant d’une autre part la fraude, la malice, | |||
: Le procez immortel, le droit mal conseillé : | |||
: Et voyant au milieu du vice dereiglé | |||
: Ceste royale fleur, qui ne tient rien du vice : | |||
: Il me semble, Dorat, voir au ciel revolez | |||
: Des antiques vertuz les escadrons ailez, | |||
: N’ayans rien delaissé de leur saison doree | |||
: Pour reduire le monde à son premier printemps, | |||
: Fors ceste Marguerite, honneur de nostre temps, | |||
: Qui, comme l’esperance, est seule demeuree. | |||
::: CLXXX | |||
: De quelque autre suject, que j’escrive, Jodelle, | |||
: Je sens mon cœur transi d’une morne froideur, | |||
: Et ne sens plus en moy ceste divine ardeur, | |||
: Qui t’enflamme l’esprit de sa vive estincelle. | |||
: Seulement quand je veux toucher le los de celle | |||
: Qui est de nostre siecle et la perle, et la fleur, | |||
: Je sens revivre en moy ceste antique chaleur, | |||
: Et mon esprit lassé prendre force nouvelle. | |||
: Bref, je suis tout changé, et si ne sçay comment, | |||
: Comme on voit se changer la vierge en un moment, | |||
: À l’approcher du Dieu qui telle la fait estre. | |||
: D’où vient cela, Jodelle ? il vient, comme je croy, | |||
: Du suject, qui produit naïvement en moy | |||
: Ce que par art contraint les autres y font naistre. | |||
::: CLXXXI | |||
: Ronsard, j’ay veu l’orgueil des Colosses antiques, | |||
: Les theâtres en rond ouvers de tous costez, | |||
: Les colomnes, les arcs, les hauts temples voutez, | |||
: Et les sommets pointus des carrez obelisques. | |||
: J’ay veu des Empereurs les grands thermes publiques, | |||
: J’ay veu leurs monuments que le temps a dontez, | |||
: J’ay veu leurs beaux palais que l’herbe a surmontez, | |||
: Et des vieux murs Romains les poudreuses reliques. | |||
: Bref, j’ay veu tout cela que Rome a de nouveau, | |||
: De rare, d’excellent, de superbe, et de beau : | |||
: Mais je n’y ay point veu encores si grand'chose | |||
: Que ceste Marguerite, où semble que les cieux, | |||
: Pour effacer l’honneur de tous les siecles vieux, | |||
: De leurs plus beaux presens ont l’excellence enclose. | |||
::: CLXXXII | |||
: Je ne suis pas de ceux qui robent la loüange, | |||
: Fraudant indignement les hommes de valeur, | |||
: Ou qui, changeant le noir à la blanche couleur | |||
: Sçavent, comme l’on dit, faire d’un diable un ange. | |||
: Je ne fay point valoir, comme un tresor estrange, | |||
: Ce que vantent si haut nos marcadans d’honneur, | |||
: Et si ne cherche point que quelque grand seigneur | |||
: Me baille pour des vers des biens en contr’ eschange. | |||
: Ce que je quiers, Gournay, de ceste sœur de Roy, | |||
: Que j’honore, revere, admire comme toy, | |||
: C’est que de la louer sa bonté me dispense, | |||
: Puis qu’elle est de mes vers le plus louable object : | |||
: Car en loüant, Gournay, si louable subject, | |||
: Le los que je m’acquiers, m’est trop grand’ recompense. | |||
::: CLXXXIII | |||
: Morel, quand quelquefois je perds le temps à lire | |||
: Ce que font aujourd’huy nos trafiqueurs d’honneurs, | |||
: Je ri de voir ainsi desguiser ces Seigneurs, | |||
: Desquels (comme lon dit) ils font comme de cire. | |||
: Et qui pourroit, bons dieux ! se contenir de rire | |||
