Rimiaux d'Anjou par M. Leclerc - En foère
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Au Lion d’Or, chez Gâtineau,
enter la route et la barge,
et tout près du bord de l’eau,
c’est vantié ein’ bonne aubarge,
et vous auriez ben grand tôrt
d’ la juger sûs l’apparence :
c’est vrai qu’au premier rabord
on n’y donn’ point d’importance.
Mais, si l’ clos et la maison
ont point l’air ed payer d’mine,
c’est tout d’ meim’ point ein’ raison
de n’ point goûter la cuisine ;
essayez-en donc ein brin,
et vous n’aurez p’t-êt’ idée
coument qu’eune aubarg’ ed rin
est si ben achalandée.
A n’est meim’ d’ein si bon r’nom
qu’î vînt du monde ed’ la ville ;
faut n’entend’ el train qu’îs font
avec leûs automobiles
qui coinqu’nt et qui pèt’nt du feu !
Y en a d’aut’ sûs des veloces ;
et tout ça, des gâs d’ bon jeu,
et qui n’ boud’nt point à la noce !
Jusqu’à des monsieurs d’ Paris,
quand c’est l’été, qui n’y viennent,
pour se prom’ner en l’ pays
et se r’pouser deuss-trois s’maines ;
et Gâtineau, qu’est point sot,
vous les r’tînt par la cuisine :
î leu donne d’ ces fricots
à s’ fair’ péter la bousine !
Et pis, dam’, tant pir’ pour ceuss
qui n’en prendraient pûs qu’ leû compte,
coume î dit ; à propos d’euss,
v’là justement c’ qu’î raconte :
L’an darnier, à la mi-août,
vint cheuz lui ein jeun’ ménage,
du monde aimable et ben doux,
et n’ menant point grand tapage.
Mais, qui n’a point son défaut ?
La p’tit’ dam’, rond’ coume ein’ caille,
était portée pus qu’î n’ faut
sûs les plaisîs d’ la mangeaille ;
a n’avalait sâfrement,
et des assiettés si pleines
qu’on eût cru, à tout moment,
qu’a jeûnait d’pis ein’ semaine.
Un soér donc qu’on leû sarvait,
— ben fricassées en la poêle —
des têt’s de choux varts tout frais
(des piochons, coume on appelle),
a n’eut ein tel appétit
pour dévorer c’te légume
qu’ la piau du vent’ n’y tendit,
coume ein bestiau qu’a l’enflume !
Tout à coup, sûs les ménuite,
la v’là qui s’ met à crâiller :
« Joseph, pass’ moé l’ pot ben vite,
« j’ai les boyaux déraillés ! »
Joseph, î n’a fait qu’ein saut...
Nom de d’là !... Point d’allumettes !...
î charch’ sous l’ lit... mais point d’ pot
l’autr’, a s’ roulait sûs les couettes...
« Hélâ mon Dieu !... Je n’ saurai
« résister tant qu’ ça m’ travaille...
« Pour sûr, je n’ peux pûs durer...
« Ya pûs d’amain ! î faut qu’ j’aille
« ben vite aux commodités ! »
Et là-dessus, en galinette,
la voilà déjà sauté’
Mais son mari, î l’arrête :
« J’ veux point qu’ tu sort’, qu’î n’y dit,
« astheur que la nuit est fraîche,
« t’attrapp’rais ein chaud-r’ferdi ! »
Et pis le v’là qui s’ dépêche
— à tâtons, ben entendu —
î n’arrive, à la cuisine,
au mur, où que n’y a pendues
les castroll’s et les bassines ;
î n’en prend eine au juger,
la r’monte à sa femm’ ben vite
pour qu’al puisse s’ soulager,
et n’y gliss’ ça dret en l’lite,
coum’ pour bassiner l’ mat’las...
Mais, la castroll’ descendue,
quant’ î veut s’ mettre en les draps,
î trouv’ la piace enfondue !...
« Bon sang ! Coument donc qu’ t’as fait ? »
« En l’ poêlon ! qu’a n’y réplique ;
« meim’ qu’î n’avait l’ bord ben fret ! »...
Au matin v’nu, tout s’essplique :
î n’avait point ben charché,
censément, en la nuit noére...
avait-î point décroché,
en lieu d’ castrolle... ein’ passoére !...
Extrait de l'ouvrage Rimiaux d'Anjou de Marc Leclerc, Sixième édition, Au bibliophile angevin André Bruel (Angers), 1926 (livre).
Marc Leclerc (1874-1946), écrivain angevin, créateur des rimiaux, poèmes ou contes rimés en langue angevine.
Note : Auguste Pinguet (Angers 1863-1937), conteur et luthier, auteur de nombreux ouvrages comme Nouveaux poèmes de l'Anjou publié en 1910 ou La Chanson de l'Anjou en 1923.
Du même auteur : Paisans, Les Coëffes s'en vont, Cheuz nous, Veille de Fête, Ma vieille ormoère, Cemetières, Progrès, Lettre à Marie, Chansons d'aut'foés, Bounhoum' paisan, Défunt Gorin, Sacavins, La pibole, Eine verzelée, Gigouillette, Avartissement.
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