Essai sur le langage angevin de Ch. Ménière
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Un temps viendra où chaque localité aura son glossaire et quand ce travail aura été fait sur une échelle suffisamment étendue, on pourra comparer avec fruit les dialectes, les patois à notre français.
Un étranger qui reste quelque temps en Anjou remarque de suite une infinité de locutions locales, des mots plus ou moins singuliers qui expriment une idée sous une forme toute nouvelle. Nous avons cherché à réunir le plus de ces expressions locales. L'utilité et la portée d'un pareil travail comme celui-ci, dépend d'un grand nombre de même nature, surtout dans les départements qui nous environnent. Il y a déjà quelques années que nous avons commencé, pour satisfaire notre curiosité, à réunir ces mots, ces phrases, en cherchant à les mettre en ordre à mesure que nous les connaissions, nous avons reconnu de suite combien il était difficile d'arriver à faire un travail complet qui offrît quelqu'intérêt, non à des savants, mais bien à nos compatriotes qui ne s'occupent que de l'Anjou.
On voit de suite quels sont les changements d'acception que notre langage subit dans le matériel des mots, on en trouvera bien quelques-uns qui ne paraissent plus être en usage ; tandis que d'autres ont été conservés et souvent modifiés d'un canton à un autre.
Ch. Nodier a fait remarquer avec justesse, que l'étude des patois était une introduction nécessaire à la connaissance des radicaux de la langue française. Notre langage particulier a subi comme tout autre ces modifications avec le temps ; toutefois c'est un témoin sérieux de la vieille langue commune des XIIe et XIIIe siècle. Cette stabilité ne doit pas nous étonner. Le peuple longtemps privé d'éducation et d'instruction est plus passif dans son langage que l'homme habitué à réfléchir, et l'on serait tenté de croire, surtout pour ce qui regarde la prononciation, que notre dialecte s'est moins écarté de la langue commune que cette langue, qui en se développant et subissant des métamorphoses plus ou moins sérieuses, s'est écarté de tout dialecte.
Du reste, nous avons la certitude que les mots qui forment notre dialecte, comparés à d'autres, ne se sont pas modifiés depuis longues années, tandis que c'est le contraire pour la langue commune.
Cette langue française dont nous sommes si fiers, n'a même pas été parlée dans toutes nos provinces, et encore de nos jours, dans l'Anjou, des personnes étrangères à toute littérature, se servent d'un langage incompréhensible pour leurs enfants mêmes, et à plus forte raison de leurs serviteurs, étrangers au pays. En général, on verra cependant que la langue latine et la langue d'oc, la première qui nous a été apportée en Gaule par les soldats et les colons romains, s'est maintenue dans notre pays, et que les dialectes dont on se servait avant son apparition n'ont jamais été détruits complètement.
Nous trouvons dans ce Glossaire bon nombre de mots picards, dont l'origine est entièrement germanique. De plus, les Normands, en raison de leurs excursions en remontant le fleuve de la Loire et autres rivières, ont augmenté le nombre d'expressions qui se rattachent aux idiomes du nord de l'Europe.
L'influence du grec nous paraît tout à fait nulle, tandis que le gallo-romain conserverait mieux la langue latine ; nos rapports commerciaux, entretenus avec les Belges, les Bretons et les Germains nous ont laissé l'élément celtique, principalement sur les bords de la Loire et dans l'arrondissement de Cholet, et ces rapports qui ont certainement existé, peuvent être assignés au nombre des causes qui différencient la langue romane du nord et celle du midi, sous les noms de langue d'oil et langue d'oc.
Ainsi la langue d'oc régna d'abord dans le Maine, l'Anjou et une partie du Poitou, laquelle nous fournit de nombreux radicaux ; tandis que la proximité de la Touraine et la Normandie, et la domination française qui les soumit peu à peu, concoururent inévitablement à l'introduction de la langue d'oil, aussi le dialecte normand comprenait les idiomes de Normandie, du Maine, de l'Anjou, du Poitou, etc.
Dès le XIIe siècle, dans le pays de la langue d'oil, il y avait trois espèces de langage : 1° le langage de Paris ou le roman, qui a fini par dominer tous les autres ; 2° le langage des Trouvères, qui a une tendance à se modeler sur la langue romane, conservant les locutions et les formes grammaticales de la province, dialecte littéraire ; 3° le langage populaire qui nous est resté comme patois ou dialecte.
Toutes les langues dérivées et en général, les dialectes, diffèrent par la prononciation, une parole plus ou moins brève, une première lettre plus ou moins aspirée, des modifications, des altérations dans les mots, surtout pour ceux qui dérivent du roman ou du latin ; outre cela, sans qu'on trouve de radical, on reconnaît que certaines expressions ont été formées et adoptées pour le besoin ou les habitudes particulières.
