Famille Du Bellay par J.-F. Bodin

De Wiki-Anjou
Langue et littérature angevine
Document   Notice sur les hommes célèbres de la maison du Bellay
Auteur   Jean François Bodin
Année d'édition   1814
Éditeur   Degouy aîné impr.-libr. (Saumur)
Note(s)   dans Recherches historiques sur la ville de Saumur : ses monumens et ceux de son arrondissement.


Le château du Bellay. — Notice sur les Hommes célèbres qui y sont nés, ou qui ont porté son nom. Tombeau de Jean du Bellay, Abbé de Saint-Florent.

Le château du Bellay, situé dans la commune d'Allonnes, à deux lieues nord-est de Saumur, se nommait anciennement les Brosses d'Allonnes. Quelques généalogistes ont écrit qu'une branche de la maison de Berlay, ou Bellay de Montreuil, s'était établie en cet endroit, et lui avait donné son nom ; d'autres, au contraire, ont prétendu que c'était des Brosses d'Allonnes qu'était sorti Giraut Berlay, qui s'établit, dans la suite, à Montreuil-Bellay (a). Quoi qu'il en soit de ces diverses opinions, toujours est-il certain que ces deux terres ont appartenu autrefois à la même maison et que cette maison était l'une des plus illustres de l'Anjou et des plus anciennes de la monarchie.

(a) Ménage, Histoire de Sablé, page 53.

Le château du Bellay, dont l'aspect imposant rappellait des souvenirs si honorables pour le pays Saumurois, vient d'être presque entiérement démoli ; il n'en reste plus qu'une partie, dont le rez-de-chaussée forme une serre à l'usage d'une maison qu'on a bâtie auprès. Cependant le peu qui en reste suffit encore pour rappeller que ce petit coin de terre a été possédé, pendant huit siècles, par une famille qui a fourni à l'Etat un grand nombre d'hommes distingués dans l'église, dans les armes et dans les lettres.

Les limites dans lesquelles nous devons nous renfermer ne nous permettant pas de faire connaître tous ceux de cette famille dont l'histoire a conservé les noms, nous ne parlerons que des plus célèbres, en commençant par Renault du Bellay, fils de Berlay II, dont il a été question dans la première partie de ces recherches.

I. Renault du Bellay, dès ses plus jeunes ans, témoigna un grand desir de s'instruire dans les lettres ; Grécia, sa mère, veuve de Berlay II, fit cultiver de bonne heure ses heureuses dispositions, et chargea de sa première éducation les hommes les plus instruits qu'elle put trouver. Elle l'envoya ensuite achever ses études dans l'université de Paris, où il s'appliqua avec tant d'assiduité qu'il surpassa bientôt en doctrine tous ses condisciples. N'ayant pas de vocation pour les armes, il entra dans l'église, et sa première dignité fut celle de trésorier du chapitre de Saint-Martin de Tours. Dans la suite, Hugues, légat de Grégoire VII, ayant déposé Manassès, archevêque de Rheims, Renault du Bellay fut élu à sa place, en un concile tenu à Lyon l'an 1080.

Le cardinal Baronius remarque à ce sujet, dans ses Annales, qu'en la même année il fut tenu deux autres conciles généraux, celui d'Avignon, où fut élu à l'évêché de Grenoble Hugues, qui fonda l'ordre des chartreux avec Saint-Bruno, et le concile de Meaux, où fut élu Saint-Arnault à l'évêché de Soissons. Ces trois prélats, également recommandables par leurs vertus et leur savoir, élevés à l'épiscopat, dans la même année, par trois conciles généraux, furent intimes amis, et toujours d'une même opinion dans tous les conciles et synodes où ils se trouvèrent ensemble, pour la réformation de la vie et des mœurs du clergé.

Renault du Bellay aimait et protégeait tous ceux qui cultivaient les lettres ; son palais devint une espèce d'académie, où se rendaient de toutes parts les beaux esprits et les savans, pour conférer avec lui ; il se faisait un plaisir de les aider de ses biens, de ses conseils et de sa faveur. C'est ainsi qu'il contribua à l'avancement de plusieurs personnages célèbres de son tems, tels que Robert d'Arbrissel, fondateur de l'ordre de Fontevrault, Vital, premier abbé et fondateur de l'abbaye de Sauvigny, et Bernard, aussi premier abbé et fondateur de l'abbaye de Tyron.

Au concile de Clermont, présidé par Urbain II, Renault du Bellay, s'étant déclaré contre Philippe et Bertrade de Montfort, encourut la disgrace du roi, ce qui le détermina à se démettre volontairement de son archevêché. II se retira ensuite à Arras, où il mourut l'année suivante, le 21 janvier 1096.

II. Pendant le quinzième siècle, l'abbaye de Saint-Florent devint, pour ainsi dire, un domaine de la maison du Bellay. Jean du Bellay Ier en fut élu abbé en 1404. Quelques années après son élection, il fit bâtir le grand corps de logis que l'on voyait encore, il y a quelques années, entre l'église abbatiale et celle de Saint-Barthélemy. En 1431, il donna la démission de son abbaye, entre les mains du pape Eugène IV, en faveur de Jean II, son neveu, fils aîné de Hugues du Bellay, VIIe. du nom, et d'Isabeau de Montigny, de l'illustre maison de Vendôme.

III. Jean II, abbé de Saint-Florent, fut d'abord évêque de Fréjus, ensuite de Poitiers. A l'exemple de son oncle, il fit de grandes augmentations à son abbaye. Le chœur, les voûtes de l'église, et plusieurs belles chapelles, autour des bas-côtés et du chœur, furent construites à ses frais. En 1474, il se démit aussi de son abbaye, en faveur de Louis du Bellay, l'un de ses neveux, pour se livrer tout entier au gouvernement de son diocèse.

