Explication de mots du patois angevin d'A.-J. Verrier
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- MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
- MESSIEURS,
Je veux d'abord vour remercier du grand honneur que vous m'avez fait en m'accueillant dans votre Société ; l'humble fonctionnaire qui, pendant quarante années, professa la modeste classe de 8e, y est particulièrement sensible.
Je lis bien dans l'Écriture que Dieu n'établit pas de degré entre le cèdre et l'hysope, et il serait malséant de lui en faire un mérite. Il n'en va pas de même pour les hommes, qui ont inventé le système métrique et en usent cruellement parfois. Pour « bauger », comme on dit chez nous, ma valeur et mes capacités, vous n'avez pas emprunté les unités fournies par le méridien terrestre, vous m'avez pris mesure avec votre bienveillance. J'avais tout à y gagner.
Je remercie surtout mes aimables parrains. J'ignore les engagements qu'ils ont pris en mon nom en acceptant la lourde tâche (c'est, heureusement, une figure de rhétorique) de me tenir sur les fonts ; mais je ferai de mon mieux pour qu'ils n'aient point trop à rougir de leur filleul.
J'ai parlé de l'honneur que j'ai reçu ; permettez-moi à ce propos un petit calcul.
Vous êtes, Messieurs — ou plutôt nous sommes — quatre-vingts, paraît-il, dans cette Société. Chacun de nous, d'une part, équivaudrait donc seulement à une moitié d'académicien de la capitale, ce qui serait encore très honorable (Pour ce qui me regarde je serais très fier d'atteindre, même à la ceinture, l'auteur des Oberlé et de la Terre qui meurt).
Mais, d'autre part, à en juger par les appréciations qu'il m'a été donné d'entendre depuis longtemps, par les nargues, brocards et épigrammes (dont l'une au moins est cueillie dans le règne végétal) qui pleuvent sur la Société, vous êtes certainement deux fois plus attaqués que nos illustres confrères de Paris ; alors cela rétablit l'équilibre, si les gens sont critiqués en raison de leur mérite.
Et maintenant, Messieurs, je solliciterai encore votre bienveillance pour ma première communication.
Sans expliquer par suite de quelles circonstances j'ai été amené à écrire le « Glossaire des patois et des parlers de l'Anjou », me conformant au précepte de mon ami Horatius Flaccus, j'entrerai in médias res, et j'essayerai d'expliquer certains vocables curieux de ce patois.
- LUCET
Lucet’. — Le t est sonore. — s. m. Un Iucet’, le lucet’. « Farme donc l'lucet et pourgale les poules qui voulant entrer dans la maison ! » dira une métayère à son gars.
Le lucet est une petite porte légère et basse fermant une cour, ou encore la partie inférieure d'une porte brisée.
D'où vient ce mot ? La première idée, la mauvaise, est de le tirer du verbe latin lucere, faire luire, éclairer. Un étymologisle a bien tenté d'expliquer le mot latin lucus, bois sacré, par ce même vocable, mais avec une négation, a non-lucendo, parce qu'il fait sombre sous ses voûtes. Oh ! ces étymologistes !
Mais à la réflexion, on y reconnaît notre vieux mot huis, porte, d'où vient la locution : à huis-clos, huissier, etc., lat. ostium, devenu de bonne heure ustium, d'où uis, écrit huis pour indiquer la prononciation vocalique de l'u et le différencier du v, ces deux sons ayant d'abord le même signe — puis hus, diminutif husset.
Mais l' l initiale, dira-t-on, d'où provient-elle ? C'est l' l de l'article, le huis, l'huis, agglutiné comme dans : landier, p. l'andier, lendemain, p. l'endemain, lierre p. l'ierre, loriot p. Toriot, luette pour l'uette. Dans certaine région de l'Anjou (Saint-Paul-du-Bois), on dit bien : un labbé, pour un abbé !
