Poètes angevins par M. Leclerc - Paul Pionis

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Langue et littérature angevine
Document   Paul Pionis
Auteur   Marc Leclerc
Année d'édition   1922
Éditeur   P. Lefebvre libr.-édit. (Paris)
Note(s)   dans Poètes angevins d'aujourd'hui, essais anthologiques, p. 11-14


Paul Pionis


Notre Doyen, Louis-Guillaume-Florent PAPIN, en littérature : Paul PIONIS, est né le 27 février 1848 à Baugé, où son père exerça longtemps les fonctions de Maire ; il fit ses études au lycée d'Angers, puis comme d'autres, subit l'attirance de la Grand'Ville ; il aurait pu s'y faire une place et un nom, car le succès y couronnait ses recueils de nouvelles, tels que « A la Volée » ou « A la Pointe de la Plume », mais comme Du Bellay à Rome, le souvenir de son Anjou lui tenait au cœur et, en 1903, après avoir publié ce volume des « Coiffes Angevines » qui le classe parmi les meilleurs Poètes du Terroir, Paul Pionis revenait se fixer dans son Baugeois natal, en cet ermitage de Bois-Commeau, près de Clefs, dont il n'a plus bougé. Droit et vert comme les pins qui l'entourent, ce Sylvain barbu a gardé malgré ses soixante-treize printemps une âme fraîche et vibrante que bien des jeunes pourraient lui envier, et, si, depuis 1902, nul volume de lui n'a paru chez les libraires, il n'a cependant pas cessé d'écrire d'alertes poésies, éparses çà-et-là, et que nous espérons voir bientôt réunies en un nouveau recueil.

Je ne crois pas toutefois qu'aucune de ces œuvres lui vaille jamais autant de juste notoriété que les « Coiffes Angevines » : Albert Grimaud dans « La Race et le Terroir », Van-Bever dans « Les Poètes du Terroir », Charles Fuster dans les « Poètes de Clocher », Gausseron dans la « Revue des Poètes », bien d'autres encore dans les quotidiens et les revues ont rendu grâce à ce volume si doucement imprégné de la bonne odeur de la Terre ; on a si souvent cité la pièce liminaire qui lui a donné son titre que, plutôt que ce morceau classique, nous relirons une poésie où s'affirme harmonieusement la nostalgie du poète en son exil parisien :

AU DOUX PAYS D'ANJOU
Je comprends. Du Bellay, ta chanson attendrie.
Rien ne vaut le pays où, sur un rythme lent.
Notre berceau berça notre esprit somnolent ;
Et quand on a quitté sa petite patrie.
Souvent on rêve au temps d'école où. les buissons
Faisaient à l'écolier oublier ses leçons.
Mieux qu'un Bois de Boulogne aux immenses allées
J'aime mes bois déserts tout parfumés de thym
Et ma bruyère rose aux cloches de satin
Dans la brise sonnant de joyeuses volées ;
Et pour un Luxembourg je ne donnerais pas
Le vieux toit violet que je revois... là-bas !
Là-bas, c'est mon pays, et là-bas c'est la Loire,
Lente et majestueuse, où se mire, orgueilleux
Tout un passé royal ; c'est l'azur merveilleux
Du ciel d'Anjou, climat si doux que l'on doit croire
Quand, en septembre, on voit les fruits s'y colorer,
Que tout l'or du soleil est venu les dorer !
Et c'est là-bas — là-bas — sous la chanson connue
Dont mes bons vieux sapins me berçaient autrefois,
A la voix de maman mêlant leurs grandes voix
Qui par l'âtre semblaient descendre de la nue,
Que pour l'éternité j'ai l'espoir de sentir
Dans l'air natal mon âme ouvrir l'aile... et partir !

