Poètes angevins par M. Leclerc - Maurice Couallier

De Wiki-Anjou
Langue et littérature angevine
Document   Maurice Couallier
Auteur   Marc Leclerc
Année d'édition   1922
Éditeur   P. Lefebvre libr.-édit. (Paris)
Note(s)   dans Poètes angevins d'aujourd'hui, essais anthologiques, p. 47-50


Maurice Couallier


Si j'en croyais une lettre personnelle, reçue récemment, le Poète Maurice Couallier, né à Brissarthe en 1869, serait « mort à une date incertaine entre 1915 et 1916 », ce qui veut dire en bon français que si Maurice Couallier est toujours vivant, le Poète qui est en lui a renfermé définitivement sa lyre dans le tiroir aux oublis de quelque armoire de campagne... Laissez-nous croire le contraire, ô Couallier ; Vous avez trop bienfait pour vous arrêter en chemin ; et les serments des Poètes sont vains comme ceux des femmes…..

Il est vrai que cet auteur original s'est obstinément dérobé jusqu'ici à recueillir en un volume — ou en plusieurs — ses vers épars un peu partout ; Prix de Poésie de l'Académie Française en 1909, pour une magnifique ode « Au Drapeau », il s'était fait dans les milieux poétiques une place de choix ; son « Don Quichotte », récompensé et joué par la « Revue des Poètes » ; son « Tombeau de Virgile », souvent représenté depuis, mais interprété pour la première fois au Théâtre de Verdure de Liré par ces deux Grands Artistes Angevins, Mme Lherbay, et notre regretté Duquesne, avaient connu le plus favorable accueil ...

Sa vie de Professeur à Paris — la vie de Paris et la vie de Professeur — lui causèrent à la fin une si insurmontable lassitude que, laissant là élèves et confrères, Maurice Couallier s'est retiré voici quelques mois en un ermitage du Pays Fléchois où, dans le calme des champs, il élève des abeilles, et néglige ses amis... Elever des abeilles, c'est encore une façon d'être Poète, et de rendre hommage à Virgile ; tel Virgile, inspiré par le murmure harmonieux des butineuses, sans doute nous donnera-t-il quelque jour, bien qu'il s'en défende, de nouvelles Géorgiques Angevines...

En attendant cet heureux événement, relisons ce Tombeau de Virgile, ou le Poète a enchâssé dans une ingénieuse fiction des vers parmi les plus beaux qui soient à la gloire de l'Anjou : écoutons Du Bellay, qu'il met en scène près du Tombeau de Virgile, à Naples, dire à la jeune Grazzia, petite-fille d'un compagnon du Roi René, le charme inoubliable et l'attrait nostalgique de notre Pays et de sa grâce mesurée, sa Loire, son Vin, ses Coiffes, et l'Ardoise fine :

