L'agglomération hospitalière de Cholet par É. Morin

De Wiki-Anjou
Langue et littérature angevine
Document   L’agglomération hospitalière de Cholet
Auteur   Éric Morin
Année d'édition   2017
Éditeur   In Situ (Nantes)
Note(s)   Patrimoines de la santé : essais de définition - enjeux de conservation


Comme tant d’autres aux XIXe et XXe siècles, l’hôpital de Cholet voit son développement encadré par une série de faits structurants : contexte législatif et réglementaire, fonctions urbaines existantes ou acquises, dynamisme démographique, demande sociale de soins de qualité, professionnalisation des acteurs de la santé, difficultés financières chroniques des établissements… L’ensemble hospitalier de Cholet est donc à l’image d’une ville en pleine expansion, prenant appui sur un secteur industriel actif, siège d’une sous-préfecture et dotée d’un régiment, une ville qui dans les années 1960 opte pour un nouveau centre hospitalier en périphérie et délaisse quelque peu le site historique. En matière de politique immobilière, les sources nous dévoilent un établissement confié à des autorités locales et nationales bâtisseuses : notables chargés de l’administration, bienfaiteurs, préfet, ministère de la Guerre et ministère de la Santé. La construction, en 1832, d’un bâtiment moderne et hygiéniste accolé à l’existant et réservé aux militaires s’avère être une véritable matrice. L’implantation, l’architecture et le coût de cet édifice vont influencer très fortement les choix opérés lors des extensions ultérieures. Ainsi, dans un entrelacs de bâtiments de toute époque, c’est un plan en peigne qui se dégage petit à petit, jusqu’aux derniers travaux en 1912. Ce triomphe de la raison économique ne s’est cependant jamais imposé comme une évidence. À chaque nouveau projet d’agrandissement, le canon de l’hôpital pavillonnaire a été défendu par certains des acteurs (essentiellement le monde de la santé). En vain ! À la fin du XXe siècle, c’est la problématique de la reconversion d’un site hospitalier quasi à l’abandon qui prévaut. L’équipe municipale affiche une double volonté : d’une part implanter en ces lieux les activités d’enseignement et de diffusion des arts du spectacle et d’autre part valoriser le patrimoine bâti sans s’interdire l’adjonction de constructions contemporaines. L’Espace Saint-Louis a mis un peu plus d’une quinzaine d’années à prendre forme. Ce lieu, ouvert sur la ville, offre une belle proposition d’interpénétration de deux univers architecturaux. Mais ce faisant, toute référence à l’activité hospitalière antérieure a disparu.

Introduction

Accéder au centre-ville de Cholet (Maine-et-Loire) par l’avenue des Cordeliers offre la possibilité de découvrir un ensemble architectural monumental dont le caractère hybride peut surprendre. Des formes architecturales résolument contemporaines sont imbriquées dans des bâtiments identifiés comme « classiques ». Les volumes, les matériaux et les couleurs des unes rompent avec la sobre ordonnance des autres.

Ce lieu vivant et largement ouvert sur la cité est un espace public depuis la période révolutionnaire. Il a abrité pendant presque deux siècles l’hôpital de Cholet (toutefois encore présent par quelques-uns de ses services annexes) avant de connaître un renouveau au début du XXIe siècle, lorsque le conservatoire de musique, de danse et d’art dramatique, dès 2004, et le théâtre Saint-Louis, à partir de 2012, ont animé ce qu’il est convenu d’appeler désormais l’espace Saint-Louis.

À vrai dire, le site est occupé depuis l’implantation, au début du XVe siècle, en contrebas de l’enceinte occidentale de la ville, d’une modeste communauté de religieux mendiants (les frères mineurs ou Cordeliers). Au siècle suivant, l’installation de Franciscaines (les Cordelières) à proximité immédiate, donne réellement vie aux lieux. Et six siècles durant, l’îlot connaît de profondes transformations. L’incessant remodelage architectural et urbanistique que l’on observe présente une constante : l’étroite imbrication de bâtiments disparates, systématiquement utilisés en réemploi avant que n’interviennent des constructions nouvelles et leur corollaire, des démolitions.

Nous nous limiterons ici à l’étude des bâtiments hospitaliers ainsi qu’à leur réhabilitation des années 2000. Il sera particulièrement intéressant de caractériser, pour le XIXe siècle et le début du siècle suivant, le travail bâtisseur des autorités locales et nationales : il est à l’origine d’un parc immobilier apte à répondre aux évolutions des politiques de santé publique. Le devenir de cet outil au XXe siècle et son déclassement lié à l’ouverture d’un centre hospitalier moderne à la périphérie introduisent la question de la réaffectation de locaux hospitaliers inutilisés. Le dossier choletais se révèle à cet égard très dense et porteur d’une proposition architecturale puissante.