IV. Le frère aîné de ce prélat, aussi nommé Jean, chevalier de l'ordre du Croissant, chambellan de Louis XI, et qui en 1461 commanda l'arrière-ban d'Anjou, fut marié à Jeanne de Cogé, dont il eut onze enfans, six garçons et cinq filles. Eustache, leur fils aîné, fut conseiller et chambellan de René, roi de Sicile et duc d'Anjou ; Louis, leur second fils, eut l'abbaye de Saint-Florent, comme nous venons de le dire ; Jean, leur troisième fils, fut capitaine de cinquante hommes d'armes, chevalier de l'ordre du roi, et fit la branche de la Flotte, qui est tombée dans la maison de Hautefort ; et Louis, leur quatrième fils, fut seigneur de Langey ou Langeais, et père de quatre fils, qui occupent un rang distingué parmi les hommes célèbres de leur siècle.

Jean du Bellay, évêque de Poitiers, vécut encore plusieurs années après avoir fait la démission de son abbaye, et mourut le 2 septembre 1479.

V. Quelques années après, Louis, son successeur, lui érigea un magnifique tombeau dans le chœur de l'église de Saint-Florent, où il avait été enterré. Ce monument, le plus grand et le plus beau morceau de sculpture de l'Anjou, avait vingt-deux pieds de largeur, six d'épaisseur, et trente de hauteur. Il représentait le paradis et l'enfer. Son architecture était du genre gothique arabe ou mauresque ; sa forme était celle d'une arcade en ogive, ouverte entre le chœur et le bas-côté de l'église. Le paradis était du côté du chœur, et l'enfer du côté opposé. Une multitude de figures de ronde bosse, représentant des saints, des anges, des diables, quelques élus et beaucoup de damnés, remplissait des niches de toutes les formes, décorées de faisceaux, de pilastres et de colonnes, d'arcs en ogive sans nombre, le tout exécuté avec une légéreté, une délicatesse qui donnaient à l'ensemble de l'ouvrage l'air d'une dentelle artistement travaillée. La plupart des figures du paradis et de l'enfer étaient nues. Parmi celles de l'enfer, il y en avait beaucoup dont on retrouve les formes et les attitudes grotesques dans la belle gravure de Callot, qui représente les tentations de Saint-Antoine ; cette ressemblance nous fait présumer que ce célèbre artiste avait vu le tombeau de Jean du Bellay. La statue de ce prélat était placée sous l'arcade, sur un tombeau orné d'une inscription et des armoiries de la maison du Bellay, lesquelles étaient d'argent, à la bande fuselée de gueules, à six fleurs de lys d'azur posées en orle.

Quelques parties lisses dans l'ordonnance de ce monument, des arabesques en bas-reliefs distribués avec beaucoup de goût, formaient les divisions nécessaires pour permettre à l'œil de voir tout sans confusion. Ce bel ouvrage était en pierre d'argeasse, pierre des environs de Saumur, très-blanche et d'un grain très-fin ; il a été détruit en 1806, avec l'église qui le renfermait. Depuis que j'ai entrepris ces recherches, j'ai toujours regretté d'avoir négligé de dessiner ce tombeau avant qu'il fût démoli, et de n'avoir pas fait mouler un de ses bas-reliefs qui représentait le jugement dernier. Ce bas-relief, placé dans l'épaisseur de l'arcade, avait la forme d'un parallelograme d'environ quatre pieds et demi de longueur sur trois de hauteur. Il était composé d'un grand nombre de figures très-bien dessinées pour le tems, et posées d'une manière convenable au sujet. L'un des angles inférieurs était occupé par un tombeau ouvert, orné des armoiries de la maison du Bellay ; auprès était un guerrier debout, n'ayant que le bras gauche, avec lequel il soutenait encore la pierre qui recouvrait le tombeau dont il venait de sortir. Ses regards étaient tournés vers l'angle supérieur diagonalement opposé à celui où il était placé, et qui, par la position du bas-relief, était le côté de l'orient. On voyait, de ce côté, dans les airs, un bras droit, portant une bannière aux armes du Bellay, surmontée d'une croix ; moyen ingénieux, inventé par l'artiste, pour rappeller que l'illustre maison du Bellay avait versé son sang dans les guerres entreprises pour la conquête de la Terre-Sainte.

L'abbé Louis du Bellay, qui fit élever ce magnifique monument, eut beaucoup de neveux d'un grand mérite. Nous nous bornerons à parler des quatre fils de Louis, le plus jeune de ses frères, qui épousa Marguerite de la Tour-Landry, dont il eut pour premier fils :

VI. Guillaume du Bellay, plus connu sous le nom de Langey, qui était celui d'une petite ville sur la rive droite de la Loire, à 10 lieues au-dessus de Saumur, qu'on nomme actuellement Langeais, et dont il était seigneur. Langey entra jeune encore dans la carrière militaire, et s'y fit remarquer par sa bonne conduite et sa valeur.

François Ier l'ayant envoyé en Piémont avec rang de lieutenant-général, il y reprit plusieurs places sur les impériaux, et sut, par son esprit et l'aménité de son caractère, faire aimer et respecter l'autorité française dans le pays qu'il avait conquis. Les malheureux habitans des bourgs de Cabrières et de Merindol, que l'on nommait Vaudois, durent à sa prudence, à ses principes de tolérance et de modération, la suspension de l'arrêt du parlement de Provence, qui condamnait leur pays à être détruit par le fer et par le feu. Le roi avait chargé Langey de l'instruire exactement des mœurs et des usages de ces habitans. Les vaudois, dit-il au monarque dans son rapport, sont des paysans laborieux et sobres, qui, depuis trois cents ans, ont pris des terres en frîche, à la charge d'en payer la rente à leurs maîtres ; à la vérité ils fréquentent peu les églises, ne se mettent point à genoux devant les images, ne font point dire de messes pour eux ni pour les morts, n'ôtent point leurs bonnets en passant devant les croix qui sont dans les carrefours ; mais, par un travail assidu, ils ont rendu leurs terres fertiles, paient bien exactement la taille au roi et les redevances à leurs seigneurs, quoiqu'ils ne reconnaissent ni le pape ni les évêques.