: Voyant un corbeau peint de diverses couleurs, | |||
: Un pourceau couronné de roses et de fleurs, | |||
: Ou le portrait d’un asne accordant une lire ? | |||
: La louange, à qui n’a rien de loüable en soy, | |||
: Ne sert que de le faire à tous monstrer au doy, | |||
: Mais elle est le loyer de cil qui la merite. | |||
: C’est ce qui fait, Morel, que si mal volontiers | |||
: Je di ceux, dont le nom fait rougir les papiers, | |||
: Et que j’ay si frequent celuy de Marguerite. | |||
::: CLXXXIV | |||
: Celuy qui de plus près attaint la Deité, | |||
: Et qui au ciel, Bouju, vole de plus haute aile, | |||
: C’est celuy qui suivant la vertu immortelle, | |||
: Se sent moins du fardeau de nostre humanité. | |||
: Celui qui n’a des Dieux si grand felicité, | |||
: L’admire toutefois comme une chose belle, | |||
: Honore ceux qui l’ont, se monstre amoureux d’elle, | |||
: Il a le second rang, ce semble, merité. | |||
: Comme au premier je tends d’aile trop foible et basse, | |||
: Ainsi je pense avoir au second quelque place : | |||
: Et comment puis-je mieux le second meriter | |||
: Qu’en louant ceste fleur, dont le vol admirable, | |||
: Pour gaigner du premier le lieu plus honorable | |||
: Ne laisse rien ici qui la puisse imiter ? | |||
::: CLXXXV | |||
: Quand ceste belle fleur premierement je vi, | |||
: Qui nostre âge de fer de ses vertus redore, | |||
: Bien que sa grand’valeur je ne cognoisse encore, | |||
: Si fus-je en la voyant de merveille ravi. | |||
: Depuis ayant le cours de fortune suivi | |||
: Où le Tybre tortu de jaune se colore | |||
: Et voyant ces grands dieux que l’ignorance adore, | |||
: Ignorans, vicieux, et meschans à l’envi : | |||
: Alors, Forget, alors ceste erreur ancienne, | |||
: Qui n’avoit bien cogneu ta Princesse et la mienne, | |||
: La venant à revoir, se dessilla les yeux : | |||
: Alors je m’apperceu qu’ignorant son merite | |||
: J’avois, sans la cognoistre, admiré Marguerite, | |||
: Comme, sans les cognoistre, on admire les cieux. | |||
::: CLXXXVI | |||
: La jeunesse, Du-Val, jadis me fit escrire | |||
: De cest aveugle archer, qui nous aveugle ainsi, | |||
: Puis fasché de l’Amour, et de sa mere aussi, | |||
: Les louanges des Rois j’accorday sur ma lire. | |||
: Ores je ne veux plus tels argumens eslire, | |||
: Ains je veux comme toy point d’un plus haut souci, | |||
: Chanter de ce grand Roy, dont le grave sourci | |||
: Fait trembler le celeste et l’infernal Empire. | |||
: Je veux chanter de Dieu, mais pour bien le chanter, | |||
: Il faut d’un avant-jeu ses louanges tenter, | |||
: Loüant, non la beauté de ceste masse ronde, | |||
: Mais ceste fleur, qui tient encor' un plus beau lieu : | |||
: Car comme elle est, Du-val, moins parfaite que Dieu, | |||
: Aussi l’est-elle plus que le reste du monde. | |||
::: CLXXXVII | |||
: Bucanan, qui d’un vers aux plus vieux comparable | |||
: Le surnom de Sauvage ostes à l’Escossois, | |||
: Si j’avois Apollon facile en mon François, | |||
: Comme en ton Grec tu l’as, et Latin favorable, | |||
: Je ne ferois monter, spectacle miserable, | |||
: Dessus un echafaut les miseres des Rois : | |||
: Mais je rendrois par tout d’une plus douce voix | |||
