Placite
En patois angevin
- placite
Mot
Nom commun, masculin singulier.
En parler angevin, placite (placit', placitre) pour place du village, lieu découvert.
Exemple : « Faut n’entendr’, sur el placite, s’ bonjourer les feill’s, les gâs ! » (M. Leclerc, Rimiaux d'Anjou)
Glossaire V. et O.
Dans le glossaire de Verrier et Onillon (1908) : « Placit', placite, Placitre (Mj., Lg., By.), s. m. — Place, lieu découvert et débarrassé d'obstacles. — De Place. Ex. : Velà ein beau placit, pour jouer aux marbres. \\ Sal. Id., devant une église.
Hist. — « Le vendredi 29, la croix de mission a été plantée dans le placitre devant l'église. » (1758. — Inv. Arch., E, III, 200, 1.) — « Rentes foncières à la Pélerinière en Saint-Barthélémy, rue des Forges, au placitre Saint-Maurille. » (1257. — Id., G, 44, 1.) — « Au mois d'octobre 1603, vénérable et discret messire Mathurin Pouppe, prêtre..., a esté assassiné et tué en sa maison près le plassistre de Saint-Maurice. » (Id., S, s, E, 213, 1, m.) — « Data mense Martio anno XXIII, régnante Lothario rege, in placito publico Andegavensis civitatis. . . » (974. — Id., S, H, 19, 2, m.) — « Placitre. « Le parvis de l'église (cathédrale), ou ce qu'on appelle vulgairement le placitre, était anciennement, comme celui de Saint-Maurille, presque entièrement occupé par un cimetière... » (Anj. hist., 6e an., n° 6, p. 575.) — « L'autre place qui le joint, nommée le placitre de terre, était ainsi appelée pour la distinguer de la première. . . » (Ibid.) — En note : C'est actuellement la rue du Parvis- Saint-Maurice.
Note philologique. — De tous nos vocables patois, celui-ci peut être considéré comme le plus vénérable par la haute antiquité à laquelle les documents écrits nous permettent de le faire remonter : il est aussi des plus intéressants au point de vue philologique ; enfin, il paraît être en usage à peu près dans tout l'Anjou. Pour ces diverses raisons, je crois devoir lui consacrer ici une étude spéciale et détaillée.
A l'examen superficiel, on serait tenté d'y voir un dérivé — un peu extraordinaire comme forme — du fr. Place ; sa signification presque identique semble en faire une sorte de diminutif. Or — et ceci est bien fait pour nous mettre en garde une fois de plus contre les inductions étymologiques prématurées — j'ose affirmer qu'il n'y a aucun rapport d'origine entre le vocable fr. Place (lat. pop. Plattia) et notre mot Placite qui vient du lat. Placitum. (Voir à l'Historique la citation : Data mense. . . )
Je lis encore dans l'ouvrage de M. Louis Halphen, op. cit., p. 109. en note : « En 1040, Geoffroi Martel tient un grand plaid : « Anno millesimo XL ab incarnatione Domini nostri Jesu Christi, habuit Gauzfridus comes, Fulconis comitis filins, cum fidelibus suis générale placitum apud Andegavam civitalem... »
De ces textes, peut-on inférer qu'aux Xe et XIe s., le mot Placitum avait le sens de : place, parvis d'église, que nous attribuons à notre vocable Placite ? Nullement. Lisons M. Halphen, loco citato : « En outre, en dehors des cadres administratifs réguliers, bien des personnes ont coopéré à l'administration du comté ou à la direction des affaires. Sous ce rapport, il faut faire une place à part aux fidèles du comte, c.-à-d. à ceux de ses vassaux ou même de ses agents qui vivaient dans son entourage ou qu'il lui a plu d'appeler auprès de lui dans telle ou telle circonstance, ou enfin qui venaient, en vertu des obligations féodales, lui faire le « service de cour ». Jamais sans eux Foulque Nerra ou Geoffroi Martel ne prennent une décision. Ce n'est pas qu'ils jouent toujours un rôle bien actif ; parfois, ils sont de simples té- moins : mais, parfois aussi, le comte les consulte, s'assure de leur acquiescement. . . » Ce passage, où je me suis permis de souligner trois mots importants, définit bien exactement le Placitum de l'époque féodale : c'était une réunion de fidèles qu'il avait plu au suzerain de convoquer pour leur faire part de ses projets, de ses résolutions. Le mot avait gardé son sens littéral, puisqu'il vient du lat. Placere ; c'est également celui de Plaid, tel que l'emploie Halphen, et qui en est le doublet français.
Mais, tout naturellement, le sens de Placitum passa à un autre très voisin, celui de : projet, résolution. Or, avant de devenir Plaid, le lat. Pl(ac)itum s'était d'abord transformé en Ploit, mot qui n'existe plus, de même que Explicitum a donné Exploit. (V. Esploter et Applets.) La forme transitoire Ploit s'est muée à son tour dans deux directions différentes : 1° en Plaid, comme Droit en Drait ou Dré, ou comme Doigt en Dé ; 2° en Plot, de même que Exploiter est devenu Esploter, ou que (Comploiter) a donné Comploter. Ce vocable Plot, nous le reverrons tout à l'heure.