Brantôme met le seigneur de Langey au rang des plus grands capitaines de son tems. « Certes, dit-il, il a été un grand personnage et capi taine, de qui je ne particularise tous les faits, non plus que je fais d'autres ses pareils en ce livre, car il m'en faudrait faire de par trop longues légendes ; je me contente d'en toucher quelques petits traits. » II remarque ailleurs qu'il savait se ménager, à force d'argent, des intelligences secretes chez les généraux, chez les ministres étrangers et jusque dans les cabinets des rois. Il n'épargnait rien pour parvenir à ses fins et servir utilement son maître. De Turin il instruisait le roi, qui était à Paris, de tout ce qui se faisait ou de ce qui se devait faire dans les armées de Charles-Quint, soit en Flandres, soit en Picardie. Billon, auteur contemporain, dit qu'il ne faisait jamais aucune entreprise militaire qu'après avoir employé sa plume à découvrir l'état des choses, ce qui fit dire à Charles-Quint : « La plume de Langey m'a plus fait la guerre que toute lance bardée de la France. »

Les grandes fatigues que Langey avait éprouvées à la guerre l'avaient rendu perclus de tous ses membres ; il ne pouvait plus ni marcher, ni monter à cheval. Ayant quelque chose d'important à communiquer à François Ier, qui desirait aussi de l'entretenir, il entreprit le voyage de Turin à Paris en litière ; mais entre Lyon et Roanne il se trouva si mal qu'il fut obligé de s'arrêter au bourg de Saint-Saphorin, où il mourut le 9 janvier 1545. Son corps fut porté au Mans, dont René du Bellay, son frère, était évêque alors ; Jean et Martin, ses autres frères, se réunirent au prélat, pour lui élever, dans la cathédrale où il fut inhume, un superbe tombeau. Joachim du Bellay, son cousin, lui fit cette épitaphe :

Hic situs est Langeus ; ultrà nil quære, viator :
Nil meliùs dici, nil potuit breviùs.
« Passant, cy git Langey, n'en demande pas davantage ce nom en dit assez. »

Un autre fit celle-ci, qui est plus connue :

Cy git Langey, qui, de plume et d'épée,
A surmonté Cicéron et Pompée.

Langey était très-instruit, et il savait trouver, même dans les camps, des momens de loisir qu'il employait à cultiver les lettres. Il nous a laissé des mémoires, et un épitome de l'Antiquité des Gaules et de la France, imprimé en 1536. Les manuscrits, qu'il portait dans ses coffres, furent dérobés, après sa mort, sa mort, dans le bourg de Saint-Saphorin ; mais Martin du Bellay, son frère, qui lui succéda, en qualité de lieutenant du roi, à Turin, parvint à en recouvrer la plus grande partie.

VII. Jean du Bellay, second fils de Louis naquit en 1492. Il s'adonna, dès son jeune âge, à l'étude des belles-lettres, et parvint à une profonde connaissance de la langue latine, dans laquelle il écrivit très-élégamment, soit en prose soit en vers. Sa naissance et son mérite lui proeurèrent un accès facile à la cour de François Ier, qui aimait les lettres et ceux qui les cultivaient. Il profita de sa faveur pour hâter leurs progrès, et se joignit au savant Budée pour engager le monarque à fonder le college royal qui fut établi en 1529.

Jean du Bellay était alors évêque de Bayonne, et il le fut successivement de Paris, de Limoges, puis archevêque de Bordeaux et évêque du Mans. Le roi, dont il gagna toute la confiance, le nomma à quantité d'emplois et d'ambassades. Lorsque Clément VII vint à Marseille pour conclure le ma riage du duc d'Orléans, qui depuis fut Henri II, avec Catherine de Médicis sa nièce, notre prélat donna une grande preuve de sa facilité et de ses talens oratoires. Poyet, (4) président au parlement de Paris, et depuis chancelier de France, devait complimenter sa sainteté ; mais, ayant reçu ordre de faire plusieurs changemens à sa harangue le jour même qu'il devait la prononcer, il se trouva si déconcerté qu'il supplia le roi de choisir un autre orateur. On s'adressa à Jean du Bellay, et celui-ci improvisa un discours, qui obtint tous les suffrages de l'illustre assemblée devant laquelle il fut prononcé avec autant d'aisance que de noblesse.

Pendant leur séjour à Marseille, François Ier et le pape s'occupèrent des affaires de Henri VIII, roi d'Angleterre ; on résolut d'y envoyer du Bellay. Il partit sur-le-champ, se rendit à Londres, et parvint à obtenir de Henri tout ce qu'on pouvait raisonnablement désirer, pourvu qu'on lui donnât le tems de pouvoir se défendre par un fondé de pouvoir. Le prélat revint promptement en France, et alla de suite à Rome, trouver le pape, qui lui accorda le délai que demandait le roi d'Angleterre. Mais le courrier, expédié pour lui porter cette nouvelle et en rapporter la procuration qu'il avait promise à du Bellay, n'ayant pu être de retour à Rome au jour qu'on lui avait fixé, les agens de Charles Quint parvinrent, à force d'intrigues, à faire fulminer l'excommunication contre Henri VIII et interdit sur son royaume. Le courrier arriva deux jours après cette mesure impolitique, avec les procurations que le roi d'Angleterre envoyait à du Bellay ; mais elles furent inutiles. Toutes les protestations que fit l'évêque de Paris, en vertu des pouvoirs qu'il venait de recevoir, ne purent empêcher un schisme, qui enleva un royaume à l'église catholique, et au saint-siège une partie de ses revenus.