Aussi célèbre presque que la pièce des « Coiffes Angevines », celle qui suit a le mérite, en plus, d'évoquer avec autant de précision que de poésie, une culture bien angevine :

LE CHANVRE
Dans la haie en fleur le rossignol chante.
Par dessus la haie au bord du chemin.
Rose sans un bruit s'est haussée, et tente
De voir ce que Jean sème à pleine main.
Mais Jean a fini la dernière planche.
Il lève la tête, et surprend, charmé,
Rose qui rougit sous sa coiffe blanche.
Le chanvre est semé.
Voici venir Jean, voici venir Rose
A l'ombre du chanvre aux brins longs et droits.
Ils se sont promis. Personne n'en glose.
Ils se marieront quand viendront les froids.
Pour avoir les draps les plus beaux du monde,
Où leur jeune amour sera bien bercé.
Fuseaux et rouets entreront en ronde.
Le chanvre est poussé.
Il pleut sur la mare oit dans Veau dormante
Jean met à rouir le chanvre nouveau.
Il pleut sur la prée, où sous la tourmente,
Rose sans abri garde son troupeau.
Et Rose frissonne, et Rose, dimanche,
Entendra son Jean lui dire, effrayé :
« Que tes yeux sont grands ! Que ta joue est blanche! »
Le chanvre est noyé.
En flottille d'or sur la mare flotte
La feuille arrachée aux peupliers gris.
Jean teille le chanvre ; et la chènevotte
Quitte la filasse et tombe en débris.
Près de son galant Rose tousse et râle,
De sa chair de fleur le corps dépouillé.
Rose aux yeux trop grands, Rose au teint trop pâle.
Le chanvre est teillé.
Pour avoir les draps les plus beaux du monde,
La mère de Jean, devant l'âtre en feu.
Fait tordre au fuseau la filasse blonde
Qui se change en fil fin comme un cheveu.
Et Jean, le cœur gros, lui parle de Rose
Qui ne sera plus qu'un charme envolé
Quand refleurira la première rose.
Le chanvre est filé.
Le printemps déclôt les yeux des pervenches.
Rose, ce matin, sans un souffle dort.
Plus ne s ouvriront ses paupières blanches
Que tient sOus son doigt l'implacable Mort.
Et Jean va chercher le beau drap de fête
Où leur Jeune amour eût été bercé :
« Tisserand, ma toile est- elle enfin prête ?
— Le chanvre est tissé. »

J'aurais voulu citer d'autres vers encore, comme ce « Coupeur de Bruyères », où une belle pensée philosophique éclôt dans un décor de futaie brillamment rendu, ou encore cette « Aurore », tableau achevé d'un village au jour levant, et dans laquelle Paul Pionis affirme son incontestable et délicat talent de peintre rustique.

Mais la place m'est trop mesurée, et je dois, pour mener le lecteur vers d'autres richesses, fermer à regret ces recueils si pleins de la douceur angevine...

Bibliographie. — A la Volée, nouvelles et poésies, Paris, H. E. Martin, 1881. — Eclats de Rire et Sanglots, nouvelles, ibid. 1882. — Grand'Maman Poupée, Pierre la Revanche, nouvelles. Paris, Librairie d'Education de la Jeunesse, 1887. — La Chanson de Mignonne, poésies, Paris, I. Fischbacher, 1891. — A la Pointe de la Plume, nouvelles, ibid., 1893. — Réveil d'Honneur, épisode dramatique en vers, ibid., 1894. — Le Monstre, poésie, ibid., 1902. — Les Coiffes Angevines, poésies, ibid., 1902.
(Paul Pionis a collaboré en outre à de nombreux journaux et revues : Le Glaneur, L'Ouest Artistique et Littéraire, L'Echo de la Semaine, la Revue des Provinces de l'Ouest, le Patriote de l'Ouest, le Petit Baugeois, le Pays Baugeois, L'Angevin de Paris, le Paris-Chronique, le Supplément du Petit Journal, la Revue du Bien, la Revue du Maine, la Revue Normande, les Muses Santones, etc., et aux publications de la Société Philotechnique, dont il fut Président.)




Extrait de l'ouvrage Poètes angevins d'aujourd'hui, essais anthologiques de Marc Leclerc, Société des artistes angevins, Paul Lefebvre libr.-édit. (Paris), 1922, 134 p. (notice BnF).

Marc Leclerc (1874-1946), homme de lettres angevin, créateur des rimiaux, peintre, conférencier, membre de la Société des artistes angevins.

Paul Pionis, pseudonyme de Louis Papin (1848-1929), poète, écrivain et journaliste.


Du même auteur : Rimiaux d'Anjou (dont Les Coëffes s'en vont, Cheuz nous, Veille de Fête, La pibole, En foère), Notre frère le poilu, Louise Desbordes-Jouas.

Sur le même sujet : Langue et littérature angevine, patrimoine angevin.


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