Le dict. de Littré , au Supplément donne : Contre-hus. En Normandie, partie d'une porte coupée en deux, le haut pouvant s'ouvrir, tandis que le bas reste fermé ; le contre-hus se rencontre à l'entrée des boutiques, et le hec à celle des maisons de fermiers. De contre et huis.
Herlin de Guérie (Parler populaire de la commune de Thaon, Calvados), donne ce mot : Contre hu. — De même Dottin, Vocabulaire du Bas-Maine.
Je rappellerai que, même dans les villes, à Angers, on dit un hussier, avec h aspirée.
La Curne de Sainte-Palaye, v° huisset, cite ce passage des chroniques de Saint-Denis : « Par une petite entrée, ainsy comme par ung petit huisset, n. I. fol. 238. »
Et au mot Hecquet, petit hec ; le hec est une demi porte : « Le suppliant estoit à son huis, appuyé sur son hec, qui fait aussi que demi closture d'un huis (I36). » — « Ils alerent ensemble heurter au hec de l'uis de l'ostel dudit Obery, duquel hec ilz rompirent un ais ou deux. » (1400)
L'origine de hec n'est pas, évidemment, la même que celle de huis. Elle est d'ailleurs incertaine, et je n'y insisterai pas, ce mot n'étant pas angevin.
M. le Cte « Jaubert » (Glossaire du Centre de la France) cite : Husserie, assemblage de pièces de bois qui, à défaut de pierres de taille, forme la baie d'une porte dans les constructions grossières : « L'husserie de cette porte est pourrie. » — La porte elle-même : « Planter le mai à l'husserie de la maison. »
Et hussier, mais l'h, dans le Berry, n'est pas aspirée, comme en Normandie.
Uis, Uissier, Usse, Uisse s'écrivaient sans h au XIIe s., ce qui explique fort bien la suture de l'article.
- ACLOPIN
Aclopin, s. m. — Batteur d'estrade, bohème, individu dont l'aspect n'inspire pas confiance, escogriffe, maraud, truand, malandrin, écornifleur, voyou, mendiant de mauvaise mine, mauvais sujet qui entraîne les autres à faire des sottises. Ex. : J'ai buté dans ein aclopin qui m'a entraîné au cabaret. — Syn. de Harquelier.
J'avais renoncé à trouver l'explication de ce mot lorsque je le reçus d'un nouveau correspondant, sous une autre forme, qui me mit sur la voie ; il l'écrivait Aplopin.
J'étais sauvé. Ce mot est pour Happe-lopin, en deux mots ; happer, saisir, et lopin, morceau. C'est l'homme qui s'empare de tout ce qui lui tombe sous la main, d'une chemise séchant sur une haie, d'une paire de chaussures à un étalage, etc. Il ne laisse rien traîner.
Et le mot se trouve dans Littré, avec la croix qui indique une forme de parler populaire. « Gourmand, fripon qui guette les morceaux pour les avaler. — Terme de chasse, chien âpre à la curée. »
Hist. XVe : A nos amez happelopin,
- Sert de brouet et galopin.
- Eust. DESCH., Poés., mss., f° 4166.
- Sert de brouet et galopin.
— « Les oultragerent grandement, les appelans trop diteux,... rustres, challans, happelopins. »
- RAB. G., I, 25, 52.
Souvent des personnes qui s'intéressent à ces études me disent : « Je vous enverrais bien des mots de patois, mais vous devez les avoir tous ! » — Envoyez toujours, leur dis-je ; ils peuvent m'être utiles, ne fût-ce que pour les situer. Car, autant que possible, notre glossaire indiquera la provenance des mots. De plus, une nouvelle graphie est un indice précieux d'explication.
- ENLARMES
Enlarme, s. f. — Branche de saule arquée qui soutient un des coins du carrelet. Pour armer un carrelet, il faut donc quatre enlarmes.
C'est une altération, par étymologie populaire de l'ancien français « enarme », courroie pour passer le bouclier au bras, substantif verbal de enarmer, du Iat. prop. inarmare, passer à son bras ; in + armus, bras. (Angl. et All. arm, m. s.).