Les prémices d’un hôpital moderne

La période révolutionnaire fut décisive pour les hôpitaux français car elle marque l’entrée en force d’un nouvel acteur : l’État. Désormais, les municipalités et les institutions charitables ne sont plus les seules à œuvrer, même si l’engagement étatique s’avère très variable selon les époques. Cholet, comme toutes les villes, participe à ce mouvement général. Cependant, la situation de guerre civile qui prévaut dans la région à la fin du XVIIIe siècle et qui se fait encore sentir durant la première moitié du XIXe siècle rend très présente sur le terrain l’armée, qui a ses propres exigences en matière de santé. Les hospices de Cholet apparaissent donc comme tributaires de ce double contexte dans leur lente évolution d’établissement de bienfaisance en établissement de soins.

La politique d’assistance publique et de nationalisation des hospices menée dans les premières années de la Révolution afin d’éradiquer la pauvreté bute très vite sur des questions financières. L’établissement hospitalier choletais ne parvient pas à disposer de ressources suffisantes pour accueillir efficacement les populations dans le besoin. Le conflit entre Bleus et Blancs, qui atteint son paroxysme durant les années 1793 et 1794, démultiplie les difficultés. Le couvent des Cordelières, site retenu par les autorités républicaines pour abriter le nouvel établissement, subit les vicissitudes des prises de contrôle successives de la ville par l’une ou l’autre des armées : destructions voire pillages, évacuations avec pertes de matériel, afflux de militaires blessés puis retraits précipités.

L’installation définitive sur le site vers 1803 se fait dans un contexte nouveau : la politique de pacification voulue par les autorités centrales a mis un terme aux engagements entre les armées républicaine et vendéenne. De ce fait, les militaires, beaucoup moins nombreux dans la région, accordent un intérêt moindre à l’établissement hospitalier. Parallèlement, l’État s’est désengagé de la politique d’assistance. Désormais, une commission administrative locale assure la gestion des hospices avec un contrôle de la municipalité. Pendant plusieurs décennies, des ressources peu importantes incitent les responsables tout à la fois à limiter l’accueil de pensionnaires et à rechercher des patients payants. Les militaires vont ainsi de nouveau interférer dans la vie de l’établissement.

En effet, jugée peu sûre par les régimes successifs de ce début du XIXe siècle[1], la région vit de manière permanente en présence des forces armées avant que Cholet ne devienne elle-même ville de garnison, en 1832. Ces hommes fréquentent par nécessité l’hôpital, considéré par les autorités militaires comme peu conforme aux normes gouvernementales et insuffisant en nombre de places. La municipalité, la commission administrative et les autorités militaires conviennent, moyennant paiement d’un prix de journée par l’Armée, de la mise à disposition par l’administration hospitalière d’un bâtiment réservé aux malades militaires. Le ministère de la Guerre joue un rôle moteur dans l’amélioration des locaux et des pratiques de soins.

L’ancien couvent des Cordelières, construction du XVIIe siècle, comprend deux corps de bâtiments qui forment un angle droit. Le rez-de-chaussée donnant sur la cour intérieure est constitué d’une galerie rythmée par de puissants arcs en plein cintre. L’ensemble de la construction, qui se déploie sur trois niveaux, offre des espaces disparates et exigus. Le nouveau bâtiment à l’usage exclusif des militaires est accolé perpendiculairement à l’existant ; sa construction est menée à bien en 1832 et répond aux exigences les plus « modernes » prônées par les hygiénistes. Le parallélépipède, très dépouillé par souci d’économie, est constitué d’un rez-de-chaussée surmonté de deux étages. Ces trois niveaux sont percés de nombreuses ouvertures afin de rendre les lieux clairs et faciles à aérer. En cette époque pionnière, lutter contre les miasmes et l’air vicié est une priorité.

Porteuse d’une nouvelle manière de concevoir l’hygiène, cette construction des plus simples doit cependant être vue comme un élément déterminant dans le développement du site hospitalier choletais. Le choix du modèle architectural, de l’implantation sur la plus forte déclivité (nord-sud) du terrain et de l’orientation, permettant aux pièces de recevoir la lumière du levant et du couchant, ne fut jamais remis en cause lors des extensions ultérieures. Il fut même reconduit de manière systématique.

Voilà donc Cholet, une ville laborieuse et en pleine expansion démographique mais n’ayant pas encore acquis le rang de sous-préfecture, qui se dote, sous la pression des administrations d’État, d’une infrastructure de qualité. Comment donne-t-elle suite à cette impulsion ?

