Poètes angevins par M. Leclerc - Henry Cormeau
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Voici qu'après Emile Marchand la date de sa naissance appelle
Henry Cormeau : Né à Beaupréau le 21 janvier 1866, il fut successivement
imprimeur et journaliste ; il est aujourd'hui Juge de Paix à
Seiches, où il vit dans la tranquilité du sage.
Henry Cormeau est un des talents les plus personnels de l'Anjou : ses livres, qu'il imprime lui-même avec le soin le plus somptueux, méritent d'être recherchés des bibliophiles autant que des lettrés, car plusieurs n'ont jamais été mis dans le commerce, et il ne les a offerts qu'à quelques amis ; l'un d'eux ne fut tiré qu'à cinquante-cinq exemplaires — luxe de grand seigneur, geste de grand seigneur de lettres aussi.
Il a publié un volume de vers, Le Temps d'Amour ; un roman précieux, L'Imagerie aux Chimères ; un peu banal recueil de folklore, Terroirs Mauges, le plus littéraire et l'un des plus précieux ouvrages de cette nature ; enfin, sous forme de roman, un volume intitulé Le Mal Joli, d'une extrême originalité, où abondent des notations de paysages, des rappels charmants de folklore, de subtiles analyses d'âme, des morceaux d'existence si intensément rendus qu'on soupçonne l'auteur de les avoir vécus lui-même, et d'avoir mêlé à la fiction de ce livre aimable et prenant un peu d'autobiographie ; il est du reste impossible d'analyser sans le trahir ce volume de près de cinq cents pages, où l'on prend un plaisir étonnamment varié.
Poète lyrique au charme délicat, passionné et douloureux souvent, Henry Cormeau nous livre, ce semble, le secret de son âme insatisfaite dans ce sonnet préliminaire qu'il a mis en tête de son Temps d'Amour :
- Sonnet préliminaire
- J'ai recueilli toutes ces choses
- En souvenir de mes vingt ans,
- En voyant fuir les vols d'instants
- De la fleur des saisons écloses.
- Tout s'endort au rythme du temps.
- Adieu jeunesse, amours sont closes !
- Ce n'est pas en sauvant des roses
- Qu'on éternise le printemps.
- Hors de l'horloge la belle heure
- Qui s'évade, s'efface et leurre
- Ceux qui croient la voir accourir.
- La chaîne des âges m'ennuie.
- Je n'ai plus d'amour que ma vie,
- Et pas de but que d'en mourir.
Ce n'est pas tout-à-fait exact, du reste, — il ne faut pas demander aux Poètes trop d'exactitude — Henry Cormeau a au moins conservé un amour, celui de son Anjou, de son Terroir Mauge, et un but, celui d'en faire connaître et aimer l'âme ; il l'a fait avec tant de ferveur et tant d'art à la fois, il y a si bien réussi, que les Angevins lui doivent en être à tout jamais reconnaissants, et doivent mettre son nom parmi les plus hauts de ceux de chez nous ; je le dis sans flatterie aucune, et non par un sentiment de sympathie personnelle qui n'aurait pas de poids ici.
Citons encore, pour sa grâce, cette pièce délicieuse :
- Printanière
- Violette du renouveau,
- Qui t'inclines d'un air dévot
- En ta chapelle de brins d'herbe,
- Ta senteur, absente longtemps,
- Première chante le printemps,
- Comme un parfum sourd d'une gerbe.
- On croirait voir sur un cheveu
- Un tout petit papillon bleu.
- On craint qu'un souffle ne t'entame,
- Dans ton satin et ta couleur,
- Chère âme de petite fleur,
- O cher souffle de petite âme !
- Tu reviens, en coiffe de deuil,
- Lasse de l'hiver, voir au seuil
- Si le printemps point sur ta route.
- Las ! retournent aux champs herbeux
- L'amour, les abeilles, les bœufs,
- Ce qui butine et ce qui broute.
- Frêle clochette, sonne donc !
- Le ha Hier s'emplit de fredon,
- La plaine est toute endimanchée...
- Et sonne aux soleils défroidis,
- Violette du reverdis,
- 0 violette humble et cachée…..
Tous les vers ne sont pas nécessairement de la poésie, et nous savons trop qu'il s'en faut, hélas ! et toute prose n'est pas dénuée de poésie, témoin cette page que je découpe dans la préface des Terroirs Mauges, si musicale, et si évocatrice d'un de nos paysages familiers :
- L'Evre
- ….. Pas un autre que ceux de chez nous n'a suivi l'Evre se promenant
- nonchalamment sous les coteaux sauvages qui l'encaissent,
- s'amusant à faire tiretaquer ses moulins au battement desquels
- répondent les autres petits moulins de ses multiples affluents ou
- sous-affluents, et à emporter à la Loire le mirage de tant de jolies
- figures en coiffes, les poses de tant de buandières librement troussées
- qu'elle a surprises penchées sur son cours.
- En arrivant au Vieux-Marillais, l'Evre s'assagit, coule droite et
- fière, comme la Loire. J'ai toujours pensé quel,le avait peur que le
- fleuve lui fit honte, car toujours de la sorte les petits se rangent en
- public à l'exemple des grands. Mais quand personne ne la voit, de
- la Jubaudière à la Chapelle-Saint-Florent quand personne ne la
- voit que ses amis mauges, que de détours faits exprès pour ralentir
- sa marche, et que d'enlacements câlins ! On dirait que sa peine de
- nous quitter la force à se retourner à chaque détour, et que les arbres
- de la rive ont des doigts pour retenir le ruban de sa robe ou tirer le
- fil de sa quenouille, et que le pays qui la garde entre ses bras la
- berce et l'endort ; et quand on la croit en allée, là-bas, sous les arbres,
- elle réapparait au loin comme renversée, toute étendue, comme
- évanouie…..
Cette douce Fée rustique qui fuit entre les arbres, n'est-elle pas la sœur espiègle de la Reine que Jules Lemaître nous fit admirer dans son magnifique sonnet de La Loire ? Et la prose harmonieuse de Cormeau n'est-elle pas aussi chantante que des vers ?
BIBLIOGRAPHIE. — Les Lundis de la Campagnarde, poésies, Paris, Vanier, s. d. Le Temps d'Amour, poésies, Paris, P. Sevin, 1889. — L'Imagerie aux Chimères, roman, hors comm. 1906. — Terroirs Mauges, « Miettes d'une Vie Provinciale », 1re éd., I vol. hors comm. 1909. — 2e éd. 2 vol. Paris, Crès 1912. — Le Mal Joli, roman, ibid. 1920.
(Henry Cormeau prépare, pour faire suite aux Terroirs Mauges sous le titre de Les Cloches de nos Clochers, un essai sur la phonétique dans les Parlers du Bas-Anjou).
Extrait de l'ouvrage Poètes angevins d'aujourd'hui, essais anthologiques de Marc Leclerc, Société des artistes angevins, Paul Lefebvre libr.-édit. (Paris), 1922, 134 p.
Marc Leclerc (1874-1946), homme de lettres angevin, créateur des rimiaux, peintre, conférencier, membre de la Société des artistes angevins.
Henry Cormeau (1866-1929), journaliste et poète, auteur de Terroirs Mauges et de L'accent de chez nous.
Sur le même sujet : Èvre (citation).
Du même ouvrage : Paul Pionis, Paul Sonniès, René Bazin, Olivier de Rougé, Auguste Pinguet, Émile Marchand.
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