: Le nom de Marguerite aux peuples admirable : | |||
: Je dirois ses vertus et dirois que les cieux, | |||
: L’ayant fait naistre ici d’un temps si vicieux | |||
: Pour estre l’ornement, et la fleur de son âge, | |||
: N’ont moins en cest endroit demonstré leur sçavoir, | |||
: Leur pouvoir, leur vertu, que les Muses d’avoir | |||
: Fait naistre un Bucanan de l’Ecosse sauvage. | |||
::: CLXXXVIII | |||
: Paschal, je ne veux point Jupiter assommer, | |||
: Ni, comme fit Vulcan, luy rompre la cervelle, | |||
: Pour en tirer dehors une Pallas nouvelle, | |||
: Puis qu’on veut de ce nom ma Princesse nommer. | |||
: D’un effroyable armet je ne la veux armer, | |||
: Ny de ce que du nom d’une chevre on appelle, | |||
: Et moins pour avoir veu sa Gorgonne cruelle, | |||
: Veux-je en nouveaux cailloux les hommes transformer. | |||
: Je ne veux desguiser ma simple poësie | |||
: Sous le masque emprunté d’une fable moisie, | |||
: Ni souiller un beau nom de monstres tant hideux : | |||
: Mais suivant, comme toy, la veritable histoire, | |||
: D’un vers non fabuleux je veux chanter sa gloire | |||
: À nous, à nos enfans, et ceux qui naistront d’eux. | |||
::: CLXXXIX | |||
: Cependant, Pelletier, que dessus ton Euclide | |||
: Tu monstres ce qu’en vain ont tant cherché les vieux, | |||
: Et qu’en despit du vice, et du siecle envieux | |||
: Tu te guindes au ciel comme un second Alcide : | |||
: L’amour de la vertu, ma seule et seure guide, | |||
: Comme un cygne nouveau me conduit vers les cieux, | |||
: Et en despit d’envie, et du temps vicieux, | |||
: Je remplis d’un beau nom ce grand espace vuide. | |||
: Je voulois, comme toy, les vers abandonner, | |||
: Pour à plus haut labeur plus sage m’addonner : | |||
: Mais puis que la vertu à la louer m’appelle, | |||
: Je veux de la vertu les honneurs raconter : | |||
: Avecques la vertu je veux au ciel monter. | |||
: Pourrois-je au ciel monter avecques plus haute aile ? | |||
::: CXC | |||
: Dessous ce grand François, dont le bel astre luit | |||
: Au plus beau lieu du ciel, la France fut enceinte | |||
: Des lettres et des arts, et d’une troppe sainte | |||
: Que depuis sous Henry feconde elle a produit : | |||
: Mais elle n’eut plus tost fait monstre d’un tel fruit, | |||
: Et plutôt ce beau part n’eut la lumière attainte, | |||
: Que je ne sçay comment sa clairté fut estainte, | |||
: Et vid en mesme temps et son jour et sa nuict. | |||
: Helicon est tary, Parnasse est une plaine, | |||
: Les lauriers sont seichez, et France autrefois pleine | |||
: De l’esprit d’Apollon ne l’est plus que de Mars. | |||
: Phœbus s’en fuit de nous, et l’antique ignorance | |||
: Sous la faveur de Mars retourne encore en France, | |||
: Si Pallas ne deffend les lettres et les arts. | |||
::: CXCI | |||
: Sire, celuy qui est, a formé toute essence | |||
: De ce qui n’estoit rien. C’est l’œuvre du Seigneur : | |||
: Aussi tout honneur doit fleschir à son honneur, | |||
: Et tout autre pouvoir ceder à sa puissance. | |||
: On voit beaucoup de Rois, qui sont grands d’apparence : | |||
: Mais nul, tant il soit grand, n’aura jamais tant d’heur | |||
: De pouvoir à la vostre egaler sa grandeur : | |||
: Car rien n’est apres Dieu si grand qu’un Roy de France. | |||