Dans Trévoux, on lit : enlarme, branche flexible, pliée en cerceau, que l'on ajoute au verveux.
- « L'escu par les enarmes prant »
Citation de La Curne. — (Enarmé voulait dire qui a de fortes épaules.)
Dans l'édition de la Chanson de Roland par Léon Gautier, page 54, note 2, nous lisons :
« L'écu est le bouclier chevaleresque. Il peut couvrir un homme debout, depuis la tête jusqu'aux pieds. Il est en bois cambré, couvert d'un cuir plus ou moins orné et peint, le tout solidement relié par une armature de bandes de métal, qu'on faisait concourir à son ornement. Il est muni d' « enarmes », ou d'anses, dans lesquelles le che- valier passe le bras. Ex. :
— « L'Escu au col par les Enarmes tint...
— « Ils s'enheurtent et de corps et de pis (poitrine, pectus)
- Que les Enarmes se font des poins saillir. »
« Ils s'entreheurtent et de corps et de poitrine (à une telle force) qu'ils se font sauter les enarmes des poings. »
« Ne pas croire, comme quelques-uns, que armes, ici, veuille dire des armes, c'est le mot latin armus, armi, qui veut dire bras...
« Littré n'a pas compris ce mot ; il le rattache à larme : Enlarmer un filet ; faire de grandes mailles à côté du filet avec de la ficelle. Terme de pêche. Mettre de petites branches le long d'un verveux. Etym. En et Larme ; ces mailles étaient semées comme des larmes.
« Il est vrai qu'il se corrige dans le Supplément, mais pour retomber dans une autre faute. Il l'explique par armes. Ce n'est pas arma, armoram ; c'est armus, armi. »
Ainsi Littré lui-même s'est trompé ici ; cela peut rendre modestes et prudents ceux qui s'occupent d'étymologie.
- PÔT — PAU
Pôt, s. m. — a) Perche servant de civière pour porter du foin. — b) Le Pôt au mort. « Lorsqu'il se produit un décès dans une ferme un peu éloignée de chemins praticables, qui permettraient à la civière en usage de venir prendre le défunt », voici comment on procède.
Dans une forêt, et avec l'agrément du propriétaire (dans l'espèce, et depuis un temps immémorial, la famille de M. Gontard de Launay, duquel je tiens ce renseignement), on va couper un soliveau, de 0m,15 à 0m,20 de diamètre ; on enlève l'écorce, on le polit. Puis on le passe dans les deux courroies qui ceinturent le cercueil à la tête et aux pieds. Alors deux hommes, de même taille, enlèvent sur leurs épaules la bière et la transportent jusqu'au lieu où attend la civière.
Mais d'où vient le mot Pôt ? La racine est la même que celle du mot poteau, pour posteau, ancien français post ; on la retrouve dans le latin postem, jambage de porte.
Dans Rutebeuf on lit : « post et chevron ».
Dans le Nouveau Coutumier Général, IV, 410 : « Icellui Roullant se muça et tapy derrière un pillier ou post de bois (1387) ». — « Latibulaires à deux et trois posts. »
- Et Sanson a saiché le post (1)
- Oui sa force avait recouvrée ;
- La maison alla cravantée (2).
- DESCH., mss., f° 507.
On a écrit : Poste. « Adonc il trépigna tant des pieds qu'il rompit le bout de son berceau, qui toutes fois estoit d'une grosse poste de sept empans en carré. » (Rab., p., II, 31).
L'étymologie du mot est incontestable. Mais nous trouvons le mot Pau, avec le même sens. Le même Rabelais écrit : « Messieurs les cardinaux, depeschez leurs bulles, à chascun un coup de pau sur les reins. » (P. II, 3o, 194.)
Dans l'Inventaire des Archives de Maine-et-Loire, lettre E. Procès-verbaux contre Jean Hyais et Boulon qui « ont battu des paux gros comme la cuisse dans la rivière ». (1633.)