L’ancrage d’une « agglomération hospitalière »[2]

Sensible à son environnement tant politique et social qu’économique et technique, l’hôpital connaît un rythme ininterrompu de transformations. Toujours à la peine financièrement, il ne cesse pourtant d’augmenter ses capacités d’accueil et de faire évoluer ses pratiques. Au titre de partenaires de la commission administrative, on retrouve les acteurs précédemment à l’œuvre : la municipalité, la préfecture, les bienfaiteurs, les religieuses hospitalières, les fonctionnaires des administrations centrales (inspecteurs généraux des hospices et intendance générale des Armées) mais aussi de nouveaux venus : les médecins et les architectes. Tous contribuent à l’édification d’une « agglomération hospitalière[3] » (terme employé lors de la séance du conseil municipal du 18 mai 1874) dans un climat d’incertitude constante, loin d’une planification maîtrisée.

Cholet, forte d’une activité textile qui parvient à négocier (non sans quelques crises) le tournant de l’industrialisation, devient le siège de la sous-préfecture le 16 novembre 1857. La population augmente fortement (environ 10 000 habitants en 1850 et le double en 1905), le chemin de fer est opérationnel en 1866, l’urbanisation se développe (nouveaux quartiers, nouvelles artères, écoles, théâtre, musée...). En 1874, le gouvernement confirme la présence d’un nouveau régiment dans la ville : le 77e régiment d’infanterie, pour lequel il faut construire une caserne avec son propre service de soins. Les hospices, qui accueillent toujours les indigents, sont aussi de plus en plus sollicités pour prodiguer des soins. Le personnel se professionnalise : les médecins font leur entrée dans l’établissement, le personnel laïque (infirmières) côtoie les religieuses. Pour faire face aux dépenses, l’administration de l’hôpital peut compter sur les fermages de ses propriétés agricoles et les aides de la Ville mais s’en remet essentiellement à des opportunités, par nature imprévisibles : dons ou legs privés et opérations foncières[4].

La question des locaux est bien sûr primordiale.

Dans l’enceinte des hospices, des bâtiments annexes sont construits : l’asile (c’est-à-dire l’école) de filles Notre-Dame en 1855, l’orphelinat Hérault en 1872, la chapelle de style néo-roman en 1873, le bâtiment administratif à partir de 1882 et bien plus tard, en 1906, un asile (avec ici le sens de pavillon) des vieillards hommes. Ils sont tous alignés sur la rue Tournerit, récemment percée à la limite nord du site. Mais cette apparente cohérence est le fruit d’une gestion au cas par cas de dossiers qui ont associé l’administration hospitalière et les bienfaiteurs, dont les exigences sont souvent pointilleuses.

Le bâtiment hospitalier central, constitué pour l’heure de l’ancien couvent et de la construction neuve érigée pour les militaires, présente une situation encore plus complexe au moment d’entreprendre une extension très attendue. Après la construction de 1832, voilà bien le deuxième temps décisif dans l’histoire du bâti hospitalier choletais.

Le point de départ est un document du 19 octobre 1874 par lequel la Ville de Cholet s’engage auprès du ministère de la Guerre à construire, pour le régiment nouvellement arrivé, casernes et hôpital. La Ville décide alors d’implanter ce dernier près des hospices afin de mutualiser les services. Parallèlement, une promesse de don anonyme en faveur de la construction d’un asile pour vieillards incite les responsables à lier ces deux projets dans une même opération immobilière. L’administration hospitalière mène des études à partir de 1875, en concertation étroite avec les inspecteurs généraux des Hospices, les intendants militaires et l’architecte-voyer de la Ville de Cholet, E. Chevallier, nommé en 1877 (et à qui l’on doit notamment des groupes scolaires, le théâtre et le musée). Le montage financier associe lui aussi diverses participations : les Hospices fournissent le terrain (préalablement acheté à un particulier) et le mobilier des différentes pièces, le don privé couvre la totalité des frais de l’asile, l’État verse une aide remboursable relative au coût de l’hôpital militaire pris en charge totalement par la Ville qui, par ailleurs, supprime l’octroi sur les matériaux nécessaires à la construction de l’asile !

