Poètes angevins par M. Leclerc - Auguste Pinguet

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Langue et littérature angevine
Document   Auguste Pinguet
Auteur   Marc Leclerc
Année d'édition   1922
Éditeur   P. Lefebvre libr.-édit. (Paris)
Note(s)   dans Poètes angevins d'aujourd'hui, essais anthologiques, p. 37-40


Auguste Pinguet


Né à Angers en 1863, M. Auguste Pinguet est resté résolument fidèle à sa petite patrie, et je ne crois pas que de tous nos Poètes aucun soit plus entièrement régional, car, si, des trois volumes de vers qu'il a publiés jusqu'ici, tous trois édités avec un soin et un luxe typographique qui dénotent ses goûts affinés d'artiste, le dernier en date est plus rempli du dialogue mélancolique du Poète avec son âme, les deux premiers, en revanche, s'inspirent uniquement de l'Anjou, de ses paysages, de ses aspects, de ses souvenirs, de ses coutumes, et de ses légendes.

Le Comte Louis de Romain, le grand artiste qui a laissé un tel vide dans la vie intellectuelle angevine, écrivait dans la préface de la « Chanson de l'Anjou », le premier livre d'Auguste Pinguet : « Tout ce que la terre angevine offre à ses regards est précieux à son âme... il célèbre tout ce que produit notre sol, décrit avec enthousiasme la gaîté de nos boulevards, et ressent les jours de marché en face des étalages de nos fleuristes le plaisir sensuel et païen qu'avaient les Dieux devant les Hébés et les roses ».

Facteur d'instruments de musique, M. Auguste Pinguet sait qu'un virtuose habile peut jouer toutes les mélodies sur un monocorde, et il a fait et tenu la gageure d'écrire en sonnets, uniquement, tout ce volume : cent cinq sonnets, où comme en autant d'aquarelles passent sous nos yeux les champs et la ville, les fruits, les fleurs, les légumes même, chers à son cœur comme à celui de la Comtesse de Noailles ; voici la Cathédrale, son portail et ses orgues, et la Cité.

Tours gothiques ; pignons surplombants sur la rue ;
Girouettes grinçant au moindre coup de vent ;
Boutiques sombres dont se disloque l'auvent ;
Vieilles filles en groupe et de mine bourrue ;
Prêtres rêveurs marchant sans bruit dans l'ombre accrue ;
Froids hôtels démodés par le temps décevant.
Calme de cloître, paix mystique de couvent ;
Vision de cornette aussitôt disparue ;
Pavés herbeux ; échos répercutés des pas ;
Chats ronronnant au seuil triste d'un logis bas...
— Oh ! ce silence, Angers, plein de mélancolie,
Tel un vaste linceul épars sur ta « Cité » !

Oh ! cette ville morte et comme ensevelie,

Entre ta cathédrale et ton château ridé ! ….

Et voici les vieilles maisons, le marché aux fleurs

La promenade du Bout-du-Monde et son panorama :
Des arbres et des tours, un mur aux flancs moussus ;
Des toits, des jardinets, des roses clairsemées ;
Plus loin, des toits encor, des arbres, des fumées,
Et puis un vague bruit de chars inaperçus.
Et puis un dôme : et puis, bourdonnant au dessus
Des faîtes, trois clochers : silhouettes aimées ;
Et puis la Maine scintillante et ses armées
De peupliers, et ses coteaux bleus et cossus...
Et puis, là-bas, à droite, un train qui souffle, tousse...
A gauche, le vieux bourg de Pruniers dans la mousse…
Et puis... et puis... les paysages supposés...
Le Rêve voletant, tel un vol blanc de plumes,
Par delà les coteaux de rosée arrosés,
Par delà l'horizon, dans la gaze des brumes...

Et le Poète franchit les limites de l'Octroi, et nous emmène vagabonder avec lui sur les routes de l'Anjou, parmi nos cités coquettes et nos paysages apaisants...