: Puis donc que Dieu peut tout, et ne se trouve lieu | |||
: Lequel ne soit enclos sous le pouvoir de Dieu, | |||
: Vous, de qui la grandeur de Dieu seul est enclose, | |||
: Élargissez encor sur moy vostre pouvoir, | |||
: Sur moy, qui ne suis rien : à fin de faire voir | |||
: Que de rien un grand Roy peut faire quelque chose. | |||
::::: <big>'''Sonnet d’un Quidam.'''</big> | |||
::: Contre un des precedens, qui se commence. | |||
::: « Je les ay veus, Bizet », sonnet CXXXVI. | |||
: Que songeois-tu, Bellay, lors que parmi tes rymes | |||
: Après s’estre moqué des Papes, et des Rois, | |||
: Tu as eu contre nous ozé dresser ta voix, | |||
: En nous chargeant, menteur, impudemment de crimes ? | |||
: Pour avoir servi Christ couppables nous estimes, | |||
: Autre blasme sur nous mettre tu ne pourrois | |||
: Qu’en mentant faussement : cesse si tu m’en crois, | |||
: Jette au feu tes Sonnets, tes plumes et tes limes. | |||
: Car c’est au Dieu vivant, à qui tu fais la guerre. | |||
: Et quoy ? penses-tu bien par là bon bruit acquerre ? | |||
: Mais Rome t’a appris ainsi à louër Dieu. | |||
: Idolatre y allas, et si gardois encore | |||
: Ce principe qu’il faut que l’homme un Dieu adore, | |||
: Mais ceste raison-là vers toy n’a plus de lieu. | |||
::::: <big>RESPONSE DE L’AUTEUR</big> | |||
::::: Audict sonnet. | |||
: Mais où as-tu trouvé, quelle temerité ! | |||
: Qu’il faille ainsi juger d’une autre conscience ! | |||
: En quelle escole as-tu appris cette science, | |||
: Qui n’appartient sans plus qu’à la Divinité ? | |||
: Si j’ay, sans la nommer, touché quelque cité, | |||
: Dont la façon de vivre, et police m’offence, | |||
: Et tu voulois, Chrestien, en prendre la defence, | |||
: Me devois-tu pourtant noter d’impiété ? | |||
: Il semble à escouter vos superbes louanges, | |||
: Que vous soyez parfaits, que vous soyez plus qu’anges : | |||
: Le Pharisee ainsi se vantoit devant Dieu. | |||
: Que sçais-tu quel j’estois devant qu’aller à Rome ? | |||
: Quel je suis retourné ? quel j’ay vescu et comme ? | |||
: Ami, le vray Chrestien est chrestien en tout lieu. | |||
::::: Autre | |||
: Si Dieu est de vous seuls, comme il veut, adoré, | |||
: Si seuls enfans de Dieu, si seuls Chrestiens vous estes, | |||
: Si tous les autres sont sots, ignorans et bestes, | |||
: Si de tous, fors de vous, le vray est ignoré, | |||
: Je m’en rapporte à Dieu, qui veut estre honoré | |||
: Comme il a ordonné, non pas selon nos testes, | |||
: Qui le sert bien ou mal, je n’en fais point d’enquestes, | |||
: Un chacun de soy-mesme est tesmoin asseuré. | |||
: Mais quand à vos façons, je ne craindray de dire | |||
: Qu’il y a plus sur vous, que sur nous à redire, | |||
: Et que je ne vis onq’ moins plaisante cité. | |||
: Ce qu’à vous je n’impute, ains à vostre police, | |||
: Ou plutost à ceux-là, dont la courte malice | |||
: Abuse, comme on voit, vostre simplicité. | |||
::::: Autre | |||
: Si je me suis moqué, ce que je ne voudrois, | |||
: De ceux que par tes vers toy-mesme tu deprimes | |||
: J’ay fait beaucoup pour vous, et plus que tu n’estimes | |||
: De vous loger parmi les princes et les Rois. | |||
: Mais si à mes escrits respondre tu voulois, | |||
