Noces en Maine-et-Loire au XIXe siècle
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Noces
Noces. — A Montjean, il y a une cinquantaine d'années,
toute famille de paysans aisée et qui se
respectait ne donnait jamais de noces de moins
de deux jours francs, c.-à-d. non compris la veille,
où le festin commençait déjà, ni le surlendemain,
où les reliefs de la fête trouvaient encore des amateurs.
On invitait tous les cousins et cousines
reconnus et Dieu sait jusqu'à quels invraisemblables
degrés l'on cousinait, autrefois — en sorte
que, bien souvent, les convives étaient au nombre
de plus de deux cents. Ces festins de Gamache ont
pris fin aujourd'hui ; on a moins d'invités et on les
sert mieux.
A l'époque dont je parle, chaque nocier ou noceux apportait sa tasse d'argent, si c'était un homme, son gobelet d'argent, si c'était une femme, car on ne mettait pas de verres sur les tables. Tasses et gobelets portaient gravés les noms de leurs propriétaires. On ne servait qu'une assiette, dans laquelle se mangeaient successivement potage, bouilli, gibelotte et rôti. Le riz, qui était le dessert fondamental et obligatoire, se mangeait sur le cul de la même assiette renversée.
Pendant le repas, une jeune fille venait se placer devant la table des époux et leur chantait la chanson de la mariée, complainte mirlitonnesque qui avait le don d'arracher des larmes à toute l'assistance. Mais, bientôt, un hardi luron se faufilait sous cette même table pour détacher le jartier de la mariée. Cette bonne farce rassérénait tous les fronts, moins celui du marié, qui baissait la corne et ne riait que d'une joue. Il est probable qu'elle a cessé de plaire, car elle ne se pratique plus. Après le repas, les danses commençaient, entre chacune desquelles les hommes se réunissaient en cercles, armés de leurs tasses d'argent, autour des semelliers (sommeliers), qui arrivaient, chargés de bouteilles. De copieuses rasades étaient versées à la ronde, dont une bonne partie se répandait par dessus les bords des récipients trop plats, et les buveurs chantaient :
- — A la santé du bon père
- Qui nous régale aujourd'hui !
- Buvons le vin de sa cave,
- Laissons-lui l'eau de son puits.
Souvent aussi, les danseurs, échauffés, s'emparaient des bouteilles et buvaient à même à tour de rôle. Et, tandis que l'un d'eux s'évertuait à avaler une longue lampée, jusqu'à en perdre haleine, les autres ,en chœur, chantaient à tue-tête :
- — Il file, il file, il file !
- Ah ! il a très bien filé.
- Pendant que sa quenouille a duré.
A un certain moment, on dansait la danse des présents, à la suite de laquelle les jeunes époux venaient s'asseoir en face de la nocée pour recevoir les susdits présents. Et, tandis que, derrière eux, le violoneux jouait un air de circonstance, tous les invités défilaient devant eux et leur offraient un cadeau proportionné à la fortune et à la générosité de chacun. Mais tous devaient offrir leur cadeau : c'était, en quelque sorte, une manière de payer leur écot. Les présents consistaient, le plus souvent, en articles de ménage, vaisselle, ustensiles de cuisine, statuettes, vases, glaces, etc., quelquefois en de petites sommes d'argent. Spécialement, les parrains et marraines de chacun des époux devaient leur remettre un cadeau assez important, qui prenait le nom de Chantenau.
Puis les danses recommençaient jusqu'au repas du soir, puis jusque dans la nuit. Au cours de ces danses, il était assez difficile de se soustraire à une farce particulièrement désagréable. Des jeunes gens parcouraient sournoisement l'assistance, vous saisissaient tout à coup et, de gré ou de force, vous obligeaient à boire je ne sais quelle mixture dans un pot de chambre — oh ! tout neuf ! — après quoi ils vous essuyaient brutalement la bouche avec un bouchon de paille. C'était l'usage et, jeunes ou vieux, pauvres ou riches, barbons ou jeunes Biles, il fallait y passer et s'abreuver au vase de nécessité. Je crois que cela ne se fait plus.
Dans le courant de la nuit, les jeunes gens font irruption dans la chambre conjugale et obligent les jeunes époux à manger la soupe à l'oignon. Cet usage règne toujours, mais, si les indiscrets visiteurs déploient des ruses d'apaches pour arriver à leurs fin, les conjoints mettent une ingéniosité non moins grande à cacher leur retraite. C'est souvent une maison amie et au loin, écartée, qui, dans une chambre dûment verrouillée, récèle le nid du couple amoureux. Comme on connaît les saints on les honore et comme on fait son lit on se couche.
Il est d'usage, le jour des noces, de dresser dans la cour de la ferme un mai, ou mât, portant au sommet une bousine (vessie), soit une bouteille pleine d'eau et dont le pied est entouré d'un tas de fournille. Au retour de la messe, tous les noceux tirent des coups de fusil sur la bousine ou la bouteille, jusqu'à ce qu'elle soit crevée. C'est le marié qui commence. Puis la mariée allume le feu de joie. Cet usage est du Longeron et de Tout-le-Monde, mais non de Montjean.
Extrait de l'ouvrage de A.-J. Verrier et R. Onillon, Glossaire étymologique et historique des patois et des parlers de l'Anjou : comprenant le glossaire proprement dit des dialogues, contes, récits et nouvelles en patois, le folklore de la province, Germain & Grassin, 1908, tome second — Troisième partie : Folk-Lore, IV Culture, page 433, Noces. Publication en deux volumes.
René Onillon (1854-19..), instituteur et écrivain angevin du XIXe-XXe siècle.
Anatole-Joseph Verrier (1841-1920), professeur, journaliste et écrivain du XIXe-XXe siècle.
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