Le Monde illustré du 24 janvier 1880

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Langue et littérature angevine
Document   Le Monde illustré – Journal hebdomadaire
Auteur   directeur Paul Dalloz
Année d'édition   1864
Éditeur   Le Monde illustré
Note(s)   24e année, n° 1191, du 24 janvier 1880, p. 54.


La banquise de Saumur
Saumur, 14 janvier.


La situation menaçante que fait aux riverains de la Loire l'amoncellement des glaces entre Saumur et Angers, et les télégrammes alarmants que tous les journaux reçoivent depuis quelques jours, nous ont décidé à envoyer un de nos artistes, M. Scott, qui nous a adressé les intéressants croquis paraissant dans le présent numéro.

Nous empruntons au Figaro l'émouvante description de cette véritable mer de glace :

Je viens de parcourir la rive de la Loire. La situation s'est peu modifiée depuis hier. L'immense banquise qui atteignait la hauteur de la route et surplombait la rive gauche a baissé par suite de l'abaissement de la Loire. De là les craquements qui effrayaient les riverains et faisaient craindre une rupture des digues.

C'est justement sur la jetée que je suis allé de Saumur à Jacqueneau, aux Quatre-Chapcaux, à Villebernier et Gaure.

Cette jetée, qui est l'ancienne route de Paris, sépare la Loire de la vallée où sont les villages, les fermes, les châteaux. Si elle crevait, les désastres seraient sans nombre et le pays inondé jusqu'à Angers. Or, elle est menacée par un courant qui tend à reprendre l'ancien lit du fleuve.

De l'autre côté, l'île de Souzay, qui était un peu au-dessus du niveau de la Loire, est maintenant plus basse que la banquise. On a déménagé tout avec les plus grandes difficultés. Les bestiaux ne voulaient pas marcher sur la glace ; il a fallu placer du fumier et des fascines pour leur faire un chemin.

A Saumur, on ne se douterait pas que la catastrophe est imminente. L'eau coule tranquille sous les ponts. A peine y a-t-il quelques banquises sur les côtés. Mais en sortant, à deux kilomètres en amont, commence une immense mer de glace dont aucune description ne peut donner l'idée.

Elle se compose de toutes les glaces du haut de la Loire, qui occupaient auparavant vingt-cinq lieues de superficie et que le commencement de la débâcle a réunies sur une étendue de onze kilomètres de long sur sept cents mètres de large.

Remarquez, chose étrange, que l'arrêt s'est fait à la plus grande largeur de la Loire. Cette immense banquise a une forme bizarre ; on dirait une carrière de gypse bouleversée par des explosions de mine.

Des blocs de quatre à cinq mètres carrés et d'une épaisseur de trente à quarante centimètres se tiennent debout sur le côté comme des barrières, d'autres semblent de gigantesques aiguilles.

Au pont de Gennes, d'immenses glaçons se sont accumulés et dressés contre les piles dont ils menacent fortement la solidité.

A certains points, l'accumulation a fait, au milieu du fleuve, une falaise brusquement coupée de deux mètres de hauteur. Autre bizarrerie : certains blocs sont transparents, on voit à travers ; ils ont une couleur bleu outre-mer. Sur cette mer de glace, des paysans se promènent, ramassant des morceaux de bois et des épaves qu'ils emportent en les traînant avec des cordes !

Sur les rives, les bestiaux grands et petits sont mis à l'abri.

Si la débâcle se produit subitement, il y aura d'immenses malheurs, que rien ne pourra éviter. Déjà, l'ingénieur, M. Tresca, proposait de faire sauter les ponts d'Angers pour donner des issues aux glaçons et éviter la rupture de la levée. Les autorités se sont opposées à cette mesure extrême.

Hier et aujourd'hui d'importants travaux ont été accomplis par les pontonniers venus d'Angers, de Tours et d'Orléans, et par les artilleurs de Bourges.

On conserve la grande banquise de la rive droite. On a fait, avec des pics, des haches, des scie, un chenal sur la rive gauche pour donner passage aux glaçons, à Dampierre. Il a été creusé, hier, de Souzay à Montsoreau ; on le fera aujourd'hui de Montsoreau à Saumur, où la rivière est libre. On établit ainsi un nouveau cours d'eau à travers les glaces qui sont sur les prairies, et on laisse les glaçons entassés et durcis protéger les rives menacées.

Pour cela, les pontonniers brisent la glace, soit à l'aide de la dynamite, soit au moyen de leurs bacs, auxquels ils impriment le même mouvement de va-et-vient que pour les pompes d'incendie.

L'équipe des sauveteurs de la Seine, commandée par M. de la Narde, est sur le fleuve, qu'elle remonte aussi haut que possible.

Des élèves de l'Ecole de pyrotechnie de Bourges, sous les ordres d'un officier, sont arrivés ce matin pour assister aux expériences de dynamite qui se font près de Montsoreau.

Le général du génie de Barrabé, envoyé du ministre de la guerre, les ingénieurs des ponts et chaussées et de la navigation veillent à l'exécution des mesures préventives.

La situation est très grave.


Saumur, 17 janvier.


La situation est toujours la même, et, malgré tous les efforts, on craint que le danger ne puisse être conjuré.

Les pontonniers ont terminé le chenal dont je vous parlais hier, et qui permettra d'atténuer les effets de la débâcle en donnant à l'écoulement des eaux et des glaçons un cours tracé d'avance. Grâce à ce chenal, on pourra peut-être éviter les chocs contre la levée de Villebernier et la rupture de la digue, mais il est bien étroit et peut facilement s'obstruer : Dans ce cas, tout le travail déjà fait deviendrait inutile.

Une compagnie du génie est arrivée ce matin de Paris. On a envoyé également d'Angers un nouveau détachement de pontonniers munis d'immenses perches à crochets pour tirer les glaçons. On va agrandir le chenal et faire partir à l'avance le plus de glaçons possible, mais il faut pour cela que le temps se maintienne au froid.

En attendant, la levée sert de but de promenade aux curieux. Jamais on n'a vu par là tant d'équipages. Il y avait ce matin plusieurs officiers avec des dames en amazones, courant le long de la mer de glace. Les petits débitants des villages font leur profit de la situation en vendant le plus et le plus cher qu'ils peuvent.

L'opinion générale ici est que la débâcle, quelle qu'elle soit, terrible ou bénigne, ne peut avoir lieu avant cinq à six jours.





Le Monde illustré, 24e année, numéro 1191,‎ du 24 janvier 1880, pages 49, 52, 53 et 54 (notice BnF). Article La banquise de Saumur. Directeur Paul Dalloz (1829-1887).
Publication en série imprimée. Le Monde illustré, hebdomadaire d'actualité paru de 1857 à 1940 et de 1945 à 1956.

Sur le même sujet : année 1880, Le Monde illustré du 31 janvier 1880.


Autres périodiques : Le Monde illustré du 2 avril 1864, L'Illustration du 9 février 1918, L'Illustration du 18 février 1922. Également, le Maine-et-Loire au XIXe siècle.


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