Mais continuons d'abord d'étudier les changements de signification de Placitum et de ses dérivés. Il passe au sens de : réunion ou assemblée, soit délibérante, soit de justice, car les assises des fidèles présidées par le comte constituaient souvent un tribunal devant lequel avaient à comparaître les justiciables. Cette double acception est celle du dérivé Plaid, racine du fr. Plaider. Il est devenu l'angl. Plea = plaidoyer, qui, chose curieuse, a aussi le sens de : excuse, défaite, prétexte, ce qu'il plaît de dire, — par lequel il se rapproche de son prototype Placitum.
La signification de celui-ci s'étendit encore. Comme les plaids féodaux se tenaient ordinairement sur le parvis d'une église et souvent à l'issue d'un office religieux, le Placitum devint non seulement l'assemblée même des fidèles du comte, mais aussi la place où ils étaient réunis. C'est exactement le contraire de ce qui s'est produit pour le fr. Cour : la Curia, domaine du suzerain, est devenue la Cour des vassaux, en se confondant, il est vrai, avec la Cohors. Quoi qu'il en soit, nous voici arrivés au sens de notre vocable angevin Placite, celui des dérivés de Placitum qui, par sa forme, se rapproche le plus de l'original latin. Mais, en même temps, nous retrouvons Plot.
Qu'est-ce que ce mot, qui n'existe ni dans le fr. classique, ni, que je sache, dans le patois angevin ? C'est un mot anglais, presque certainement importé d'Anjou, comme bien d'autres, par les Plantagenets. Et que signifie-t-il? D'abord : pièce de terre, surtout petite pièce, petit carré de terrain : c'est à peu près le sens de notre Placite. Puis : projet, plan, complot, — et nous retombons sur un des sens de Placitum. N'est-ce pas frappant ? Ainsi, ce que les règles de la phonétique nous avaient révélé au sujet de la filiation de ce vocable se trouve confirmé par ses diverses acceptions. Dois-je ajouter que Plot a de nouveau franchi le Canal et qu'il nous est revenu dans le franc, technique avec les applications de l'électricité ? Tous les praticiens connaissent le plot, petite plaque ou petit bouton métallique servant de contact pour la prise du courant électrique. Même, dans les grandes installations — celles, par ex., des tramways à conducteurs souterrains — on a vu le plot, se souvenant sans doute de son origine, se livrer, dans les rues de Paris, à toutes les frasques du bon plaisir incontrôlable et foudroyer indistinctement chevaux et piétons.
Enfin, il est un mot franç. que je crois pouvoir encore rattacher à cette même famille de mots : c'est le mot Plaid, manteau. Hatzfeld, comme tous les lexicologues, est persuadé que nous l'avons emprunté aux Anglais. Je le pensais aussi, jusqu'au jour où je l'ai retrouvé au Lg., dans une vieille chanson patoise. Comment serait-il venu là d'Angleterre ? Pendant la guerre de Cent-Ans, apporté par les archers anglais qui occupèrent si longtemps le Poitou ? La thèse est soutenable, et j'ajoute que, dans ce cas, Plaid serait un mot anglo-saxon importé en Grande-Bretagne des pays Scandinaves et se rattachant au russe Plastche, qui a le même sens. Mais je soupçonne fort que Plaid, loin de nous venir d'Angleterre, a plutôt fait le voyage inverse et qu'il n'est autre que Plaid, — Placitum. Mais comment ce dernier a-t-il pu passer au sens de manteau ? D'une façon toute simple : on peut admettre, sans grand effort d'imagination, que les seigneurs et fidèles qui se rendaient au Placitum ou Placid du suzerain devaient porter, comme une sorte d'uniforme, un « manteau de cour » qui en prit le nom. Il y a des choses plus extraordinaires dans l'histoire des vocables.
On trouvera ci-dessous, résumée en un tableau synoptique, toute cette discussion au sujet du mot Placitum et de ses dérivés français, anglais et patois :
Franç. | Patois | Anglais | |
---|---|---|---|
Placitum | Plu | Plaisu | Pleased |
Bon plaisir, prétexte | Plea | ||
Résolution, projet | Plot | ||
Assemblée délibérante | Plaid | ||
Assemblée de justice | Plaid | to Plead | |
Plaidoyer | Plea | ||
Parvis, place, cour | Placite | ||
Carré de terrain | Placite | Plot | |
Borne électrique | Plot | (Ploit ?) | Plot |
Manteau | Plaid | plaid | Plaid |
(N. — Avec le mérite, je laisse à M. R. Onillon la responsabilité de cette Dissertation. A. V.) »
Notes
- Voir aussi piace, adressée, assembiée.
- Charles Ménière, Glossaire angevin étymologique comparé avec différents dialectes, dans Mémoires de la Société académique de Maine-et-Loire, t. XXXVI, Lachèse et Dolbeau (Angers), 1881, p. 476 (placitre)
- Anatole-Joseph Verrier et René Onillon, Glossaire étymologique et historique des parlers et patois de l'Anjou, Germain & Grassin (Angers), 1908, t. 2, p. 124-125 (placite, placit', placitre)
- Marc Leclerc, Rimiaux d'Anjou - Sixième édition, Au bibliophile angevin André Bruel (Angers), 1926, p. 32 (placite)
- Gérard Cherbonnier (dir.), Mots et expressions des patois angevins : petit dictionnaire, Éd. du Petit Pavé (Brissac-Loire-Aubance), 2002 (4e édition, 1re en 1997), p. 65 (placite)
- Dominique Fournier, Mots d'Galarne : Dictionnaire pour bien bagouler notre patois aujourd'hui, Cheminements (Le Coudray-Macouard), 1998, p. 211 (placite)