Après ce grand événement, qui a eu tant d'influence sur les destinées de la cour de Rome, l'évêque de Paris continua d'être chargé des affaires de France, sous le pontificat de Paul III, successeur de Clément VII, et ce fut ce même Paul qui lui donna le chapeau de cardinal le 21 mai 1535. L'année suivante, il se trouva au consistoire où Charles-Quint, dans un discours qu'il y prononça, s'emporta avec fureur contre François Ier, en présence de ses ambassadeurs, qui n'eurent pas le courage de prendre sa défense. « Mais ils firent bien pis, dit Brantôme, car ils déguisèrent la chose au roi comme elle était passée, et lui cachèrent la vérité, pensant bien faire, pour n'entendre le point d'honneur ; car sur ce défiment que l'empereur faisait au roi sur le combat, Vely devait repartir et répondre bravement, selon qu'un bon chevalier duelliste eût bravement répondu. Encore sans M. le cardinal du Bellay qui était prompt et soudain et haut à la main, autant qu'homme de guerre, aussi le sentait-il car il était partout, et un des grands personnages, en tout et de lettres et d'armes, tout n'allait-il pas bien, et le roi demeurait fort déshonoré. »

Le cardinal dissimula le chagrin que lui causa ce discours de l'empereur ; il le retint mot pour mot, et comme il importait beaucoup au roi de savoir tout ce qu'avait dit Charles, du Bellay prit la poste, et vint l'en instruire. Ce fut alors que l'empereur fit faire une invasion en Picardie, par le comte de Nassau. Le roi, pour s'opposer aux projets de son ennemi, sortit de Paris, où il laissa le cardinal du Bellay avec le titre de lieutenant-général, le chargeant de rétablir l'ordre dans la capitale, et de la mettre en état de défense. Du Bellay fit voir, dans cette occasion, qu'il était aussi bon général que grand politique. Il fortifia Paris, en faisant construire un rempart, et les boulevards que l'on voit encore aujourd'hui ; aussi il pourvut avec célérité à la défense des autres places qui lui avaient été confiées.

François Ier, satisfait des services du cardinal, le nomma conseiller de son conseil secret ; mais, après la mort de ce prince, du Bellay, privé de son rang et de son crédit par des intrigues de cour, se retira à Rome, où, par le privilège de son âge, il fut fait évêque d'Ostie et doyen du sacré collège.

Le cardinal du Bellay aimait les lettres, et fut le protecteur et le bienfaiteur de Rabelais. Chargé des plus grands emplois, il trouvait encore du tems pour se livrer à l'étude. Il a laissé des poésies latines qui feraient honneur à un homme qui n'aurait paru dans le monde qu'en qualité de poëte. Mais il a fait de si grandes choses, comme politique, que la gloire de l'homme de lettres est, pour ainsi dire, obscurcie par celle de l'homme d'état. Il mourut à Rome, le 16 février 1560 âgé de 68 ans.

VIII. Martin du Bellay, capitaine de cinquante hommes d'armes, prince d'Yvetot par son mariage avec Isabelle Chenu, et troisième fils de Louis du Bellay, eut, comme ses frères, le bonheur d'être bien à la cour de François Ier, et de s'acquitter, à la satisfaction de ce monarque, des emplois importans qu'il lui confia dans la guerre, dans les ambassades et dans beaucoup d'autres affaires. Pour le récompenser de ses services, le roi le nomma son lieutenant-général en Normandie, et le fit chevalier de son ordre.

Comme ses frères, et comme presque tous les hommes de son illustre maison, il joignit au mérite de protéger les lettres celui de les cultiver lui-même. Les mémoires historiques qu'il nous a laissés contiennent ce qui s'est passé de plus important sous le règne de François Ier, depuis 1515 jusqu'au règne de Henri II. L'un des plus fidèles et des plus zélés serviteurs du premier de ces princes, il tint à beaucoup d'honneur d'être son historien. Quelques critiques lui reprochent d'avoir donné trop d'étendue aux descriptions des sièges et des batailles où il s'est trouvé. Malgré ce défaut, ses mémoires sont très estimés, et, comme ceux de Langey son frère, ils ont été traduits en latin, et imprimés à Francfort, l'an 1574.

Martin du Bellay mourut à Glatigny, dans le Perche, le 9 mars 1559 ; il ne laissa que des filles. La principauté d'Yvetot passa aux aînés de la maison du Bellay, par le mariage fait, avec dispense du pape, de René du Bellay, fils aîné de Jacques de ce nom, comte de Tonnerre, avec Marie du Bellay, sa cousine germaine, fille aînée de Martin du Bellay, dont nous venons de parler.

IX. René, quatrième fils de Louis du Bellay, obtint, par le crédit de ses frères, l'évêché du Mans. Il se fixa dans son diocèse, et mit tous ses soins à s'acquitter des devoirs d'un bon prélat. Il passait ordinairement la belle saison à la campagne, où il s'occupait à étudier la physique, et à rassembler dans son jardin les arbres, les fleurs et les plantes les plus rares ; il fut en quelque sorte le créateur de la botanique en France.

En 1546 la famine désola son diocèse, et la misère devint, si grande que le peuple fut obligé de se nourrir de gland. Député vers le roi par la ville du Mans, pour solliciter des secours, du Bellay accepta cette mission d'humanité qu'il remplit avec succès ; mais peu de tems après s'en être acquitté, il mourut à Paris, au mois d'août de la même année. (1)

(1) Moréry. Bayle. Brantôme. Histoire Généalogique, de la maison du Bellay.

Le château de Gonnord. — Suite de la notice sur les hommes célèbres de la maison du Bellay. — Langage.