Pour maîtriser les coûts, le projet initial se voit amputé d’un étage et d’éléments décoratifs en façade mais le granit et l’ardoise sont maintenus car ces matériaux sont réputés moins fragiles que le tuffeau et la tuile. Dans ces conditions, les plans de Chevallier sont acceptés par le conseil municipal le 26 juillet 1878, puis par un conseil de préfecture le 26 février 1879. Dans ce dossier, le poids de l’Intendance générale des Armées est manifeste. Elle est parvenue à obtenir une hauteur sous plafond supérieure aux 4 mètres initialement prévus. En se référant constamment aux règlements militaires de 1865 et à la loi du 7 juillet 1877 relative à l’organisation des services hospitaliers de l’armée, elle rend incontournable le principe des 40 m3 d’air par malade.

L’architecte a conçu deux bâtiments positionnés à l’ouest et parallèlement à la construction de 1832, le bâtiment militaire étant le plus proche. Une galerie relie ces deux nouveaux pavillons par leur extrémité nord. Indéniablement, c’est un plan en peigne qui se dessine. La particularité de ces pavillons est le fait qu’ils disposent de vastes sous-sols pour compenser la déclivité (nord-sud) du terrain. Un certain Garnier, rapporteur auprès du conseil de préfecture, fait une lecture sans concession de l’ensemble : « Quant aux façades qui ne sont pas à proprement parler de l’architecture mais seulement de la construction fort simple de moellon avec chaînes et chambranles en granit, elles ont au moins l’avantage de n’avoir aucune prétention artistique, mais seulement celle d’un bâtiment militaire ». On n’ose imaginer comment l’architecte Chevallier et les militaires ont apprécié ces remarques. Certes, ces bâtiments sont marqués du sceau de mesures d’économie mais ils ne sont pas sans quelque qualité architecturale. La façade rectiligne est animée par deux légers avant-corps qui annoncent les pavillons érigés à l’arrière. L’avant-corps à deux travées assurant l’entrée de l’hôpital militaire est surmonté d’un fronton en arc surbaissé et d’une lucarne en tuffeau tandis que l’avant-corps à trois travées correspondant au pavillon des vieillards présente un fronton en arc surbaissé plus modeste. Par ailleurs, l’ensemble de la façade est équilibré par un réseau de lignes horizontales et verticales organisé autour des baies et des bandeaux.

Durant la phase d’études, d’autres réserves ont été émises et partiellement prises en compte dans le projet final. Elles émanent principalement des inspecteurs généraux des Hospices qui, dans un rapport du 18 janvier 1879, montrent leur attachement à la philosophie pavillonnaire. Ils déplorent en effet le fait qu’avec cette extension, les services généraux ne seront plus au centre du dispositif. Ils sont très critiques également sur la localisation des bains, au sous-sol du nouveau bâtiment militaire, préférant un bâtiment isolé par crainte des émanations. Enfin, à propos du pavillon des vieillards, ils demandent que la vaste salle commune dévolue au réfectoire soit divisée en deux : une salle de réfectoire et une salle de réunion. Garnier, pour sa part, pointe le manque de « water-closets » pour le pavillon des vieillards. En formulant leurs deux premières remarques, les inspecteurs temporisent d’eux-mêmes car ils reconnaissent que compte tenu de la configuration du terrain, revoir les plans serait trop coûteux. Et comme les militaires trouvent les bains bien situés dans une sorte de bâtiment intégré, aucune modification n’est apportée. En revanche, le rez-de-chaussée de la salle des vieillards est cloisonné.

Ces adaptations permettent d’entrevoir – en creux – la manière dont les locaux sont utilisés. La spécialisation des espaces n’est pas à l’ordre du jour et la salle commune demeure la référence pour les patients de cet équipement public. Au milieu des années 1950, des clichés photographiques fixent l’ambiance d’une salle commune : les lits sont alignés de chaque côté de la pièce, la tête de lit près de la fenêtre et le pied tourné vers l’espace central où se font toutes les circulations tant du personnel que des visiteurs. On peut raisonnablement estimer qu’il en allait déjà de même vers 1880.

Un projet mené avec opiniâtreté

Le chantier, d’envergure, se déroule de 1879 à 1881. Dès 1894, une extension est à l’étude pour recevoir les femmes et les enfants. Chevallier, l’architecte municipal, se voit de nouveau confier le projet. Les archives conservent les plans d’un « projet de reconstruction des vieux bâtiments et d’achèvement de l’hôpital[5] » : des bâtiments neufs doivent remplacer l’ancien couvent. Derrière une galerie prolongeant vers l’est la construction de 1879, on prévoit de déployer un ensemble en étoile. La logique pavillonnaire serait alors pleinement appliquée. Mais la réalité est tout autre ! Le corps de bâtiment est édifié entre 1896 et 1899, à l’ouest, dans la continuité du pavillon des vieillards et sur le même principe. Une salle d’opération octogonale fait son apparition. Un pavillon d’isolement est édifié à proximité de la construction neuve ; il restera inachevé. Ce sont vraisemblablement des considérations économiques et organisationnelles qui expliquent la duplication des structures existantes : la construction est moins coûteuse que celle de bâtiments se développant à l’horizontale et le mode de fonctionnement de l’établissement ne nécessite pas d’être repensé. Ces travaux confortent le plan en peigne précédemment esquissé. Ils ne marquent pas pour autant la fin du chantier de l’hôpital.