Blaison Thibaut publia plusieurs pastourelles, par exemple : Les Premières Amours de Robin et Marotte (vers 1214), qu'on chantait encore au XVe siècle. On les traduit dans la langue des Trouvères en langue limousine. (Voir Renouard, t. II, page 275.)
Au XIIIe siècle, différents actes ont été rédigés en latin, tandis qu'à la fin de ce siècle, nos actes ont été écrits en langue vulgaire, et il faut successivement remonter au commencement du XVIIIe siècle pour trouver le langage du pays de l'Anjou.
Ainsi le sonnet suivant est l'image fidèle :
- C'est un dangeleu mau que le mau de l'amour.
Nos écrivains du XVe et du XVIe siècle se servaient de ces expressions que nous retrouvons encore : ainsi Villon, Rabelais, Montaigne, Amiot et d'autres, il y a même certains tours de phrases d'un usage encore journalier.
Nous avons été quelquefois embarrassé pour donner l'orthographe de certains mots, cela tient à l'intonation particulière dans différents cantons, à la prononciation même d'un même mot qu'on ne rencontre écrit nulle part, et chose qui n'a pas été sans difficulté, c'était de retenir ce langage dont on ne se sert qu'en passant, souvent par ironie, quelquefois pour donner un vernis spécial à la pensée. Ainsi, au milieu de notre pays, écoutez dans une assemblée une conversation, et que les intéressés vous voient prendre une note, soyez certain que la conversation est terminée de suite et qu'alors on vous répondra rarement aux éclaircissements que vous désirez.
Dans les conditions que nous venons d'énumérer un Glossaire complet est très difficile à faire, il nous a fallu chercher dans nos souvenirs d'enfance, dans ceux de nos amis et compatriotes, questionner les personnes de la ville, de la campagne, chercher dans les archives, dans les baux, expertises, etc., et pour trouver le radical d'un mot avoir recours à des Glossaires déjà publiés, de plus, certains mots figurent dans le Dictionnaire de l'Académie, en général peu usités, c'est le contraire en Anjou.
Le dialecte de l'arrondissement de Segré est assez complet comparativement à d'autres qui peuvent laisser à désirer ; nous devons cette série d'expressions à notre confrère Bazin, qu'il accepte de nouveau notre reconnaissance !
Nous avons fait entrer dans ce Glossaire quelques mots employés journellement par les ouvriers des ardoisières, particulièrement à Trelazé. Aucun dictionnaire ne nous a donné l'explication de ces mots bizarres, tronqués, augmentés quelquefois de syllabes inutiles, surtout en parlant avec intonation, tantôt brèves, tantôt longues et languissantes : et aussitôt que l'ouvrier est rentré en ville, il parle comme nous tous, et ce n'est que par genre qu'il entremêle alors certaines expressions incompréhensibles pour prouver à son interlocuteur qu'il est né perrayeux, qu'il parle comme un perrayeux, et que l'enfant doit parler comme le père.
Dans les faubourgs, il y a bien un argot, qui ne se rattache à aucune langue, ainsi l'on dit : va chercher du trèfle pour dire du tabac, etc., etc.
Enfin, nous regardons comme des angevinismes certaines phrases qui touchent au français, mais qu'on ne rencontre nulle part.
Les noms vulgaires des plantes ont été tirés des Flores publiées en Anjou, empruntés souvent à des causes inconnues.
Le vieux français comparé, au français moderne, ne se prononce plus comme nous pouvons le prononcer aujourd'hui.
Un vocabulaire, même local, ne se renouvelle pas toujours par la création de mots nouveaux ; on se contente souvent de détourner un terme de son emploi primitif pour lui faire exprimer une toute autre idée.
Nous avons remarqué également la tendance que nous avons de changer le genre d'un mot, du masculin le faire passer au féminin ; ce n'est pas toujours une faute sérieuse de français proprement dite, mais bien un souvenir du vieux langage. Nous ne nous dissimulons pas les imperfections de cet essai, fait au jour le jour, surtout pour nous qui avons abandonné depuis longtemps les études préalables et spéciales pour mener à bonne fin ce premier essai sur le langage angevin.
Glossaire angevin étymologique comparé avec différents dialectes de Charles Ménière, impr. Lachèse et Dolbeau (Angers), dans les Mémoires de la Société académique d'Angers, tome XXI, publication en série imprimée de 1881 (notice BnF).
Charles Ménière (1815-1887), pharmacien et auteur scientifique du XIXe siècle.
Autres documents :
Rapports avec la langue de Rabelais,
Sonnet en patois angevin,
Proverbes d'Anjou (Soland),
Traditions et superstitions,
Essai sur l'Angevin,
Glossaire de Ménière,
Langage à Lué,
Proverbes d'Anjou (V & O),
Discours du centenaire,
Chanson sur l'Anjou,
Glossaire de Verrier et Onillon,
Explication de mots,
Défense de l'angevin,
L'accent de chez nous,
Expressions angevines
et autres.
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