Gonnord, gros bourg à huit lieues de Saumur, sur un ruisseau qui tombe dans le Layon, était anciennement un prieuré de bénédictins, qui dépendait de l'abbaye de Saint-Florent. Vers le milieu du onzième siècle, Geoffroy Martel, comte d'Anjou, s'étant emparé, comme on l'a dit dans la première partie de ces recherches, d'une portion considérable de biens ecclésiastiques de ses états, les avait distribués à plusieurs de ses vassaux, en récompense de leurs services militaires. Ceux-ci en disposèrent ensuite comme de leur propre bien. On voit, dans les antiquités d'Anjou, qu'Agnès, épouse de Foulques Adubat, eut en dot l'église le cimetière et la dixme de la paroisse du Toureil. Dans la suite, Eusèbe, évêque d'Angers, scandalisé de voir ainsi les domaines de l'église entre les mains des laïques, entreprit de les leur ôter, et y parvint facilement. Il fit ce retrait sans bourse délier, et le commença par les églises de Saint-Pierre et de Saint-Jean de Gonnord, et leurs dépendances, qu'il restitua à l'abbaye de Saint-Florent. Une riche veuve de Vihiers, qui possédait, par héritage, le quart de ces biens, en avait déjà fait volontairement l'abandon, du consentement de ses enfans, aussitôt qu'elle avait été instruite des intentions du prélat. Soit par crainte, soit par persuasion, ceux qui possédaient le surplus suivirent ce pieux exemple, et bientôt les moines se trouvèrent paisibles possesseurs des biens et des églises de Gonnord. Philippe Ier, roi de France, et Foulques Rechin, comte d'Anjou, approuvèrent ces dons, déclarèrent les terres de ces églises libres de toutes exactions, et permirent aux hommes des moines d'y bâtir des maisons pour faire un bourg, dont les habitans seraient sous la juridiction des officiers de l'abbaye. Voilà ce que les manuscrits de Saint-Florent nous apprennent touchant les églises et le bourg de Gonnord ; mais ils ne nous disent rien de relatif au château (qui vient d'être démoli) ; on sait seulement que dans le quinzième siècle il appartenait à la maison du Bellay, et qu'il tomba en partage à Joachim du Bellay, l'un de nos premiers poëtes français, et l'un des hommes les plus célèbres qu'ait produits l'Anjou.

X. Joachim du Bellay, seigneur de Gonnord, fils de Jean du Bellay et de Renée Chabot, naquit vers l'an 1524, à Liré, bourg sur la rive gauche de la Loire, à huit lieues au-dessous d'Angers. Orphelin presque dès l'enfance, il eut pour tuteur son frère, qui négligea tout à la fois son éduca tion et l'administration de ses biens. A peine sorti de tutelle, il se trouva, par la mort de ce même frère, chargé de l'un de ses neveux. Des procès, qu'il fallut poursuivre pour les intérêts de son pupille et les siens, lui causèrent des solicitudes et des chagrins qui altérèrent sa santé. Une maladie dangereuse le retint deux ans au lit ; il appella les muses à son secours, pour calmer ses douleurs et charmer ses ennuis. Les poëtes grecs et latins, qu'il lut avec avidité, échauffèrent son génie, et développèrent les germes de son talent pour la poésie française. Il composa d'abord plusieurs pièces, qui furent goûtées à la cour de François I, et lui procurèrent un accès facile auprès de ce prince, qui aimait et protégeait tous les hommes d'un mérite distingué.

A cette époque, notre langue était encore dans l'enfance ; ce n'était, pour ainsi dire, qu'un jargon grossier, abandonné au vulgaire, et qui osait à peine se faire entendre parmi les hommes instruits. Destiné à l'enrichir et à la polir par ses ouvrages du Bellay en fit un, dont l'objet était de prouver qu'il était ridicule de négliger l'idiôme national, et de lui préférer les langues mortes ou étrangères. Il le dédia à son illustre parent, le cardinal du Bellay. « Je ne puis assez blâmer la sotte arrogance et témérité d'aucuns de notre nation, dit-il au commencement de cet ouvrage, qui, n'étant rien moins que grecs ou latins, déprisent et rejettent, d'un sourcil plus que stoïque, toutes choses escrites en françois : et ne me puis assez esmerveiller de l'étrange opinion d'aucuns savans, qui pensent que notre vulgaire soit incapable de toutes bonnes lettres et érudition, comme si une invention pour le langage seulement devait être jugée bonne ou mauvaise. A ceux-là je n'ai entrepris de satisfaire. A ceux-ci je veux bien, s'il m'est possible, faire changer d'opinion, par quelques raisons que briefvement j'espère déduire : non que je me sente plus clervoyant en cela ou autres choses qu'ils ne sont, mais pour ce que l'affection qu'ils portent aux langues étrangères ne permet qu'ils vueillent faire sain et entier jugement de leur vulgaire. » Il termine son livre par un chapitre qui a pour titre : Exhortation aux François d'escrire en leur langue. « Là doncques, François, dit-il, marchez courageusement vers cette superbe cité romaine ; et des serves dépouilles d'elle, ( comme vous avez fait plus d'une fois ) ornez vos temples et vos autels. Ne craignez plus ces oyes criardes, ce fier Manlie et ce traître Camille, qui, soubs ombre de bonne-foy, vous surprennent tout nuds, comtant la rançon du Capitole. Donnez en cette Grèce menteresse, et y semez encore un coup la fameuse nation des Gallogrecs. Pillez-moi, sans conscience, les sacrés trésors de ce temple Delphique, ainsi que vous avez fait autrefois et ne craignez plus cet Apollon, ses faux oracles, ny ses flèches rebouchées. Vous souvienne de votre ancienne Marseille, seconde Athènes, et de votre Hercule Gallique, tirant les peuples après lui, par leurs oreilles, avec une chaîne attachée à sa langue. »

Joachim du Bellay prit d'abord le parti des armes ; mais le tumulte des camps effarouchant il quitta l'épée pour la soutane, et alla trouver, à Rome, son parent le cardinal du Bellay, qui s'y était retiré en 1547. Pendant le tems qu'il resta avec lui dans cette ancienne capitale du monde, il se livra tout entier à la société des savans qui s'y trouvaient, et aux charmes de l'étude. Il y composa deux poëmes latins, l'un à la louange d'une dame italienne nommée Vénoride, et l'autre sur l'enlèvement d'une jeune fille ; mais ils eurent moins de succès que ses poésies françaises. Entre ces dernières, il faut distinguer ses Antiquités de Rome, contenant une géné. rale description de sa grandeur, et comme une déploration de sa ruine, ouvrage composé de trente-deux sonnets. Voici le dernier :