En ce début du XXe siècle se font sentir les besoins d’espace pour abriter des lits supplémentaires mais aussi du matériel moderne et des techniques de travail différentes. Il est donc nécessaire d’agrandir encore une fois un établissement que les documents dénomment désormais « Hôpital-Hospice de Cholet ». Victor Rabjeau (parfois orthographié Rabejeau) en est devenu l’architecte attitré[6]. Durant les deux années 1905 et 1906, rapports, plans et délibérations vont une nouvelle fois se succéder pour préparer l’ultime phase de travaux qui commence en 1906 et s’achève en 1912. Ce sont tout d’abord des annexes qui sont traitées afin de libérer des espaces et de procéder à de nouvelles affectations de bâtiments : un asile de vieillards, construit sur la rue Tournerit en 1906, a été évoqué précédemment ; la morgue est implantée dans l’angle sud-est du site, dans une bâtisse existante que l’on rénove ; une cuisine générale sur plusieurs niveaux, avec monte-charge, sort de terre en contre-bas des constructions des années 1880 et une passerelle assure la liaison, sans rupture de niveau. Au final, tous ces travaux rendent possible la démolition des plus anciens locaux implantés dans la partie est du site : le couvent et le bâtiment de 1832. Les plans de Rabjeau sont acceptés : la façade est très proche de celle imaginée en 1894 par Chevallier mais à l’arrière, les pavillons en étoile sont abandonnés au profit d’une aile similaire aux trois existantes.

1912 voit la consécration du plan en peigne, alors même que ce principe n’est jamais apparu comme une évidence au cours des décennies précédentes.

Le nouvel hôpital développe, sur quelque 150 mètres de longueur, une façade à la fois disparate et homogène. Les partis pris de 1879 sont intacts : verticales et horizontales sont prolongées tandis que les avant-corps sont répétés. Ceux situés aux deux extrémités sont traités comme des pavillons d’angle et celui de l’angle ouest offre un soubassement en granit pour compenser une déclivité mineure (est-ouest) du sol. Alors que les frontons des trois avant-corps centraux ont chacun leur spécificité (bien que tous en arc surbaissé), ceux des deux pavillons d’angle sont triangulaires et semblables ; et il en est de même pour la forme de la toiture. À l’arrière, le peigne est constitué de quatre dents parallèles mais de dimensions inégales. La configuration urbaine ne permettait pas de prévoir un pavillon à la suite du pavillon d’angle du côté est.

26Durant quatre-vingts ans, de 1832 à 1912, l’hôpital de Cholet a totalement changé de physionomie. Le plan dressé par Rabjeau en 1914[7] fournit a posteriori une vision du site tout en cohérence. La volonté de moderniser l’équipement a toujours été manifeste mais les voies pour y parvenir sont restées incertaines. Tout au long du XIXe siècle, usagers et praticiens vivent une réalité bien éloignée du standard si fortement popularisé de l’hôpital pavillonnaire hygiéniste. Les transformations du bâti s’opèrent lentement. L’imbrication entre le couvent du XVIIe siècle, noyau initial de l’hôpital devenu vétuste au fil des ans, et les constructions neuves qui s’accumulent semble fixer pendant longtemps un cadre contrasté.

Deux rapports des inspecteurs généraux des Établissements de bienfaisance et de soins, à 17 ans de distance, rendent compte de l’état d’esprit dans lequel pouvait œuvrer la communauté hospitalière. Le premier, déjà cité, date du 18 janvier 1879[8] et contient l’avis favorable (avec quelques réserves) des inspecteurs pour la première grande extension. Le second[9], non daté, résulte de la tournée de l’inspecteur général Drouineau en 1896, au moment de la deuxième extension.

En 1879, les inspecteurs font leur deuil de remaniements qu’ils auraient tant souhaités sur les deux pavillons. Leur analyse n’est que plus mordante.

Il est sans doute à craindre que, dans un temps plus ou moins éloigné, on ne se trouve conduit à opérer ces remaniements et que les bâtiments d’aujourd’hui en projet ne deviennent, à leur tour, une cause de gêne pour l’exécution d’un plan d’ensemble rationnel ; mais qu’il paraît difficile d’apprécier dès à présent et sans examen détaillé fait sur place, quels pourraient être les besoins et les ressources à venir.