: Et respondre à propos sans parler de mes limes, | |||
: Il ne te falloit tant arrester sur mes rimes, | |||
: Il te falloit defendre et vos mœurs et vos loix. | |||
: Il te falloit descrire une forme de ville. | |||
: N’usant comme j’ay dit, de liberté servile, | |||
: Sans mesdire de Rome ainsi hors de saison. | |||
: Mais imitant des tiens la façon ordinaire, | |||
: Voyant que tu n’avois de quoy me satisfaire. | |||
: Tu m’as payé d’injure, et non pas de raison. | |||
::::: Autre | |||
: Puis que ce qu’en commun des vices j’ay escrit | |||
: Tu veux prendre pour toy, touche-là, je l’advouë : | |||
: Et si ce n’est assez, je te promets et vouë | |||
: De faire encor’ pour toy renaistre Democrit. | |||
: Et qui ne se riroit d’un si subtil esprit, | |||
: Qui en blamant autruy, si sottement se louë ? | |||
: Et veut que par les vers dont ma Muse se joue | |||
: En me moquant de luy, je me mocque de Christ ? | |||
: Si vos opinions sont bien ou mal fondées, | |||
: Je m’en rapporte à ceux qui les ont mieux sondees, | |||
: Baste que je me sens meilleur Chrestien que toy. | |||
: Quant à ce que j’ay dit de vos façons de vivre, | |||
: Je ne veux pour cela faire brusler mon livre, | |||
: Car vos mœurs ne sont pas articles de la foy. | |||
::::: Autre | |||
: Je n’ay pas entrepris, pour défendre l’Eglise | |||
: Que vous nommez contraire à l’Eglise de Christ, | |||
: De vous dresser ici un combat par escrit : | |||
: J’en laisse faire à ceux qui la charge en ont prise. | |||
: Mais si la charité est ce que plus Dieu prise, | |||
: Et l’arbre par le fruict se cognoit, comme on dit, | |||
: Celuy qui comme moy, à vos mœurs contredit, | |||
: Contre le Dieu vivant n’a la guerre entreprise. | |||
: Or si vous usiez là de quelque charité, | |||
: Celuy qui rien n’y porte en sçait la verité. | |||
: Quant à vos autres mœurs, loix et façons de faire, | |||
: Tu me nommes à tort imprudent et menteur, | |||
: De ce que j’en ay dict je ne suis inventeur, | |||
: Car c’est de vos prescheurs la complainte ordinaire. | |||
::: Fin des « Regrets ». | |||
---- | |||
''Les Regrets'', dans ''Œuvres complètes de Joachim Du Bellay'' (orthographe moderne), t. III, avec commentaire historique et critique par Léon Séché, Revue de la Renaissance (Paris), 1910, p. 25-116 ([[Œuvres de Joachim Du Bellay|livre]]). | |||
Source : ''Les Regrets (du Bellay)'', [https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Regrets_(du_Bellay) sur Wikisource], 2023, texte disponible sous licence CC-BY-SA. | |||
[[Joachim Du Bellay]] ou Joachim du Bellay (1522–1560), poète français de l'école de la Pléiade, écrit entre 1553 et 1557 un recueil de sonnets intitulé ''Les Regrets'', à l'occasion de son voyage à Rome, qui comprend 191 sonnets en alexandrins où il fustige la corruption de la Rome moderne et témoigne de la douleur de l'exil. Né à Liré, il y évoque son village natal et la douceur angevine. Les Regrets incluent le poème le plus célèbre de Du Bellay : {{citation|Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage}}. | |||
{{Autres documents}} Sur le même sujet : [[Douceur angevine]]. | |||
{{Document-piedpage-culture2}} | |||
[[Catégorie:Langue et littérature|regrets de Joachim Du Bellay, Les]] |