« Espérez-vous que la postérité
Doive, mes vers, pour tout jamais vous lire ?
Espérez-vous que l'oeuvre d'une lyre
Puisse acquérir telle immortalité ?
Si sous le ciel fut quelque éternité,
Les monumens que je vous ai fait dire,
Non en papier, mais en marbre et porphyre,
Eussent gardé leur vive antiquité.
Ne laisse pas toutefois de sonner,
Luth qu'Apollon m'a bien daigné donner :
Car si le tems la gloire ne dérobe,
Vanter te peux, quelque bas que tu sois,
D'avoir chanté, le premier des François,
L'antique honneur du peuple à longue robe. »

Environné des débris de la grandeur romaine, assis sur les bords du Tibre, notre poëte tournait souvent ses regards vers l'Anjou, et chantait les rives pittoresques de la Loire, la fertilité de leurs côteaux, de leurs vallons, l'abondance et la diversité de leurs productions. L'amour de la patrie, ce sentiment qu'on n'éprouve jamais plus vivement que lorsqu'on est éloigné d'elle, montait sa lyre, et lui inspira cette ode, dans laquelle il exprime, avec tant de feu, son attachement pour sa province. Elle a pour titre : Les louanges d'Anjou, au fleuve de Loire. En voici la fin.

« Qui voudra donc loue et chante
Tout ce dont l'Inde se vante,
Sicile la fabuleuse,
Ou bien l'Arabie heureuse.
Quant à moi, tant que ma lyre
Voudra les chansons élire,
Que je lui commanderai,
Mon Anjou je chanterai.
O mon fleuve paternel!
Quand le dormir éternel,
Fera tomber à l'envers
Celui qui chante ces vers,
Et que par les bras amis
Mon corps bien près sera mis
De quelque fontaine vive,
Non guère loin de ta rive,
Au moins sur ma froide cendre
Fais quelques larmes descendre,
Et sonne mon bruit fameux,
A ton rivage écumeux.
N'oublie le nom de celle
Qui toute beauté excelle,
Et ce qu'ai pour elle aussi
Chanté sur ce bord ici ».

Du Bellay, après avoir passé trois ans en Italie, revint en France pour les affaires du cardinal son parent ; mais il fut mal récompensé des peines qu'il prit pour soutenir et défendre ses intérêts. Des ennemis, jaloux de son talent, prétendirent trouver dans ses ouvrages des preuves d'irréligion. Le cardinal, sans rien examiner, eut la faiblesse de se laisser prévenir, oublia les services que notre poëte lui avait rendus et l'abandonna. Mais, heureusement pour lui, un autre parent, Eustache du Bellay, évêque de Paris, plus juste appréciateur de son mérite, l'accueillit avec beaucoup de témoignages d'amitié, et lui fit oublier sa disgrace, en lui donnant un canonicat et la dignité d'archi-diacre de son église. Quelques années après, il fut nommé à l'archevêché de Bordeaux, dont il ne put prendre possession, ayant été frappé de mort subite à l'âge de 35 ans, peu de tems après sa nomination. Il fut enterré dans l'église de Notre-Dame de Paris, où aucun monument n'indique le lieu de sa sépulture (1).

(1) Moréry. Bayle. Dictionnaire Historique.

Considéré à la cour de François Ier, à celle de Henri II, par son esprit et ses talens, Joachim du Bellay sut encore se faire aimer de tous les hommes de lettres de son tems, et particuliérement de Ronsard, auquel on le comparait quelquefois. Moins riche que Ronsard dans l'invention, mais plus doux, plus facile dans l'expression, il eut peut-être surpassé son émule, si la mort ne l'eût enlevé à la fleur de l'âge. Le genre de ses poésies, la grace et la douceur de ses vers, le firent nommer le Catulle français. Cette pièce, tirée de ses Jeux Rustiques, prouvera qu'il était digne de ce glorieux surnom.

A Vénus.
Ayant, après long desir,
Pris de ma douce ennemie
Quelques arrhes du plaisir
Que sa rigueur me dénie,
Je t'offre ces beaux œillets,
Vénus, je t'offre ces roses
Dont les boutons vermeillets
Imitent les lèvres closes
Que j'ai baisées par trois fois,
Marchant tout beau dessous l'ombre
De ce buisson que tu vois ;
Et ne sçus passer ce nombre,
Parce que la mère était
Auprès de là, ce me semble,
Laquelle nous aguettait !
De peur encore j'en tremble.
Or je te donne des fleurs ;
Mais si tu fais ma rebelle
Autant piteuse à mes pleurs
Comme à mes yeux elle est belle.
Un myrthe je dédierai
Dessus les rives de Loire,
Et sur l'écorce écrirai
Ces quatre vers à ta gloire :
« Thénot, sur ce bord ici
« A Vénus sacre et ordonne
« Ce myrthe, et lui donne aussi
« Ses troupeaux et sa personne ».

Peu de tems avant de mourir, Joachim du Bellay fit son épitaphe en vers latins ; mais on la chercherait en vain sur le marbre ou sur le bronze ; ses amis semblent n'avoir point entendu les vœux qu'il forme dans son ode sur les louanges d'Anjou. Cependant, en parcourant dans cette contrée les bords charmans que baigne la Loire, on aimerait à rencontrer, à l'ombre d'un laurier ou de quelque peuplier,

« Non guère loin de la rive,
« Près quelque fontaine vive,

un cénotaphe du genre le plus simple, sur lequel serait gravée son épitaphe, que voici :

Clara progenie et domo vetustâ
( Quod nomen tibi sat meum indicarît )
Natus, contegor hác, viator, urnâ.
Sum Bellaius et poëta : jam me
Sat nosti ; puta, non bonus poëta ;
Hoc versus tibi sat mei indicarint.
Hoc solum tibi sed queam, viator,
De me dicere, me pium fuisse,
Nec læsisse pios: pius si ipse es
Manes loedere tu meos caveto.