Mais là-bas... C'est l'Anjou... C'est la plaine infinie
Qui se déroule ainsi qu'une lente harmonie...
C'est l'infini des champs, des bois et des vergers,
Où, glisse le frisson des feuillages légers,
Où, dans l'encadrement bleuâtre des collines,
Les peupliers, dressés comme des javelines,
Et les saules, vers qui se penchent les ormeaux,
Font des nids de verdure aux paisibles hameaux…..
C'est la Loire... couleuvre aux écailles nacrées,
Qui s'en va paresseuse emmi l'herbe des prées,
Et qui les jours d'été semble chauffer son flanc
A la molle tiédeur du sable étincelant...
Ce sont les bons clochers, coiffés d'ardoise grise,
Qui le soir, émergeant de la brume indécise,
Versent le calme apaisement des angélus
Aux nids, sous la feuillée, aux fleurs, sur les talus...
C'est le pays des eaux claires, des eaux dormantes
Parmi le frais enclos des iris et des menthes...
C'est le pays où sont, dans la brise, mêlés
La senteur des foins mûrs et l'hymne d'or des blés :
Et ces eaux, cette paix et cette transparence.
C'est toute la douceur du doux pays de France.
. . . . . . . . . .
Ecoute donc, enfant... Je pourrais jusqu'au soir
Te dire sa beauté, sa grâce, ses collines
Dont la ligne bleuit lorsque les jours déclinent,
Aux baisers du soleil offrant leur flanc divin,
Où mûrit la douceur généreuse du vin,
En attendant qu'un jour, aux pressoirs de Septembre,
Ruisselle le sang clair des lourdes grappes d'ambre...
Car dans son vin léger l'Anjou fleurit encor !
Son vin, cristal où flotte impalpable de l'or,
C'est, — au cœur des hivers, — du soleil qui flamboie ;
C'est le blond éléxir du rire et de la joie ;
C'est la liqueur où, dort la chanson des oiseaux,
Tout l'arôme des fleurs et la fraîcheur des eaux….
Et plus que l'Hippocrène et mieux que l'ambroisie,
Enfant, le vin d'Anjou... c'est de la poésie !
. . . . . . . . . .
Je pourrais te parler encor des verts sentiers
Où les blancs aubépins mêlent aux églantiers
Leur miel et leurs parfums que pillent les abeilles...
Ah ! que de souvenirs en mon âme s'éveillent !
. . . . . . . . . .
Voici, parmi la paix chantante des Dimanches,
Toute réclusion fraîches des coiffes blanches,
Et tous les rires clairs mêlés aux carillons...
Car les coiffes d'Anjou, ce sont des papillons,
De grands papillons blancs, qui, palpitantes ailes,
Se posent sur le front en fleurs des jouvencelles.
. . . . . . . . . .
L'ardoise ï ... 0 souvenirs ! ... L'ardoise bleue et fine,
C'est le vrai marbre, enfant, de la terre angevine !
Non le marbre orgueilleux de ces temples détruits
Mais un marbre imprégné du sombre azur des nuits.
C'est le sang bleu qui court sous la verte prairie,
Une roche qu'un dieu de rêve aurait pétrie
Du bleu profond du ciel et du bleu clair des eaux…,
L'ardoise, c'est le toit où nichent les oiseaux,
Qu'en voit luire au printemps sous les gouttes de pluie,
Mais que le gai soleil d'un baiser tiède essuie ;
C'est pour le voyageur qui V aperçoit parmi
Les sveltes peupliers, comme un sourire ami...
L'ardoise c'est enfin — dans l'étroit cimetière —
Pour les vieux dont la Mort a fermé la paupière,
La stèle qui redit leurs noms à l'étranger,
Et sous laquelle on dort d'un somme plus léger...

Terminons cette étude sur Maurice Couallier, en citant, à l'intention du Poète lui-même, et pour le rappeler à la bonne tâche, ces vers extraits de Don Quichotte (Scène III) :

Le plus humble trouvère ici-bas a sa tâche :
Il doit être, en dépit du monde indifférent,
La bouche qui répond et l'âme qui comprend.
Même obscure, sa vie est l'anneau qui relie
L'Avenir qui se cache, au Passé qu'on oublie !
. . . . . . . . . .
Poètes inconnus ou pauvres chevaliers,
Qu'importe que demain vos noms soient oubliés,
Pourvu que votre rêve incessamment renaisse
Toujours plus beau dans son éternelle jeunesse !
L'inévitable loi des choses d'ici-bas
Ne peut rien contre vous : L'Idéal ne meurt pas !

BIBLIOGRAPHIE. — L'Avant-Garde, poème (récompensé par l'Académie Française) s. l. n. d. — Don Quichotte, un acte en vers, Paris, Pion, 1906. — Au Tombeau de Virgile, un acte en vers, Angers, Imprimerie spéciale de « L'Angevin de Paris» 1909. Le même, édition de luxe des « Artistes Angevins », avec une préface de M. René Bazin, et des illustrations de Mme Desbordes-Jouas, Lud. Alleaume, A. et G. Chanteau, Alb. Launay, Tessier, Ch. Jouas, Marc Leclerc, etc. Paris, 1912.
(Ses autres œuvres, écrit-il, « se couvrent lentement d'une humble poussière dans un cartonnier vert et acajou... »).




Extrait de l'ouvrage Poètes angevins d'aujourd'hui, essais anthologiques de Marc Leclerc, Société des artistes angevins, Paul Lefebvre libr.-édit. (Paris), 1922, 134 p.

Marc Leclerc (1874-1946), homme de lettres angevin, créateur des rimiaux, peintre, conférencier, membre de la Société des artistes angevins.

Maurice Couallier (1869-1941), poète et auteur dramatique, notamment auteur en 1909 de Au Tombeau de Virgile, un acte, en vers, pour les fêtes en l'honneur de Joachim Du Bellay (musique de scène de Eugène David-Bernard).


Du même ouvrage : Paul Pionis, Paul Sonniès, René Bazin, Olivier de Rougé, Auguste Pinguet, Émile Marchand, Henry Cormeau.


Avertissement : Cette reproduction en format texte peut contenir des erreurs qu'il convient de corriger.