A Baugé, il existe une rue nommée « le Pau Brûlé ». Et M. Maingaud, ancien conservateur des Eaux et Forêts, qui me communique ce renseignement, dit avoir lu que c'est une abréviation de Poteau. C'est là que l'on brûlait les hérétiques, attachés à un poteau, lors des guerres de religion.
(1) Saicher, Secouer. — Et saccare, de saccum, sac. Proprt, tirer du sac, ou secouer c. d. un sac. Saquer une voile, c'est tirer dessus pour la carguer.
(2) Craventer. — Et crepantare, de crepantem, p. prés, de crepare crever, écrouler.
D'un Etat des rues et places de la ville de Baugé (envoi de M. Brion, maire), il résulte que la rue du Pau brûlé (c'est-à-dire du pieu brûlé) ces derniers mots écrits entre parenthèses — délibération du 20 août 1827 — répond bien à cette explication. Ou peut lire aussi dans les Archives départementales : (G. 1811, carton) Cures et Fabriques ; Rente sur le lieu du Pau brûlé (1633-1717).
Ce vocable Pau vient du lat. Palus, pal ou pau. Al devient souvent au ; cf paume, de palma ; paupière, de palpebra. Pal fit au pluriel des pals ou des paux.
Les deux mots, dont le sens se rapproche, ont donc une double origine, une prononciation distincte, aussi, dans Pôt aux morts, le t se fait fortement sentir.
Dans le Glossaire de la commune de Louhans (Saône-et-Loire), je trouve cette locution curieuse : Cosser des paux (enfoncer des pieux). Elle s'applique à la personne qui s'endort et laisse retomber sa tête comme si elle devait s'en servir en guise de maillet pour enfoncer un pau.
Peut-être pourrions-nous expliquer maintenant un autre vocable de notre patois.
« Vous savez qu'on nomme Paux ces longues aiguilles d'ardoises que l'on place au bout des rangs de vigne, en guise de pieux de bois, et que l'on tire de Roc-Épine, de Saint-Jean des Mauvrets, de la Poëze, ou même un peu de Trélazé. Sorges, ajoute un correspondant, dont je suis originaire, est un pays de pautiers, apprentis ardoisiers. Est-ce que le pautier n'aurait pas débuté par extraire ou par travailler les paux ou pôts de pierre, avant de fendre, polir et rondir la belle ardoise fine, besogne qui demande plus d'adresse et d'expérience ? De même le gniaf, l'apprenti du cordonnier, commence par découdre les vieilles empeignes et par déclouer les semelles lamentables. D'ailleurs, en général, un pôtier est mauvais ouvrier.
Pour finir ce mot, une remarque curieuse. On dit : sourd comme un pŏt, l'o très bref. On a tort. Cela veut dire : sourd comme un poteau ; on devrait prononcer : sourd comme un pôt, l'o très long. Comparez le proverbe anglais, qui vient probablement de chez nous : Deaf as a post, (poteau), et non pot (pot).
- A.-J. VERRIER.
Explication de quelques mots du patois angevin d'Anatole-Joseph Verrier, dans Mémoires de la Société nationale d'agriculture, sciences & arts d'Angers, Cinquième série, Tome IX, Année 1906, Germain & G. Grassin imprimeurs-éditeurs (Angers). Publication en série imprimée (notice BnF).
Anatole-Joseph Verrier (1841-1920), professeur et écrivain, co-auteur du Glossaire étymologique et historique des parlers et patois de l'Anjou.
Autres documents :
Rapports avec la langue de Rabelais,
Sonnet en patois angevin,
Proverbes d'Anjou (Soland),
Traditions et superstitions,
Essai sur l'Angevin,
Glossaire de Ménière,
Langage à Lué,
Proverbes d'Anjou (V & O),
Discours du centenaire,
Chanson sur l'Anjou,
Glossaire de Verrier et Onillon,
Explication de mots,
Défense de l'angevin,
L'accent de chez nous,
Expressions angevines
et autres. Également, rimiaux.
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