Un de ses amis l'a rendue ainsi en français :

« De noble race et maison ancienne,
« ( Ce que mon nom assez te monstrera ).
« Issu je suis. Or ceste tombe mienne
« M'enclost, passant, tant qu'au Seigneur plaira.
« Du Bellay suis, celui qui fut poëte:
« Assez par là tous me discerneront.
« Bon ou mauvais, si savoir tu souhaitte,
« Mes vers bien leus mieux te le monstreront.
« Ceci de moi seulement te puis dire
« Que je fus bon et n'ai par mes escrits
« Blessé les bons. Toy donc ne veuille nuire,
« Si tu es bon, à nos muets esprits. »

Pour honorer la mémoire des hommes célèbres nés sur son territoire, il serait à désirer que chaque département eût un local convenable, qu'on pourrait nommer Élysée. Celui de Maine et Loire est déjà tout préparé ; je veux parler du jardin botanique d'Angers. En effet, sa position hors de la ville, son heureuse distribution, les eaux vives qui le parcourent en serpentant au travers d'une foule d'arbres et d'arbustes, offrent tout ce que l'on peut désirer pour un pareil projet. Loin de nous, l'idée de transformer en cimetière ce charmant jardin, qui, après celui de Paris, est un des plus beaux de ce genre qu'il y ait en France ; il ne s'agit point ici de sépultures, de lugubres tombeaux, que l'amour, l'amitié ou la reconnaissance aiment à visiter dans les lieux qui leur sont consacrés ; mais bien de ces monumens qui rappellent de glorieux souvenirs, agissent vivement sur l'imagination, en retraçant à la mémoire les ouvrages ou les actions de ceux dont ils portent les noms, ou en faisant naître le désir de lire les uns et de connaître les autres.

Ces cénotaphes, au nombre de vingt ou trente, d'un style simple et analogue aux siècles des hommes pour lesquels ils seraient élevés, coûteraient peu en Maine et Loire, qui abonde en marbre et en pierre de toute espèce. Au moyen d'une souscription ouverte dans les cinq chefslieux de sous-préfecture de ce département, on trouverait facilement les fonds nécessaires pour terminer cette entreprise en douze ou quinze ans. Une urne cinéraire, un buste, une colonne, un médaillon, même une seule pierre, avec une inscription, suffiraient et conviendraient parfaitement, sous le double rapport de l'économie de l'argent et de celle des emplacemens.

Si quelque jour on réalise ce projet, l'un de ces monumens sera sans doute consacré à la mémoire de Joachim du Bellay, et

« Certe ainsi que jadis les Gaulois nos ayeux,
« Avec les Espagnols, incités de la gloire
« D'un Tite-Live, auteur de la romaine histoire,
« Vinrent à Rome exprès pour le connaître mieux ;
« Car tant était prisé le savoir d'un tel homme
« Qu'une gent lors barbare, et d'un lieu si lointain ;
« Vint à Rome pour voir autre chose que Rome :
« Aussi delà la mer dont la terre est enclose,
« Voire de l'ile Thule, on viendra pour certain
« Voir quelque jour la tombe où du Bellay repose (1) ».

(1) Sonnets de Jacques de la Taille, contemporain de J. du Bellay,

Fin de la notice sur les Hommes Célèbres de la maison du Bellay. — Tombeaux de René et de Martin du Bellay, à Gizeux.

XI. En se retirant à Rome, le cardinal du Bellay se démit de l'évêché de Paris, avec l'agrément du roi, en faveur de son neveu, Eustache, déjà pourvu de riches bénéfices et président du parlement de Paris. Sous l'épiscopat de ce dernier, les jésuites obtinrent, de Henri II, des lettres-patentes qui leur permettaient de s'établir en France, mais à Paris seulement. Avant d'enregistrer ces lettres, le parlement ordonna que les bulles des papes, relatives à cette société, seraient communiquées à l'évêque de Paris et à l'université, pour avoir leur avis. Celui que donna le prélat ne fut pas favorable aux jésuites, et semble indiquer qu'il pressentait le but secret de leur institution ; Gouverner l'univers, non par la force, mais par la religion. Il trouvait d'abord mauvais qu'ils eussent pris le nom de Société de Jésus, titre qui n'appartenait, disait-il, qu'à l'église catholique, dont Jésus est le chef ; qu'ils s'exemptassent de chanter la messe et les vêpres, même les fêtes et dimanches ; qu'ils entreprissent sur les droits des curés, en voulant prêcher et administrer les sacremens sans leur permission, et qu'ils fissent d'autres entreprises semblables contre la hiérarchie. Il ajoutait enfin que leur institution étant d'aller prêcher le christianisme chez les Turcs et autres nations infidèles, ils devaient établir leur maison, non à Paris, mais dans les lieux maritimes, comme avaient fait autrefois les chevaliers de Rhodes.

La faculté de théologie ne fut pas plus favorable aux jésuites que ne l'avait été l'évêque de Paris. Elle déclara formellement que « cette société paraissait dangereuse en matière de foi, ennemie de la paix de l'église, fatale à la religion monastique, et plus faite pour la ruine que pour l'édification des fidèles. »

Appuyé de ce décret, le prélat interdit aussitôt les jésuites de toutes fonctions ecclésiastiques dans son diocèse, en sorte qu'ils furent obligés d'aller à l'église abbatiale de Saint-Germain-des-Prés, qui était alors exempte de la jurisdiction de l'évêque, pour y dire la messe et s'administrer les sacremens les uns aux autres (1). Telle fut la conduite de notre illustre compatriote envers cette société fameuse, que Benoît XIV détruisit en 1773, pour des raisons qui, sans doute, n'existent plus, puisque Pie VII vient de la rétablir en rentrant dans ses états.

(1) Piganiol, Description de Paris, t. V, p. 410 et 411.

Pendant son épiscopat, Eustache du Bellay fit plusieurs statuts qui ont été adoptés par ses successeurs. Après la mort de Henri II, dont il célébra les obsèques, il alla au concile de Trente, où il se distingua par son savoir et son éloquence. Le concile terminé, du Bellay revint à Paris, et se démit volontairement de son évêché, pour venir achever paisiblement sa carrière dans son pays natal, au château du Bellay, où il vécut encore deux ans. Après sa mort, son corps fut porté dans l'église de Gizeux, où plusieurs de ses ancêtres avaient été inhumés.