Dans les Nouveaux Poèmes de l'Anjou, le voyage continue ; ne croyez pas que de cette unité d'inspiration découle la moindre monotonie : le thème est assez vaste pour que le Poète, parcourant son Anjou aimé, ne retrouve pas les mêmes ornières ; la forme non plus, souple et variée, ne risque pas de fatiguer le lecteur, car cette fois Pinguet s'est complu à tous les jeux : rondeaux, ballades, villanelles, triolets, toutes ces précieuses compositions traditionnelles trop délaissées aujourd'hui ; il s'y trouve étonnamment à l'aise, et n'y semble pas connaître de difficultés ; voyez plutôt ce

Rondeau pou fixer et regretter
l'ancien aspect de la rue Saint-Laud
Au bon vieux temps tu souriais, ô rue !
Sous le soleil dardant sa lueur crue
Tes gais logis se dressaient familiers ;
Ils n'avaient pas l'orgueil des hauts piliers,
Le front sévère et la mine bourrue.
Ils exhibaient, parfois fort incongrue,
Mainte sculpture à grand tort disparue,
Dont s'amusaient carcassiers et drapiers
Au bon vieux temps.
On s'y gaussait parmi la foule accrue !
Aussi quels cris ! Las ! plus rien ne s'y rue ! —
Quand, égayant ses huis hospitaliers,
Le carnaval, fourmillant d'escholiers,
Y bruissait, houleux comme une crue,
Au bon vieux temps.

Mais l'aile du Malheur a touché le Poète, et son ombre obscurcit le chemin fleuri ; et voici le troisième volume, que Pinguet a intitulé simplement : Le Poème... Mlle Mathilde Alanic, qui en a donné une belle analyse, dit fort justement : « Ce titre, sobre et grave, résume admirablement le sens de l'œuvre : c'est bien le Poème de la Vie, la vie d'une âme en lutte avec les contingences terrestres et avec ses propres rêves... »

La place m'est trop mesurée, et je craindrais de mutiler par des citations trop courtes les belles pages lyriques de cette œuvre ; je n'en retiendrai que l'émouvante prière qui la termine :

...Mais pourrai-je jamais me détacher des choses ?
Ecouter mieux mon âme et beaucoup moins mon cœur ?
Vous réserver. Seigneur, pour vous seul, ma vigueur ?
Vous aimer davantage en aimant moins les roses ?
Quand je pleurais de joie aux chemins où j'allais,
Respirant les parfums que vous aviez fait naître ;
Quand j'adorais, le soir divin de ma fenêtre,
Je croyais que c'était Vous-même que j'aimais !
Je vous aimais dans la beauté des paysages !
Je vous aimais dans le soleil, dans les essaims !
Dans les petits oiseaux, frères des plus grands saints !
Dans les ruisseaux qui vont lumineux et si sages !
Je vous trouvais dans les buissons, dans les bleuets !
Dans les grands blés priants semés par Pierre et Jacques !
Dans le son de la brise et des cloches de Pâques !
Dans l'infini des flots sans cesse remués !
Et c'étaient des credos plein d'amour, que mon âme
Vous adressait ainsi du faite des côteaux !
Mais, Dieu juste, puisqu'il vous faut d'autres credos,
Vous-même, accordez-moi la nécessaire flamme !

BIBLIOGRAPHIE. — La Chanson de l'Anjou, Angers, Siraudeau, 1902. — Les Nouveaux Poèmes de l'Anjou, ibid. 1910. — Le Poème, Angers, Grassin, 1920.
(M. A. Pinguet nous annonce la parution prochaine d'une nouvelle édition de la Chanson de l'Anjou, et de deux recueils nouveaux : Cantiques de la Mer, et Les Oasis et les Lassitudes. )




Extrait de l'ouvrage Poètes angevins d'aujourd'hui, essais anthologiques de Marc Leclerc, Société des artistes angevins, Paul Lefebvre libr.-édit. (Paris), 1922, 134 p.

Marc Leclerc (1874-1946), homme de lettres angevin, créateur des rimiaux, peintre, conférencier, membre de la Société des artistes angevins.

Auguste Pinguet (Angers 1863-1937), luthier, poète et auteur de poèmes ayant pour cadre l'Anjou et la douceur angevine.


Du même ouvrage : Paul Pionis, Paul Sonniès, René Bazin, Olivier de Rougé.


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