En 1896, l’inspecteur Drouineau, plutôt bienveillant, semble voir poindre la fin des travaux sur le site : « La réfection de l’ancien bâtiment, où sont placés les services généraux complètera cette transformation dès que les ressources financières le permettront ». Il peut donc se permettre de porter un regard d’ensemble sur ce vaste chantier :

L’assiette actuelle de l’hôpital présente plusieurs pavillons parallèles reliés à une galerie centrale, des jardins très vastes entourent complètement l’établissement et assurent largement l’air et la lumière. Il est seulement regrettable que l’étude complète de l’agrandissement et de la réfection de l’hôpital n’ait pas été faite à l’époque où des donations avaient permis un commencement d’exécution. Le pavillon des vieillards [bâtiment construit en 1879] y eut gagné.

Du déclassement à la vocation culturelle

Après 1912, le site de l’hôpital ne connaît plus d’évolutions notables. En revanche, des aménagements intérieurs d’ampleur ont lieu dans l’après Seconde Guerre mondiale pour répondre aux nouveaux modes d’hospitalisation. Rien cependant n’empêche le déclin de l’établissement, face au projet porteur de centre hospitalier, pas même la reconversion en maison de retraite qui ne dure qu’un temps. Rachetés par la Ville de Cholet, ces espaces vont subir une mue qui donne naissance à l’espace Saint-Louis, lieu consacré à la formation et la diffusion des arts de la musique, de la danse et du théâtre.

Pour le XXe siècle, tous les plans de cette zone urbaine témoignent d’une situation figée : les masses de bâtiments demeurent identiques. S’il y a quelques modifications, ce ne peut être qu’à la marge. Cela ne signifie pas pour autant absence de projets ; d’ailleurs les faits extérieurs l’exigent. En 1928, les derniers militaires quittent Cholet : la guerre et la fusion des régiments sont passées par là et l’hôpital perd une manne financière. Il convient de rechercher d’autres types de patients payants et de réattribuer les locaux vacants. Bientôt, ce sont les assurés sociaux qui s’imposent avec de nouvelles attentes que consignent les lois sociales. Pour leur part, les indigents, malades ou personnes âgées, expriment eux aussi de nouveaux besoins. Quant au personnel médical, il revendique la prise en compte des apports de la technologie qui vont croissants.

La réorganisation interne des services et la redistribution des locaux sont deux phénomènes concomitants. La radiographie fait son entrée à l’hôpital dans les années 1930. On devine son impact sur l’occupation des locaux et sur les méthodes de travail du personnel soignant. L’évolution des blocs opératoires implique des transformations elles aussi déterminantes. Enfin, dans les années 1950, des changements très visibles interviennent qui aboutissent à la suppression des salles communes.

Cependant, ces efforts ne répondent que très partiellement aux besoins qui se manifestent de toutes parts. En 1965, l’équipe du maire Maurice Ligot et les responsables de l’établissement privilégient le principe d’une construction neuve et abandonnent donc l’idée d’une réhabilitation d’ensemble du site en activité. Le ministère de la Santé valide le projet en 1969, les travaux débutent en 1974 et s’achèvent en mars 1977. Le 4 mai 1977, le nouveau centre hospitalier accueille ses premiers patients à trois kilomètres du centre-ville. La fonction d’hospice perdure dans « l’ancien hôpital » : des personnes âgées demeurent sur place jusqu’à la fermeture définitive au bénéfice de nouvelles structures plus fonctionnelles. Le site (dont la Ville a de longue date acquis certains éléments tel le foyer-logement pour personnes âgées Notre-Dame, installé dans l’un des bâtiments annexes donnant sur la rue Tournerit) s’apparente dès lors à une véritable « verrue » au cœur du centre-ville.