On voit, dans cette église, deux magnifiques tombeaux, exécutés par Guillain de Cambray, un des sculpteurs les plus distingués de son tems. Le premier est élevé à la mémoire de René du Bellay et de Marie du Bellay, princesse d'Yvetot, sa cousine et son épouse. Ils sont, l'un et l'autre, représentés de grandeur naturelle, à genoux, les mains jointes, chacun devant un prie-dieu orné de leurs armoiries. Ces statues, de marbre blanc, sont placées sur un massif ou tombeau de marbre noir, de trois pieds trois pouces de largeur, sur huit pieds et demi de longueur et cinq de hauteur. René est en habit militaire, tête nue, barbe longue et cheveux courts ; il a un poignard à sa ceinture, et près de lui un beaume et des gantelets. Derrière lui on voit son épouse, vêtue d'une robe courte attachée à son corset ; elle est coëffée d'un petit bonnet, qui se termine en pointe sur le front, et ne laisse appercevoir de cheveux que sur les tempes ; un petit capot, qui tient au corset, cache le derrière du cou ; deux chapelets font toute la parure de cette princesse ; l'un est attaché à sa ceinture, et l'autre lui sert de collier.

Le tombeau est orné d'étendards, de boucliers, d'arcs et de flèches, de marbre blanc. L'épitaphe qui était entre ces riches ornemens a été détruite en 1794, nous allons la rétablir ici :

« Sous ce pieux monument gissent et reposent les cendres de haut et puissant seigneur Messire René du Bellay, seigneur du Bellay, de Gizeux, baron des Baronies de la Lande-Thouarcé, de Commequiers, de la Forêt-sur-Sèvre, de la Haie-Joulain, du Plessis-Macé, Avrillé ; prince souverain d'Yvetot, chevalier de l'ordre du roi, député aux états-généraux tenus en 1588 ; Eustache du Bellay son oncle, évêque de Paris, lui donna ses biens avec clause de substitution au profit de ses descendans mâles. Il mourut en 1611. »

« Et de dame Marie du Bellay, princesse d'Yvetot, sa cousine, dame de Langeais, fille aînée de Martin du Bellay, seigneur de Langeais, et d'Isabelle Chenu, princesse d'Yvetot. Desquels la vie sage et vertueuse, continuée pendant plusieurs années dans les liens sacrés du mariage, dans une union parfaite d'esprit et de sentimens, donne à espérer que leurs âmes jouissent au ciel d'un bonheur éternel. »

« Leurs dépouilles mortelles ont été recueillies sous ce monument, par les soins de Martin du Bellay leur fils.

Passans, priez Dieu qu'ils soient bénis, et que leur mémoire soit immortalisée. »

Le second tombeau, semblable au premier pour la matière et la pose des figures, est celui de Martin du Bellay et de Louise de Sapvenières son épouse. Ils sont l'un et l'autre en habit de cour ; Martin est à genoux sur un coussin à glands, son costume est celui du tems de Henri IV barbe et moustache, cheveux courts, bouclés et relevés par devant en forme de petit toupet, fraise très-ample, manteau enrichi de broderies et ouvert des deux côtés. La statue de Louise, placée derrière celle de son époux, est vêtue d'une grande robe, recouverte en partie d'un manteau, fraise cannelée, tête nue, cheveux frisés, bouclés par devant et relevés en tresses par derrière. Ce monument, orné, comme le premier, de trophées de guerre et d'armoiries, est très-bien conservé, et porte cette inscription, gravée sur une table de marbre noir.

« Ici gissent et reposent le corps de haut et puissant seigneur Messire, Martin, seigneur du Bellay, capitaine de cent hommes d'armes, maréchal des camps » et armées, chevalier des deux ordres du roi, lieutenant-général pour Sa Majesté au gouvernement d'Anjou, prince d'Yvetot, marquis de Thouarcé, baron des baronnies de la Haye-Joulain et du Plessis-Macé, seigneur des Châtellenies de Gizeux, Benais, Mont» Ballon, Molé, Remeuil, le Puy de Serre, le Chataigner, Ribellière, Glatigny, Boivinet, le Bouchet, et toute ville Valanoise, qui décéda en 1637. »

« Et de dame Louise de Sapvenières, fille de la Bre» tesche, veuve de feu monseigneur de Villequier, en son vivant, chevalier des deux ordres et gentilhomme de la chambre du roi, gouverneur de Paris et de l'île de France ; femme, en deuxièmes noces, dudit seigneur du Bellay, laquelle est décédée le 23 décembre 1625. Desquels la vie vertueuse et illustre, continuée plusieurs années dans les liens sacrés de même religion, d'union, d'esprit et de sentimens et d'un inviolable amour, donne lieu d'espérer que leurs âmes destinées au ciel ont survécu leurs dépouilles et leurs cendres recueillies en ce monument, dans le repos et l'attente d'une jouissance éternelle et glorieuse au jour de la résurrection. »

« Passans, priez Dieu qu'il leur soit propice, et inmortalisez leur mémoire. »

Le dernier rejetton de la maison du Bellay est mort évêque de Fréjus, quelques années avant la révolution. Les hommes d'un mérite distingué sortis de cette famille suffiraient seuls pour illustrer la province qui les vit naître, et ils sont ignorés dans la ville qui devrait les placer, avec orgueil, à la tête des hommes célèbres nés sur son territoire ! Pour réparer cet oubli, et transmettre à nos neveux le nom de BELLAY, on devrait le donner à la rue projettée pour réunir la rue Royale au faubourg de la Croix-Verte ; ce nom lui conviendrait d'autant mieux qu'elle conduira directement de Saumur au chemin de l'antique château du Bellay.




Jean François Bodin, Notice sur les Hommes Célèbres de la maison du Bellay, dans Recherches historiques sur la ville de Saumur : ses monumens et ceux de son arrondissement, tome second, chez Degouy aîné impr.-libr. (Saumur), 1814, p. 24-59.

Jean François Bodin (1766-1829), administrateur et historien angevin.


Sur le même sujet : Château du Bellay, Joachim Du Bellay, Château de la Turmelière.


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