La mise en œuvre de la politique d’aménagement urbain souhaitée par le maire Gilles Bourdouleix, élu en 1995, permet à « l’ancien hôpital » de retrouver une fonction et un devenir. Pôle culturel parmi sept pôles retenus pour irriguer le vaste territoire de la ville tant en son centre que dans ses espaces naturels, il accueille le conservatoire et le théâtre et est donc à la fois un lieu de formation et de diffusion. Après l’achat en 1996[10] de la plus grande partie du site (16 000 m2) vient le temps des études, lancées en 1997 avec comme principe un phasage des travaux. Le conservatoire (salles de cours dans l’ancien hôpital et auditorium dans l’ancienne chapelle) est achevé en 2004 et le théâtre, qui devait l’être dans la foulée, n’ouvre ses portes qu’en 2012. Un groupement d’architectes a remporté le concours en 1998 : l’atelier « Deshoullières, Jeanneau et Associés » de Poitiers et l’atelier « Gonfreville, Lafourcade et Rouquette » de Bordeaux. Le premier est reconnu depuis 1992 pour ses projets d’équipements culturels mais aussi pour ses démarches en matière d’urbanisme, le second intervient prioritairement dans le secteur des équipements publics. Après une définition d’ensemble du projet, animée en grande partie par l’architecte Hubert Jeanneau, les deux ateliers se répartissent les tâches : le conservatoire pour les Poitevins et le théâtre pour les Bordelaises.

Alors que la ZPPAUP de Cholet n’est créée qu’en 2005, l’une des principales préoccupations de la municipalité, en 1998, vise à favoriser la réutilisation d’un bâti dont la valeur patrimoniale est ainsi consacrée. Si les destructions se doivent donc d’être limitées, les ajouts nécessaires sont pour leur part considérés comme bienvenus. Les architectes retenus ont su s’emparer de cette donne et produire un projet qui établit une relation étroite entre patrimoine et modernité. Par ailleurs, il convient de rappeler la place importante prise en phase d’étude par l’agence parisienne Café Programmation[11]. Ce cabinet, spécialisé dans les projets culturels les plus variés tant en neuf qu’en restructuration, a été chargé de recueillir et d’exprimer les besoins des utilisateurs (prioritairement les enseignants, les associations de diffusion musicale et les élèves et leurs parents). Il confère au projet des qualités qui font dire aux usagers que les lieux sont faciles à vivre et pratiques. S’il ne fallait citer qu’un élément, retenons les salles de répétition qui ont chacune leur aménagement acoustique en lien avec un instrument particulier.

Le déroulé des travaux a nécessité quelques destructions et adaptations : les bâtiments annexes, et en tout premier lieu la cuisine, sont abattus ainsi d’ailleurs que le pavillon est. Les planchers et espaces intérieurs des bâtiments restés en place sont jugés inutilisables et par conséquent évacués dans leur totalité. Face à cela, les nouvelles constructions, très imposantes, se révèlent structurantes. Leur ampleur donne à ce projet toute sa spécificité.

Le conservatoire (qui dispense des cours de musique, de danse et d’arts dramatiques) se voit attribuer les bâtiments existants rénovés ainsi que la partie ouest des constructions neuves pour héberger des salles de cours et de répétition. Le théâtre, pour sa part, est contenu dans la partie est, entièrement neuve. À l’intérieur, les distributions sont inévitablement complexes, dans un équipement qui se déploie sur plusieurs niveaux et sur plusieurs bâtiments accolés. Cependant, une impression d’unité domine et tout est mis en œuvre dans les aménagements pour estomper les limites entre les deux services.

Parmi les caractéristiques de l’Espace Saint-Louis, arrêtons-nous sur deux d’entre elles qui témoignent des permanences, revisitées, du site : les déclivités du sol et l’imbrication des bâtiments, et sur deux autres, plus novatrices, qui renforcent l’originalité du site : l’ouverture sur la ville et le jeu des formes.

La déclivité (nord-sud) du terrain, omniprésente et dont on a vu le rôle lors des constructions duXIXe siècle, est ici mise à profit pour positionner au mieux, c’est-à-dire en contrebas, la cage de scène du théâtre, d’une hauteur de 20 m. Son impact volumétrique et visuel est ainsi atténué. Quant à l’imbrication, maintes fois constatée dans les constructions antérieures, elle est ici totalement assumée pour faire cohabiter les espaces contemporains et le vieil hôpital. Bien plus, il s’agit d’une interpénétration entre les deux univers architecturaux avec une zone de contact intérieure particulièrement stimulante au niveau de l’accueil du théâtre. Les architectes accordent un intérêt tout particulier aux circulations afin de les rendre fluides. Ils tendent à effacer à l’intérieur les contrastes qu’ils revendiquent à l’extérieur. Ce faisant, ils répondent à un des axes du projet culturel consistant à créer en ces lieux un continuum entre les zones de formation et les espaces de diffusion du spectacle.

Si l’on s’intéresse maintenant à l’ouverture sur la ville, fortement revendiquée par M. Jeanneau[12], sa mise en œuvre conduit les architectes à proposer une entrée et une façade spécifiques pour chacun des deux établissements et à les faire coïncider avec les deux styles de bâtiments. Le conservatoire s’impose dans l’architecture hospitalière, tournée vers le centre-ville et le théâtre s’épanouit dans la partie contemporaine, en direction de la rivière. Le travail sur les formes parachève le projet. L’ancien hôpital continue imperturbablement de proposer ses lignes régulières, nécessairement sobres et à vrai dire un peu austères. Les constructions contemporaines, par contraste, offrent un large éventail de volumes avec une progression de l’ouest vers l’est. La base en granit de l’ancien pavillon des femmes, à l’ouest, donne naissance à un soubassement habillé d’un parement de granit, très rectiligne à son début pour aboutir à des formes souples à l’est. De ce socle émergent trois structures tout en rondeur et en couleur, encastrées entre les dents du peigne. La dernière et la plus haute, celle du théâtre, présente de larges courbes accueillantes.

En 2003, le prix d’architecture départemental décerné à l’initiative du CAUE et du conseil général du Maine-et-Loire consacre la première phase, alors réalisée, de l’Espace Saint-Louis. Les membres du jury mettent en avant l’essentiel de ce projet : d’une part, la fusion entre un substrat architectural datant de la fin du XIXe siècle et des formes contemporaines remarquables venant se lover dans les interstices et d’autre part la fonctionnalité des lieux répondant aux attentes des usagers.

Ce vaste édifice offre un dialogue soutenu entre patrimoine réhabilité et architecture contemporaine et n’a dès lors pas d’égal dans la ville. La vigueur de la confrontation des styles n’entame en rien la subtilité générale de la proposition. L’austère hôpital demeure chaleureux et les formes contemporaines audacieuses se font délicates. Le site de l’agglomération hospitalière, profondément remanié, dévoile sa nouvelle vie.

Notes

  1. En 1832, la tentative d’insurrection légitimiste de la duchesse de Berry vient rappeler la fragilité de la situation dans l’ancienne Vendée militaire.
  2. Les développements qui suivent doivent beaucoup à l’exploitation des sources conservées aux archives départementales de Maine-et-Loire (AD Maine-et-Loire, 5 HS hôpital de Cholet, 5 HS O1).
  3. Archives municipales (AM) de Cholet, 1D6, séance du conseil municipal.
  4. En 1850, un échange de terrains s’accompagne d’une appréciable plus-value pour les hospices. Cité dans BÉNÉTEAU, Dominique. Histoire des institutions hospitalières de Cholet. Mémoire ENSP, Rennes : 1978. Ce mémoire de fin d’assistanat déposé à l’École nationale de la santé publique retrace l’histoire hospitalière choletaise, du Moyen Âge aux années 1950.
  5. Plan daté du 24 août 1894 (AD Maine-et-Loire, 5 HS Hôpital de Cholet, 5 HS O1).
  6. Né en 1859 à Montrelais (Loire-Inférieure) et mort à Cholet en 1937, c’est dans cette ville qu’il fait carrière en s’installant rue du Paradis. Ardent propagateur des techniques de construction en béton armé, il est actif à Cholet et dans ses environs. On lui doit des écoles (Sacré Cœur -1898- et Sainte-Marie -1901- à Cholet), des bâtiments civils (Caisse d’Épargne -1896), des interventions sur des édifices religieux (clocher de l’église Saint-Pierre -1903- à Cholet et chapelle Saint-Tibère -années 1930- au May-sur-Èvre), des monuments funéraires (chapelle de la famille d’industriels Pellaumail -1925- à Cholet), des résidences particulières (en collaboration avec Maurice Laurentin : maison de l’industriel Léon Griffon -années 1920- à Torfou) mais aussi des bâtiments industriels (usine de la Maillochère -1908- à Cholet et usine de chaussures Morinière-Ripoche -années 1910- à Saint-André-de-la-Marche).
  7. AMC, 1 Fi 675.
  8. AD Maine-et-Loire, 5 HS Hôpital de Cholet, 5 HS O1.
  9. AD Maine-et-Loire, 5 HS Hôpital de Cholet, 5 HS L20.
  10. AMC, Actes notariés AN 2073.
  11. Entretien avec M. Gilles Foussier, directeur de l’Espace Saint-Louis, novembre 2015.
  12. Hubert Jeanneau, interrogé par des journalistes. Imago, n° 24, janvier 2004, p. 4, et Le Courrier de l’Ouest, 26 septembre 2012.


Article : Éric Morin, « L’agglomération hospitalière de Cholet », In Situ, 31 | 2017, mis en ligne le 23 février 2017.

Auteur : Éric Morin. Conservateur en chef du patrimoine, directeur des Musées de Cholet emorin@agglo-choletais.fr

Droits d’auteur : Le texte est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.




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